À deux semaines des législatives, se retrouvent face à face d'anciens acteurs de la vie politique locale représentant les familles et la féodalité, notamment Gebran Tok et Roy Issa el-Khoury, et les députés actuels de Bécharré, Sethrida Geagea et Élie Keyrouz. Ajoutons à ce tableau des candidats indépendants qui, selon les sondages, ne changeront rien au classement final. Sont donc en lice pour les deux sièges maronites, Sethrida Tok Geagea, Élie Keyrouz, Gebran Tok, Roy Issa el-Khoury, Rachid Rahmé, Magid Abi Saab, Chahine Tok et Mikhaïl Matta.
On reconnaît l'entrée du caza, qui compte 44 885 électeurs inscrits, avec une majorité écrasante de chrétiens maronites, aux portraits géants des candidats les mieux placés selon les sondages. Ainsi, on retrouve côte à côte les candidats FL, Sethrida Geagea et Élie Keyrouz, et presque en face, tout au long du trajet qui vous mène à Bécharré, celui de Gebran Tok, souriant et confiant. C'est chez ce dernier que l'ambiance des préparatifs pour les élections a été sondée en premier. Ancien député et politicien chevronné, Gebran Tok n'a cédé son siège au Parlement qu'à contre-cœur en 2005, malgré un score de 48 278 voix (à l'échelle de toute la circonscription qui n'était pas limitée, en 2005, à Bécharré) et ce « à cause des conditions anormales dans lesquelles se sont déroulées les législatives à l'époque ». Selon lui, les conditions cette année sont de loin plus rassurantes, en ce qui concerne sa candidature.
Gebran Tok se lance ainsi dans la bataille tout seul sans allié, du moins officiellement. Une bataille contre « l'uniformité et l'avis unique ». Il est indépendant et ne se considère pas un partisan du 8 Mars ; selon lui, les slogans adoptés par le 14 Mars, notamment la liberté, la souveraineté et l'indépendance, sont les principes de tout citoyen né dans la Jobbé de Bécharré et non pas ceux des partisans du 14 Mars exclusivement. C'est un Gebran Tok assez confiant qui porte un regard critique, mais compréhensif, vu les circonstances, sur les quatre dernières années, sans attaquer directement les députés Geagea et Keyrouz, « laissant cela aux soins des citoyens ». En effet, pour l'ancien député, Bécharré, qui a connu de longues périodes de misère et de privations, n'a pas vu le bout du tunnel durant le mandat des députés FL ; au contraire, la déception fut la reine de la situation, et cette inertie des actuels députés lui permettra de rebondir sans problèmes, « car de tout temps, j'ai fait mon possible afin de servir ma région et mes concitoyens, surtout durant l'hégémonie syrienne, durant laquelle j'ai mis à la disposition des habitants mes contacts et mon influence pour éviter à Bécharré le pire ».
« Nous ne nous sommes jamais éloignés de notre peuple, même durant ces quatre dernières années, et nous comptons revenir au Parlement pour poursuivre tous les projets préparés avant 2005 », souligne-t-il. En profitant d'un découpage électoral qu'il qualifie « d'avantageux », M. Tok se dit rassuré quant aux résultats qui, selon lui, lui assureront un siège au sein du Parlement, tout en laissant une place libre à l'un des candidats FL.
Respect de Bkerké
Par ailleurs, dans son programme électoral, Gebran Tok promet la création de nouveaux emplois, le soutien illimité aux conseils municipaux de la région pour la réalisation de leurs projets respectifs, le suivi des divers projets de développement amorcés avant 2005, l'épanouissement de la région des Cèdres sur les plans touristique et économique, le renforcement du secteur agricole, ainsi que la création de marchés qui permettront l'écoulement des produits locaux. Il s'engage à aider au sein du Parlement au règlement du problème de la Sécurité sociale optionnelle en plus d'autres projets en suspens, comme l'Hôpital gouvernemental qui attend impatiemment sa chambre d'opérations. Il met l'accent sur l'importance de la région qui abrite le musée de Gibran Khalil Gibran, surplombant la vallée de Qannoubine, ainsi qu'une station de ski dotée d'un cadre exceptionnel, celui d'une forêt de cèdres unique au Moyen-Orient.
Sur le plan politique, M. Tok insiste sur la nécessité du dialogue entre les partenaires politiques, sur le respect de Bkerké comme protectrice des maronites et référence nationale. De même, il a appelé à revoir les clauses de Taëf afin de rétablir les prérogatives du président de la République, une position qu'il faudra protéger et soutenir à tout prix.
Une région FL
Cet appel au dialogue lancé par l'ancien député bécharriote ne suscite pas l'enthousiasme des députés actuels de Bécharré qui l'accusent de vouloir saboter le jeu démocratique. En effet, le député Élie Keyrouz dénonce les méthodes archaïques et détournées utilisées par l'ancien député, allant de l'intimidation aux menaces par téléphone, attribuant cela au fait que M. Tok se sent vulnérable dans cette bataille qui, selon M. Keyrouz, est déjà tranchée en faveur des FL.
Ce juriste et diplômé en philosophie, député de Bécharré depuis 2005 uniquement, perçoit sereinement, et déjà avec l'assurance d'un vainqueur, la situation préélectorale dans sa région natale, en appuyant et en insistant sur un fait indéniable : « Bécharré est une région FL et que personne ne se berce d'illusions... Nous possédons 75 % des voix... C'est le fief des Forces libanaises... »
À la question de savoir pourquoi Samir Geagea ne s'est pas présenté aux élections législatives, M. Keyrouz répond que M. Geagea a tellement de responsabilités à l'échelle nationale qu'il serait injuste envers les citoyens de Bécharré et de la région de se présenter en tant que député qui devrait être présent et disponible, alors qu'il n'est pas en mesure de le faire. Sur le plan du découpage électoral, M. Keyrouz estime que c'est la circonscription normale et idéale pour assurer une représentation juste et équitable des citoyens de Bécharré.
Pour M. Keyrouz, qui s'exprime en son nom et en celui de Mme Geagea, aucun des autres candidats qui se présentent à ces élections ne constitue un concurrent suffisamment fort, vu que les électeurs fidèles à la cause des FL sont majoritaires dans le caza, chiffres à l'appui. En effet, selon le député Keyrouz, en 2005, chacun des députés actuels a obtenu un score variant entre 11 000 et 12 000 voix au niveau du caza, tandis que le candidat qui se considère menaçant, Gebran Tok, n'a obtenu que 4 000 voix, ce qui le relègue au deuxième rang dans cette course au Parlement.
Pour cet enfant de Bécharré et vétéran infatigable au sein des FL depuis 1981, Bécharré est une région jetée aux oubliettes depuis presque trente ans. « C'est l'arrivée des députés FL qui a réussi à dépoussiérer les tiroirs dans lesquels étaient enfermés tous les projets. » Et de poursuivre : « Bécharré fut la principale victime de l'hégémonie syrienne et elle mérite aujourd'hui de notre part tous les soins afin de la faire sortir de la phase d'inertie et du coma socio-économique. »
Premier badge d'honneur des candidats FL au niveau de la localité : le changement qualitatif majeur quant au caractère des élections législatives. En effet, les FL ont permis le passage des élections du cadre de la féodalité et des zaïms familiaux à celui du jeu politique et du programme électoral bien défini. Selon M. Keyrouz, les députés FL proposent aujourd'hui un plan de développement complet concernant la région et qui couvre, entre autres : l'équipement de l'Hôpital gouvernemental (notamment pour qu'il devienne classé), le financement de projets éducatifs, le lancement d'un grand projet touristique créant mille emplois, l'offre de bourses scolaires, comme en 2008, aux étudiants qui n'arrivent pas à payer leur scolarité. M. Keyrouz a mis l'accent par ailleurs sur le rôle positif que Mme Geagea ainsi que lui-même ont joué dans la survie des écoles privées dans la région, qui ont connu des déficits budgétaires ces dernières années.
Pour ce qui est de la vision du Liban de demain, le député FL appelle l'électeur à choisir entre deux projets bien définis : le premier, celui du 8 Mars qui, pour le député, est représenté par tous les autres candidats, et qui mènera les Libanais vers l'inconnu, vers le projet syrien ou celui du Hezbollah, et le projet du 14 Mars qui sera le Liban-État, le Liban souverain, le Liban de l'armée libanaise, le Liban du président fort... Cette bataille électorale revêt un cachet spécial pour le parti des Forces libanaises car elle lui permet de garantir deux sièges au Parlement et de confirmer sa légitimité populaire.
Pour ce qui est de l'ancien cadre des Forces libanaises, le Dr Rachid Rahmé, M. Keyrouz ne remet pas en cause son parcours de combattant au sein des Forces libanaises et en dehors du pays durant la période de l'emprisonnement de Samir Geagea, « mais ceci, poursuit-il, ne lui donne pas le droit de dépasser le commandement des FL et de se présenter comme candidat libre au nom de ce parti politique qu'il critique ».
Notons que M. Rahmé jouit d'une popularité dans la localité de Bécharré, vu ses services caritatifs envers ses concitoyens et son engagement politique préalable auprès de certains de ses anciens compagnons de combat. M. Rahmé a par ailleurs joué un rôle notoire au sein du mouvement du 14 Mars et de la révolution du Cèdre. Il reste que selon les sondages, M. Rahmé pourrait profiter des voix des sympathisants FL ayant des griefs à l'égard de certaines décisions du parti.
En parcourant ainsi les projets des deux principaux camps en lice à Bécharré, il est évident que la région reste dans la salle d'attente des projets de développement et de la représentation efficace au sein du gouvernement et de la fonction publique. Beaucoup de dossiers ont été ouverts au nom de Bécharré, reste à savoir qui pourra clore le premier dossier avec succès et quand ? Ceci est un cri d'alarme perceptible dans la région pour laquelle les élections ne sont qu'une phase transitoire, l'important étant de faire face, par la suite, aux échéances politiques et économiques post-électorales.