Cette haute ambition, l'intéressé n'en a jamais fait mystère. Lors de la crise dite de la présidentielle, il s'autoproclamait unique candidat légitime. Et il déclarait : « C'est mon droit naturel d'être président, car je suis le plus représentatif. » Lui faisant écho, ses partisans relevaient qu'à ce titre, il méritait le même lot que les présidents Berry et Siniora, promus parce qu'ils étaient mandatés par leurs communautés respectives. Ajoutant qu'il était à la tête du plus grand bloc parlementaire après celui de Saad Hariri, preuve supplémentaire qu'il représente pleinement la composante chrétienne du pays. Toutes les tentatives déployées par d'autres postulants pour se gagner son appui, une fois qu'il eut été démontré que ses chances étaient nulles, avaient piteusement échoué. Car il ne cessait d'y croire, répétant qu'il ne voyait pas d'autre que lui comme président, et ne voulait céder devant personne. Au point que ces candidats traduisaient sa pensée par la formule « Moi, moi seul, ou alors personne ! »
Aujourd'hui, l'appel à une Troisième République est interprété comme une nette volonté de balayer Taëf. S'il en était autrement, estiment les professionnels, le général Aoun se serait contenté de proposer la réforme, au besoin en profondeur, de la présente République. Un nouveau système, disons moins démocratique, permettrait de couper l'herbe sous les pieds de la majorité actuelle, que le général Aoun déclare vouloir renvoyer dans ses pénates. En pressant les électeurs de ne voter pour aucun candidat du 14 Mars, ce qui est peut-être de bonne guerre, mais d'une nouvelle guerre d'élimination. D'élimination de l'adversaire politique, en attendant le tour de ce pacte de Taëf dont le général, s'exprimant à Damas, veut la révision alors qu'il l'avait rejeté lors de sa promulgation.
Déjà, il avait prié les députés qui se rendaient à la conférence de ne pas accepter qu'un président de la République fût pressenti en Arabie saoudite, au cas où le souverain de ce pays en ferait le vœu. Parce qu'il savait qu'alors, son propre avènement serait hors de question. De fait, quand les députés ont élu René Moawad, le général Michel Aoun avait, à 3 heures du matin, proclamé motu proprio la dissolution de la Chambre. Ajoutant qu'il ne quitterait Baabda qu'une fois atteints les buts de la guerre de libération, et les Syriens partis. Il en a été chassé manu militari par ces derniers, se réfugiant à l'ambassade de France.
Lors de la récente présidentielle, il a été le premier à se mettre sur les rangs. Sa première visite de tournée électorale a été pour Saad Hariri. Il a ensuite annoncé qu'ils étaient tombés d'accord à 95 %. Mais quand le Courant du futur a précisé qu'il ne soutenait pas sa candidature, il s'est déchaîné contre Hariri, l'accusant de corruption et s'attaquant à Solidere. Même chose ensuite après sa rencontre avec Walid Joumblatt : déclaration initiale chantant l'unité de la Montagne, puis missiles enflammés sur le leader du PSP, et ouverture du dossier des déplacés.
Ce sont ces épisodes qui ont permis au Hezbollah de détecter le point faible du général Aoun, son ambition présidentielle, et de l'attirer dans son camp. En lui promettant ce soutien que le 14 Mars lui refusait, moyennant le document dit d'entente conclu lors d'une rencontre avec Nasrallah à Mar Mikhaïl. Un accord dont le candidat perpétuel Aoun n'a rien tiré, tandis que le Hezbollah trouvait là une couverture chrétienne à ses projets.