En filigrane de ce refus affiché de s'ingérer dans les affaires de son voisin, la Syrie estime probablement que le moment de « faciliter » la création d'un nouveau gouvernement présidé par Saad Hariri n'est peut-être pas encore venu. Car il s'agit pour Damas de consolider sa position d'acteur régional incontournable, surtout à l'aune de la crise qui secoue la République islamique d'Iran. Pour cela, les responsables syriens seraient en train d'exiger une participation effective aux pourparlers de paix, confortés par certaines assurances de la communauté internationale en ce qui concerne le refus de l'implantation des réfugiés palestiniens. De plus, Damas voudrait obtenir de l'Union européenne la signature du partenariat et l'ouverture arabe et internationale qui lui sont nécessaires pour l'étape à venir.
Le train de l'entente syro-saoudienne a donc été freiné en pleine course. Toutefois et malgré l'impact incontestable de cet immobilisme soudain sur la scène locale, il conviendrait de ne pas baisser les bras. De ne pas ralentir le rythme des concertations internes sous prétexte qu'à l'extérieur, la situation se complique. Et cela, le Premier ministre désigné l'a compris. Depuis le début de la semaine, il s'est employé à se réunir avec ses alliés du 14 Mars, et hier il s'est entretenu avec le ministre des Télécommunications sortant Gebrane Bassil, envoyé à Koraytem par le chef du CPL, Michel Aoun. À L'Orient-Le Jour, M. Bassil a affirmé qu'il s'agissait là d'« un début de processus de dialogue » et d'« un bon point de départ ». « Même si au niveau du fond il y a encore des choses à redire, c'est quelque chose qu'il fallait faire depuis longtemps », a-t-il également souligné, sans préciser toutefois en quoi l'entrevue avec M. Hariri avait été positive. En clair, le contact entre le Courant du futur et le Courant patriotique libre est repris, mais l'entente est loin d'être scellée.
En parallèle, les observateurs notent le silence quasi assourdissant du Hezbollah, du chef du mouvement Amal et président du Parlement, Nabih Berry, ainsi que du chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt. « Tout le monde est conscient que la phase que nous traversons est très délicate », insiste à cet égard une source informée. Toujours du côté de l'opposition, le député Sleimane Frangié a voulu clarifier la teneur réelle de l'influence syrienne sur le 8 Mars en soulignant que Damas ne décide pas en lieu et place de l'opposition mais en coopération avec celle-ci. Il a également tenu à dire que si l'opposition respectait la « part » allouée au président de la République Michel Sleiman dans le prochain gouvernement, il n'en reste pas moins que « la part du président est celle du président, et la part de l'opposition est celle de l'opposition ».
Parallèlement, et concernant un éventuel resserrement des liens entre les Kataëb et le CPL, une source Kataëb a tenu à relever l'ampleur des points communs qui lient son parti au courant de Michel Aoun, notamment « au niveau parlementaire, en ce qui concerne le projet de loi sur la nationalité, à titre d'exemple ». Un common ground existe et il permet de « dépasser les clivages » politiques traditionnels, car « l'alliance du CPL avec le Hezbollah n'est pas de nature idéologique ». Toutefois, poursuit cette source, le CPL souffre aujourd'hui d'un problème de positionnement et il se trouve par la force des choses « dans l'impasse ». La question sera donc de savoir si dans le court terme, le Courant patriotique libre saura ou non négocier l'étape à venir en se forgeant bon gré mal gré une marge de manœuvre en dépit d'une alliance avec le Hezbollah qui lui pèse de plus en plus. Toujours selon la source Kataëb précitée, le 14 Mars est plus que jamais décidé à faire bloc à un retour en force de Damas dans les affaires libanaises, et l'opposition ne verrait pas d'un bon œil un come-back qui revêtirait des allures d' « appel d'offres pour se substituer au camp du 8 Mars ». « Quant à l'Occident, il a d'ores et déjà fait l'expérience de cela avec la Syrie » et ne serait donc pas tenté de la réitérer. D'où un blocage institutionnel qui menace de durer et qui devrait pousser les responsables politiques à trouver, en interne, une solution gouvernementale médiane, capable d'apaiser les tensions tout en permettant aux institutions de reprendre leur cours normal.