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Économie - Liban - Interview

La privatisation n’est pas la solution miracle au problème de l’énergie, estime Tabourian

Le ministre a estimé que le vol de courant, les factures impayées et l'organisation de l'EDL « ne sont que des facteurs mineurs dans la crise de l'électricité ».

Face à la quasi-indifférence générale de la classe politique à l'égard de la crise électrique qui assombrit le quotidien des Libanais, Alain Tabourian ne cesse de tirer la sonnette d'alarme. Le ministre sortant de l'Énergie avertit qui veut bien entendre que le pays « s'oriente droit vers la catastrophe dans le domaine énergétique si des projets de construction de nouvelles centrales électriques ne sont pas lancés sans délai ».
Dans un entretien avec L'Orient-Le Jour, le ministre a affirmé, documents, graphes et chiffres à l'appui, que le vol de courant, les factures impayées et les problèmes organisationnels d'Électricité du Liban (EDL) « sont certes des dossiers à régler rapidement, mais ne sont que des facteurs mineurs dans la crise énergétique dont souffre le Liban ».

Une production insuffisante
En effet, d'après ces chiffres, le pays produit actuellement quelque 1 500 mégawatts (MW) d'électricité et en consomme 2 200 (voir notre graphe). Le déficit s'élève donc à 700 MW ou 32 % de la consommation. D'où le rationnement sévère du courant « qui pourrait être durci au cours des prochaines semaines, car les 120 MW fournis par l'Égypte ne sont pas fiables et ne sont pas disponibles en heure de pointe ».
Les projections d'Alain Tabourian montrent en outre que le déficit énergétique du pays devrait s'approfondir au cours des cinq prochaines années (temps nécessaire pour construire une centrale électrique classique), passant à 46 % de la consommation en 2011 et à 58 % à 2014.

Un déficit financier
En parallèle, EDL enregistre un déficit financier colossal, notamment dû à sa consommation de combustibles. En effet, à un prix hypothétique du pétrole à 40 dollars, les salaires (136 millions de dollars) ne représentent que 13 % des charges de la compagnie. Cette part se réduit à 7 % pour un cours de 90 dollars par baril et à 5 % pour un prix du brut à 140 dollars.
De même, la part des coûts de fonctionnement et de maintenance (64 millions de dollars) est respectivement de 6, 3 et 2 % du total des charges dans chacun des trois scénarios précités concernant les cours du brut.
De son côté, la consommation de combustibles représentera 81 % du total des charges (864 millions de dollars), si le cours du brut était de 40 dollars, 90 % (1,772 milliard de dollars) pour un prix de 90 dollars par baril et de 93 % (2,680 milliards de dollars) pour un cours de 140 dollars.
« La consommation de combustibles a donc le plus grand impact sur le déficit financier de la société, a souligné le ministre à cet égard. D'autant que l'effet du vol de courant sur le déficit ne dépasse pas les 19 % et celui des pertes techniques n'est que de 15 %, sachant que 95 % des montants facturés sont effectivement collectés. »

La privatisation, « une solution inefficace »
Sur base de ces constats, Alain Tabourian conclut qu'« EDL a les pieds et poings liés, d'autant qu'on la prive de ressources humaines et que la décision d'augmenter les tarifs relève de l'unique ressort du Conseil des ministres qui n'est pas à même de la prendre dans le contexte actuel ». « Que donc peut faire EDL ? s'est-il interrogé. On est en train de casser cette compagnie. Toutes les accusations formulées à son encontre sont purement politiques. Sa privatisation n'est qu'une proposition idéologique et n'est pas la solution miracle à nos problèmes. »
Comme preuve à l'appui de son jugement, le ministre cite une étude de l'Université de Greenwich, qui souligne que « les consommateurs ont perdu des milliards de livres sterling du fait de la privatisation du secteur énergétique qui n'a profité qu'aux actionnaires des sociétés privées ». Pour lui, il serait même « aberrant » d'implanter au Liban le schéma « Independant Power Producer » ou IPP que préconise le Haut conseil de la privatisation.
Dans ce type de montage, une société privée construit une centrale et la fait fonctionner tout en garantissant un rendement défini alors que l'État lui fournit les combustibles et lui achète l'électricité. « Pour un projet pareil, a noté Alain Tabourian, le privé demande un rendement de l'ordre de 15 %, alors que l'État peut emprunter à 2 % aux fonds arabes pour construire une centrale. Pourquoi payer au secteur privé un surcoût aussi phénoménal ? »

Les solutions proposées
Pour régler la crise aiguë de l'électricité, le ministre de l'Énergie propose un plan à deux segments à implanter à court terme et à moyen terme.
Pour couvrir les besoins énergétiques du pays en attendant la construction de nouvelles centrales c'est-à-dire à horizon de cinq ans, il s'agit d'acquérir des générateurs fonctionnant au fuel (« reciprocating engines ») pour une capacité de 600 à 1 000 MW. Ces équipements, dont l'installation nécessite entre six mois et un an et demi respectent les standards 2008 de la Banque mondiale en matière de pollution et de nuisance sonore et sont installés en France, aux Bahamas, à Ibiza et au Royaume-Uni, d'après Alain Tabourian.
Le prix de ces générateurs est compris entre 800 et 2 000 dollars par kW de capacité. Leur acquisition devrait donc coûter entre 480 millions de dollars et 1,2 milliard de dollars pour une capacité de 600 MW. Les chiffres du ministre montrent toutefois que l'utilisation de ce type de générateurs permettra de réduire le déficit financier d'EDL à 740 millions de dollars pour un cours du brut à 140 dollars et à 328 millions de dollars pour un prix de 90 dollars. « Les coûts de fonctionnement de ces générateurs ne dépassent pas la moitié de ceux des turbines de Baalbeck et de Tyr », a ajouté Alain Tabourian.
Il s'agit également d'introduire des incitations à la réduction de la demande, d'investir « modestement » pour réduire les pertes techniques, d'installer des kits pour tirer 180 MW de plus des centrales de Zahrani et de Deir Ammar, et de convertir au fuel ces deux installations. « L'État aurait pu économiser 2 milliards de dollars sur 15 ans si Zahrani et Deir Ammar fonctionnaient au fuel et non au gasoil, a indiqué Alain Tabourian. Cette mesure n'a toutefois pas été inscrite à l'ordre du jour du Conseil des ministres. De ce fait, l'État perd près d'un million de dollars par jour. »
À moyen terme (plus de 5 ans), le ministre propose de construire de nouvelles centrales dont la propriété revient à l'État, mais dont l'implantation et la gestion pourraient par le biais de partenariat entre le public et le privé (PPP). Il met enfin l'accent sur la nécessité de garantir la sécurité de la production en diversifiant les combustibles utilisés par les centrales et en signant des contrats sur plusieurs décennies avec des fournisseurs spécialisés. « Je pense que le charbon restera à long terme la source d'énergie la plus abondante et la moins chère, même en prenant en considération les charges de l'installation d'un système antipollution dans chaque centrale », a conclu Alain Tabourian.
Face à la quasi-indifférence générale de la classe politique à l'égard de la crise électrique qui assombrit le quotidien des Libanais, Alain Tabourian ne cesse de tirer la sonnette d'alarme. Le ministre sortant de l'Énergie avertit qui veut bien entendre que le pays « s'oriente droit vers la catastrophe dans le domaine...
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