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Liban - Analyse

Lecture à froid d’élections très chaudes

Cinq mois de campagnes électorales outrancières et souvent violentes pour aboutir à un paysage politique à quelques sièges près, quasi identique à celui d'avant le 7 juin, il y a de quoi se demander si toute cette mobilisation en valait la peine. Mais les élections législatives du 7 juin ont eu le grand mérite de s'être bel et bien déroulées sans incident notoire, alors que jusqu'à la dernière semaine, certains pronostics prévoyaient qu'elles ne se tiendraient pas à la date prévue.
Si on lit les résultats à froid, maintenant que la tension est plus ou moins retombée, on se rend compte que ces élections ont plus ou moins consacré le statu quo qui existait avant leur déroulement. Selon les chiffres récoltés auprès de divers instituts de sondages : le Courant du futur a consolidé son emprise sur la communauté sunnite avec une mobilisation extraordinaire. En gros, il a ainsi récolté 75 % des suffrages de la communauté, avec des pics de 85 % dans les circonscriptions de Beyrouth et même à Zahlé. Ainsi, Oussama Saad, dont la famille et le courant sont implantés à Saïda depuis des lustres, n'a atteint que 27 % des voix sunnites, l'ancien Premier ministre Omar Karamé a obtenu 26 % à Tripoli, Jihad Samad à Denniyé a obtenu 21 % et Abdel Rahim Mrad a pu atteindre les 28 % dans la Békaa-Ouest. Les druzes ont donné 68 % de leurs suffrages à Walid Joumblatt, laissant à peu près 25 % à ses rivaux. Le Hezbollah a lui aussi augmenté ses scores au sein de la communauté chiite. Il a obtenu, avec son allié le mouvement Amal près de 90 % des voix chiites, avec des pics de 92 % à Baalbeck-Hermel, à Nabatiyé et même à Jbeil (90 %). Les rivaux du tandem Hezbollah-Amal n'ont obtenu que des chiffres dérisoires et le scrutin qui était pour le Hezbollah un référendum auprès des chiites sur l'option de la résistance a atteint ses objectifs sur ce plan-là. Chez les chrétiens, le général Aoun s'est imposé comme une force incontournable, notamment dans la profondeur maronite du Kesrouan. Si, selon les chiffres, sa popularité a baissé, il n'en reste pas moins le leader chrétien le plus représentatif de sa communauté, surtout après avoir affronté, comme il le dit lui-même, une « guerre universelle », ayant contre lui, les familles, les partis, la communauté internationale, et même le patriarche maronite et plus ou moins le chef de l'État. Mais la division chrétienne reste intacte : les Forces libanaises ont conservé leur bloc et les Kataëb ont augmenté le leur. Le PNL est revenu au Parlement. En somme, aucune partie n'a été éliminée et les équilibres sont similaires à la situation d'avant les élections. La seule différence, c'est que les accusations lancées par l'opposition contre la majorité, lors de la période précédente, d'être fictive car issue de l'accord quadripartite de 2005 ne sont plus de mise, puisque celle-ci a bel et bien obtenu une majorité confortable.
La première conclusion de ce scrutin, affirment les observateurs, est que le découpage électoral de 1960 a permis une plus grande radicalisation communautaire et que si les petits groupes veulent avoir un jour la chance d'être représentés au Parlement, il faudra forcément adopter un système proportionnel.
La seconde conclusion est que les résultats des élections rassurent la communauté internationale qui ne cachait pas son inquiétude au sujet d'une éventuelle victoire de l'opposition. Une telle victoire avait d'ailleurs été largement évoquée et au sein de l'opposition, on y croyait ferme.
Aujourd'hui, avec un peu de recul, les chefs de file de l'opposition reconnaissent qu'ils ont commis des erreurs. D'abord, ils ont été pris au piège de leurs propres déclarations. À partir du moment où ils assuraient que ce scrutin n'est pas existentiel, ils ont contribué à affaiblir la mobilisation de leurs bases. D'autre part, les apparitions tardives mais répétées du secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah pour donner un élan aux chiites ont affaibli les sunnites de l'opposition. Et lorsqu'il a qualifié le 7 mai de « jour glorieux » (avant de se rétracter), certains chefs de la majorité ont déclaré à leurs proches : « Nous allons remporter la bataille de Beyrouth. » À vouloir trop mobiliser les chiites, il a braqué contre lui les sunnites et comme l'a déclaré le chef du Courant du futur Saad Hariri, le vote sunnite du 7 juin a été en partie une riposte au 7 mai 2008. De plus, les chefs de l'opposition ont fait preuve d'un excès de confiance, omettant de prendre au sérieux l'afflux des émigrés. Selon Sleimane Frangié, entre mardi et dimanche derniers, 56 000 personnes sont arrivées à Beyrouth pour participer aux élections. À Zahlé, certains électeurs ont confié avoir vu des personnes dont ils n'avaient plus entendu parler depuis 1975... À Achrafieh, l'opposition a estimé trop rapidement avoir remporté la bataille sans prendre en considération l'afflux des électeurs au cours de la dernière heure. Enfin, dans certaines circonscriptions, comme la Békaa-Ouest, l'opposition a attendu en vain les naturalisés qui devaient venir de Syrie et ceux-ci ne sont jamais venus, ou alors en nombres dérisoires (500 au plus). D'ailleurs, l'attitude de la Syrie reste une énigme pour ses propres alliés, car elle n'a pas levé le petit doigt pour eux, à Tripoli, au Akkar ou dans la Békaa-Ouest. Par crainte de l'attitude de la communauté internationale, par désintérêt de l'opération électorale ayant en vue les développements régionaux, ou encore parce qu'elle était trop sûre de la victoire de l'opposition ? Il faudra procéder à une lecture en profondeur de ce dossier.
Dernière erreur et non la moindre, l'opposition a mené la bataille en rangs quasiment séparés. Le général Aoun s'est battu pratiquement seul, avec ses propres slogans, ses alliés chiites avaient les siens et l'opposition sunnite travaillait seule, alors que l'émir Talal Arslane menait ses propres accords. La rivalité entre Aoun et Berry au sujet de Jezzine n'est pas venue arranger les choses, même si les deux hommes ont respecté leur engagement de ne pas laisser le conflit déborder sur d'autres circonscriptions.
Maintenant que la fièvre électorale est tombée et que certains candidats préparent des dossiers pour présenter des recours devant le Conseil constitutionnel, force est de constater que dans une grande partie des circonscriptions, les voix sunnites ou chiites sont déterminantes et les chrétiens, à cause de leurs divisions, ne sont plus en mesure de faire la différence. C'est l'apport de 32 000 voix sunnites, selon Élias Skaff (avec un pourcentage de près de 70 % des suffrages de cette communauté), qui a permis la victoire de la liste de la majorité à Zahlé. Le vote sunnite a été aussi décisif à Beyrouth 1, alors que le vote chiite a donné la victoire à l'opposition à Jbeil et à Baabda.
Aujourd'hui, les dés sont jetés et la majorité est confortée dans sa victoire. L'opposition par la voix de ses ténors a reconnu les résultats et accepté sa défaite. Mais elle n'est pas suffisamment affaiblie pour renoncer à poser des conditions dans les échéances à venir...
Cinq mois de campagnes électorales outrancières et souvent violentes pour aboutir à un paysage politique à quelques sièges près, quasi identique à celui d'avant le 7 juin, il y a de quoi se demander si toute cette mobilisation en valait la peine. Mais les élections législatives du 7 juin ont eu le grand mérite de s'être...

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