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Législatives : juin 2009 - Pour aller plus loin - En toute liberté

L’heure des élites

Les acteurs du drame de 1988 sont de nouveau face à face. Et face à l'histoire. Emporté par une vague de violence à laquelle il a survécu par miracle, Michel Aoun attend, une fois de plus, son heure, même si, pour son avènement, quelque chose qui ressemble au Liban doit flamber.
En face, deux autres protagonistes : Amine Gemayel, président de la République à l'époque, aujourd'hui simple président du parti Kataëb, et Samir Geagea, ancien chef d'une milice chrétienne, devenue aujourd'hui parti, adulé par ses hommes, honni par une large partie des chrétiens pour les exactions en tout genre commises par ses hommes contre une société à laquelle ils voulaient imposer, de force, leur chape protectrice.
L'homme a présenté des excuses sincères pour beaucoup d'actes « ignobles » - c'est son propre terme - accomplis durant des moments d'aveuglement de la guerre - exécutions capitales, liquidations, assassinats occultes, sans parler des razzias sur les finances et les levées de fonds -, rien n'y fait. La « société chrétienne » ne le souffre toujours pas, bien que son discours soit devenu rationnel, qu'il ait sincèrement renoncé à l'option militaire et qu'il ait expié, personnellement, une partie de ses crimes, en passant onze ans dans une cellule souterraine où il aurait pu laisser sa santé et sa raison.
Des acteurs régionaux et internationaux. La Syrie, dont la présence trouble le jeu entre Libanais depuis l'indépendance. Un nouvel acteur entré dans son sillage, l'Iran. Israël, repoussoir universel. Washington, quelques ambassades. Le décor est planté.
Quelle heure a donc sonné, au cadran de l'histoire, pour le Liban ? L'heure chrétienne ? Au moment même où la bataille est à son paroxysme, le synode maronite décide de se recueillir, et les portes de Bkerké se ferment pour la retraite annuelle du patriarche maronite, témoin déchiré de ce drame depuis qu'il a éclaté, d'abord comme évêque, ensuite comme chef de l'Église maronite.
Quels sont les choix qui se présentent ? Deux jeux d'alliance sont en présence. L'un arrime le Liban à l'Occident, États-Unis et Europe en tête, avec leurs ambiguïtés, ainsi qu'au monde arabe qui gravite dans leur orbite, en gros, le monde arabe sunnite, surtout l'Égypte et l'Arabie saoudite, mais sans exclusives.
L'autre arrime le Liban à la Syrie et à l'Iran : à la Syrie, dont les rapports au Liban sont ambigus, malgré l'échange d'ambassadeurs tardif et contraint qui donne l'illusion que quelque chose a changé, ainsi qu'à l'Iran, qui se dresse contre l'impérialisme des États-Unis, le Grand Satan, mais dont les ambitions et l'expansion idéologique la positionnent pour devenir elle-même un nouvel impérialisme en raison d'une organisation pyramidale de l'autorité au sommet de laquelle siège un « wali », un vicaire de Dieu, à qui reviennent les grandes décisions « temporelles et spirituelles ».
Culturellement, les deux sociétés syrienne et iranienne sont bien dissemblables ; mais politiquement, elles sont proches par la nature autoritaire de leurs gouvernements, comme par les affinités religieuses de leurs classes dominantes : ici les alaouites, une secte syncrétiste de l'islam, là les chiites, une autre secte - toutes deux historiquement honnies par l'orthodoxie sunnite.
Où se trouve l'intérêt des Libanais de religion chrétienne ? Ont-ils intérêt à cette « alliance des minorités » - chiites, alaouites, chrétiens - qui conjugue ses forces, face à la mer sunnite (90 % des musulmans) ?
Doivent-ils, au contraire, rester neutres à l'égard de cet axe - et de tout axe - et demeurer ce qu'ils sont, la courroie de transmission culturelle entre le monde arabe et une culture occidentale à laquelle ils participent par leurs racines chrétiennes, fondement de la modernité, quoi qu'on fasse ou dise ?
L'Église maronite, pour sa part, a tranché pour la seconde option. Michel Aoun s'inscrit dans une optique diamétralement opposée. Dans quelques jours, l'électorat chrétien dira dans quelle direction vont sa sensibilité et ses choix. Sur les 128 sièges que compte le Parlement libanais, une centaine sont pratiquement pourvus, au sens où le découpage de la circonscription, le nombre des électeurs et leur appartenance confessionnelle déterminent à l'avance l'identité politique des députés qui y pourvoiront.
La véritable bataille se livre donc pour 25 à 28 sièges, qui seront répartis entre les deux forces antagonistes, celles du 14 et du 8 Mars, et quelques indépendants qui se rangent sous la bannière d'un centre proche du chef de l'État. Autant dire que la majorité qui se dessinera sera relativement étriquée et ne permettra pas vraiment à celui qui l'emporte de gouverner seul. La victoire d'un camp ou de l'autre sera essentiellement psychologique, dans la mesure où elle fera ressortir clairement dans quel camp se situe la majorité des chrétiens au Liban, sans que cette majorité n'influe radicalement sur la politique du régime, dans la mesure où cette politique obéit et obéira à de nombreux autres paramètres aussi importants que le verdict des urnes.
Il s'agit donc de voir sur quelle option va porter le choix des chrétiens du Liban. Un choix conscient ? C'est douteux en ce qui concerne le courant de Michel Aoun, auquel on a trompeusement fait croire que son combat est livré à l'intégrisme sunnite pur et dur qui se cache sous le masque de l'islam modéré, prêt à le transformer en un citoyen de seconde classe, en « dhimmi » .
Il s'agit, sans aucun doute, d'une caricature, mais la réalité sur le terrain évolue si lentement, quand elle ne régresse pas, que l'on est tenté parfois de désespérer d'une politique d'ouverture au pluralisme de l'univers sunnite, en particulier saoudien et égyptien. Même au Liban, on note une radicalisation de Dar el-Fatwa, à la suite de l'humiliation infligée à la communauté par le Hezbollah, un « jour glorieux » de mai dernier. Le Courant du futur devrait en tenir compte et réagir.
En face, on propose à l'électeur de base le « triomphal » modèle de la Syrie où Michel Aoun peut parader et se faire ovationner, et où, effectivement, les chrétiens sont plus à l'aise que dans bon nombre de pays « sunnites », si l'on accepte d'oublier qu'on est dans une société dont la liberté de pensée et d'expression est absente.
Dans le choix d'une option, il ne faudra pas non plus oublier le facteur personnel. Populisme oblige, il n'y a pas d'équivalent, au sein du 14 Mars, à la figure charismatique de Michel Aoun, sinon peut-être celle du druze Walid Joumblatt.
Concluons. On l'aura compris, malgré ses immenses atouts, l'option occidentale souffre de plusieurs handicaps : pauvreté de l'ouverture sunnite sur la modernité ; repoussoir israélien, dont la conduite odieuse à l'égard des Palestiniens embarrasse les pays arabes qui s'en sont rapprochés ; souvenir ulcérant de la duplicité américaine, que Washington s'efforce par tous les moyens de faire oublier.
Tout laisse croire, de ce fait, que c'est l'élite qui saura aller au-delà des apparences et des ambiguïtés, qui fera pencher la balance. On comprend aussi combien le débat politique manichéen a été simplifié plus que de raison, et combien il aurait fallu aussi garder les candidats inclassables, comme ceux du Mouvement du Renouveau démocratique, qui « parlent » aux élites, plutôt que de les évacuer au profit des candidats partisans purs et durs, qui sont des copies conformes de leurs chefs.
En face, deux autres protagonistes : Amine Gemayel, président de la République à l'époque, aujourd'hui simple président du parti Kataëb, et Samir Geagea, ancien chef d'une milice chrétienne, devenue aujourd'hui parti, adulé par ses hommes, honni par une large partie des chrétiens pour les exactions en tout genre commises par ses...