Les responsables traitaient le problème par des bouffées alternées d'autoritarisme et de risettes diplomatiques. Les opérations musclées, qui faisaient tués et blessés, suffisaient cependant pour qu'en temps ordinaire les gendarmes se fissent respecter. Quand un incident grave se produisait, l'armée venait les épauler et son intervention était redoutée de tous. Car elle était autorisée à tirer à vue sur tout agresseur armé.
Évidemment, le tableau a complètement changé avec la guerre, les milices, les armées étrangères aussi, ont proliféré sur fond de politique souvent mafieuse. L'État et la loi n'étaient plus que des formes vidées de presque toute leur substance.
La cause initiale de ce désastre, qui a duré tant d'années, était l'irruption des fedayin, qui après avoir été écrasés en Jordanie s'étaient rabattus sur le Liban pour s'y forger un État. Ils avaient pris pied d'abord dans le Arkoub, pour se répandre ensuite dans presque tout le pays, Arafat faisant de Beyrouth sa capitale, avec le concours du Mouvement national. Les Palestiniens, après avoir prétendu que leurs armes étaient destinées à combattre les Israéliens, n'ont pas tardé à les tourner vers l'intérieur. La guerre dite des deux ans qu'ils ont ainsi déclenchée allait faire un nombre incalculable de petits. Malgré l'entrée des Syriens en 1976, le Liban a subi des conflits violents et des invasions pendant 13 ans, puis une oppression syrienne de quelque 16 ans. Période marquée par une double ligne de l'occupant : diviser pour régner, et maintenir le pouvoir libanais et son armée en état de faiblesse chronique, après s'être débarrassé du concurrent palestinien, expédié à Tunis, ainsi que des gêneurs libanais, assassinés, exilés à Paris ou emprisonnés. Tandis que Taëf était tronqué à dessein : l'on avait désarmé les milices libanaises que les Syriens ne pouvaient pas manipuler, mais pas les organisations palestiniennes placées sous leur coupe.
Le Hezbollah émergent a également bénéficié, à partir des années quatre-vingt, du soutien d'une Syrie qui s'en servait comme d'un instrument commode pour garder ouvert le front du Sud-Liban, tandis que le Golan restait calme. Or aujourd'hui, après le départ des Syriens et la décision de politiser intérieurement la Résistance pour les remplacer, l'armement du Hezbollah constitue de loin la principale entrave à la création d'un État libanais digne de ce nom. On ne peut traiter cette question comme on pouvait encore le faire avec les milices locales ou palestiniennes du temps de la guerre. Car le Hezb refuse tout simplement d'en discuter, affirme que son arsenal est sacré, intouchable, et taxe de traître quiconque en réclame la régulation.
Or l'État ne peut tout simplement pas prendre corps tant que des régions échappent à son contrôle et tant que toutes les fractions ne se soumettent pas à la loi. Il est donc évident que le maintien de l'armement illicite est une décision essentiellement politique. D'inspiration étrangère, certes, l'Iran et la Syrie l'avouant sans vergogne. Mais de nature profondément locale, illustrée par le projet d'une IIIe République qui serait plus khomeyniste qu'autre chose.