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Législatives : juin 2009 - Tout le monde en parle

Après les élections, un rôle historique pour le président Sleiman

Le président de la République libanaise, Michel Sleiman, est manifestement un homme patient ; nous ignorons par contre toujours s'il saura être un président fort ou, au contraire, en marge de la scène politique libanaise. Depuis son élection en mai 2008, par une volonté prudente de préserver sa neutralité politique, il a fait relativement peu d'allocutions publiques et télévisées. Il n'a que rarement exprimé sa position sur les conflits politiques et idéologiques internes qui secouent dangereusement le Liban.
Michel Sleiman semble avoir attendu depuis un an l'échéance des élections du 7 juin 2009 pour faire la preuve de ses capacités politiques. Pendant l'année écoulée, il aura cependant réussi à convoquer des élections législatives dans un climat local pourtant très tendu. Mais surtout, il s'est créé un nouvel atout de taille, une légitimité internationale et en a préservé un autre, déjà acquis du temps où il était commandant en chef de l'armée : sa neutralité politique.
Pour l'année écoulée, sa stratégie a consisté dans un premier temps à se prémunir d'une légitimité et donc d'un soutien internationaux. Pour l'instant, le succès de sa démarche se limite à avoir été reçu et écouté par les États les plus représentatifs des deux principaux axes politiques régionaux : États-Unis (septembre 2008), Iran (novembre 2008), Syrie (août 2008), France (mars 2009), Qatar (septembre 2008) et Arabie saoudite (octobre 2008).
Au-delà des élections législatives, et pour les cinq années restantes de son mandat, le président Sleiman devra investir ce soutien international dont il bénéficie pour s'impliquer avec force sur la scène politique nationale et imposer à tous les « animaux politiques » libanais ses idées de réformes et de stabilisation des faibles institutions de l'État. Faute d'implication, il ne sera qu'un président de protocole et sans influence sur les sujets épineux qui ne manqueront pas de marquer son mandat. Il n'aura alors réussi, au mieux, qu'à ne pas se faire trop d'ennemis.
Deuxièmement, au niveau national, le président a réussi pendant une année à garder l'approbation des deux principaux courants politiques libanais antagonistes, les forces dites du 14 Mars et celles du 8 Mars. Au-delà des élections, il semble être prêt à travailler avec le prochain vainqueur des élections, quel qu'il soit. De ce fait, il reste accepté par tous en tant que force politique neutre.
Mais dans les faits, et dès les premiers jours de son mandat, une course contre la montre était lancée pour éviter une nouvelle guerre civile libanaise. S'il était indispensable d'attendre le bon moment postélectoral pour mettre en place des réformes politiques vitales pour la stabilité du pays, cette attente incarnait également un risque important. On verra bientôt plus clairement si la patience de Sleiman au cours de l'année écoulée se sera avérée bénéfique ou inutile. Ce sera selon qu'il réussira à appliquer des réformes, ou qu'il sera au contraire rattrapé par le temps et près de voir le Liban s'enfoncer dans une nouvelle guerre sous son mandat.
Ce président, nous ne devons pas l'oublier, n'est en effet arrivé à son poste qu'à la suite d'une miniguerre civile, durant laquelle les diverses milices constitutives de deux tendances politiques antagonistes (Courant du futur et Hezbollah) se sont affrontées dans la rue. C'était en mai 2008. La vision d'un Liban prooccidental et fer de lance du capitalisme libéral s'opposait en effet à celle d'un Liban modèle de résistance arabe contre l'occupation israélienne et société libérée de la corruption. C'est dans le cadre de cette polarisation politique extrême entre deux visions paradoxales que les accords de Doha du 21 mai 2008 avaient ainsi abouti à la désignation d'un président. Mais même après les élections, la population restera clairement divisée en deux groupes que tout semblait séparer. L'écart des votes sera minime, les deux camps prenant constamment le risque d'arriver à une situation explosive, exactement comme en mai 2008.
C'est pourquoi le rôle du président, après ces élections, consistera surtout à « dépressuriser » les points de tension entre les deux pôles. Cette tâche est astronomique. Elle devrait inclure les éléments suivants :
- Au mieux, l'intégration sous son mandat des armes du Hezbollah dans les institutions sécuritaires libanaises. Et au pire, la préservation du statu quo tout en évitant que le parti de Dieu n'entre dans une nouvelle guerre avec Israël pour renforcer sa légitimité chiite. Cette énième démonstration de force mènerait en effet à une nouvelle destruction des infrastructures libanaises, voire à une réoccupation israélienne.
- Au mieux, l'acceptation - ou du moins sa non-opposition - des jugements à venir du Tribunal spécial pour le Liban en charge de l'affaire de l'assassinat de Rafic Hariri.
- Au minimum, le président devra renforcer les institutions étatiques existantes (et au mieux les réformer), notamment pour ce qui concerne les services de sécurité. Ces derniers devraient fusionner nombre de leurs services de renseignements, contre-terrorisme et contre-espionnage. Ces services doivent clairement se répartir les tâches sécuritaires afin d'éviter les doublons, qui mènent à l'utilisation clientéliste de ces services par tel ou tel autre acteur politique à des fins confessionnelles. De même, il lui faudra renforcer de façon palpable l'armée, seule institution perçue comme étant réellement neutre et représentative de tous. Idéalement, elle devrait obtenir les moyens d'une force de dissuasion crédible.
- La redéfinition, dans le cadre d'un dialogue social et politique, de valeurs nationales et identitaires libanaises communes dans lesquelles les Libanais des deux bords politiques se retrouveraient et retrouveraient leurs raisons d'être et de vie en commun. À l'heure actuelle, les Libanais des deux camps ont en effet surtout tendance à mettre en avant leurs différences, ce qui les pousse au conflit et au rejet de l'autre.
Ces missions doivent se dérouler dans un contexte où le président aurait réussi, comme il l'a exprimé dans un entretien aux hebdomadaires politiques libanais le 12 mai, à obtenir un gouvernement d'entente nationale fonctionnel où le camp vainqueur des élections « ne campera plus sur ses positions ». Ce gouvernement inclura des ministres de tous les bords politiques, vainqueurs et vaincus des élections - système consensuel de partage du pouvoir oblige.
- Il lui faudra, dans le meilleur des cas, mener à bien un hypothétique processus de paix sur la base de l'initiative de paix adoptée lors du sommet arabe de Beyrouth en 2002 et incluant une solution définitive pour la présence palestinienne au Liban. Faute de quoi, le président devra, au minimum, gérer dans la stabilité cette poudrière que sont les camps de réfugiés palestiniens au Liban. Ces derniers sont simultanément sujets aux divisions interpalestiniennes et à une radicalisation croissante, comme l'a illustré la bataille du camp de Nahr el- Bared en 2007.
- Continuer à renforcer et réorienter les relations avec la Syrie sur la base du respect de la souveraineté des deux États en y incluant les épineuses questions du tracé des frontières et du sort des disparus. L'exercice est délicat puisque la Syrie défend habituellement ses intérêts en montant les acteurs libanais les uns contre les autres, comme cela sera probablement le cas entre le président Michel Sleiman et le leader chrétien maronite Michel Aoun.
- Finalement, la réorganisation, dans la stabilité, des élections législatives de 2013, et ce si, et seulement si, le président Sleiman arrive à mener le Liban vers 2013 en évitant une guerre civile.
Le président Sleiman a donc bâti sa stratégie de leadership politique en tablant sur l'après-juin 2009 et un soutien politique international de taille. Depuis ce mois de juin, son mandat pourrait devenir historique, puisqu'il pourrait incarner celui qui a réussi à réformer les institutions étatiques et à mener le Liban vers un partage du pouvoir plus équilibré entre les différentes confessions. Soit une réorganisation du pouvoir, vitale pour éviter au Liban de plonger dans une énième guerre civile. Par contre, si sa neutralité politique ne réussit pas à se transformer en vecteur de réformes politiques acceptées de tous, son mandat brillera par son aspect purement protocolaire, et l'on ne pourra alors qu'observer, impuissant, une nouvelle descente du Liban aux enfers.

Nadim HASBANI
Analyste politique
Le président de la République libanaise, Michel Sleiman, est manifestement un homme patient ; nous ignorons par contre toujours s'il saura être un président fort ou, au contraire, en marge de la scène politique libanaise. Depuis son élection en mai 2008, par une volonté prudente de préserver sa neutralité politique, il a fait relativement peu d'allocutions publiques et télévisées. Il n'a que rarement exprimé sa position sur les conflits politiques et idéologiques internes qui secouent dangereusement le Liban.Michel Sleiman semble avoir attendu depuis un an l'échéance des élections du 7 juin 2009 pour faire la preuve de ses capacités politiques. Pendant l'année écoulée, il aura cependant...