Zhao a été évincé de son poste à la tête du parti et accusé de « fractionnisme » pour avoir contesté la décision de Deng Xiaoping, qui tirait en coulisses les ficelles du pouvoir en Chine, de réprimer les manifestants. Il avait refusé de faire amende honorable et a passé plus de 15 ans en résidence surveillée jusqu'à sa mort à Pékin le 17 janvier 2005. Ses Mémoires - 30 heures d'enregistrement réalisées dans le plus grand secret - vont être publiées ce mois-ci en anglais, sous le titre Prisoner of the State, par la maison d'édition Simon&Schuster. L'agence Reuters a pu se procurer les bonnes feuilles du manuscrit remis à trois proches de Zhao et sorti clandestinement de Chine. La traduction en anglais est l'œuvre de Bao Pu, fils du principal collaborateur de Zhao, et de son épouse Renee Chiang. Dans ce document très éclairant sur les coulisses de la direction du PCC de l'époque, Zhao fait l'éloge du mouvement prodémocratie de Tian'anmen (place de la Porte de la paix céleste).
« Dans la nuit du 3 juin, j'étais assis dans la cour de la maison avec ma famille lorsque j'ai entendu des tirs nourris », témoigne le secrétaire général du PCC. « Une tragédie qui a ébranlé le monde n'avait pas pu être évitée (...) J'avais dit à l'époque que la plupart des gens se contentaient de nous demander de corriger nos imperfections et ne voulaient pas renverser le système politique », estime-t-il. Le récit de la façon dont les hiérarques du PCC l'ont écarté du pouvoir jette une lumière crue sur la bataille politique qui s'est jouée au sommet du parti lors des événements, qui ont culminé avec le limogeage de Zhao et la répression qui fit des centaines de morts dans les rues de Pékin. « Je me suis dit que quoi qu'il arrive, je refuserai d'être le secrétaire général du parti qui aura mobilisé la troupe pour tirer sur les étudiants », dit-il. Zhao avait les yeux fixés sur l'avenir de la Chine lorsqu'il a enregistré dans le plus grand secret ses Mémoires pendant ses années de détention, jusqu'à sa mort. Il y dénonce la voie, erronée selon lui, du conservatisme suivie par le parti après 1989 et se prononce pour une transition progressive vers une démocratie à l'occidentale. « En réalité, c'est le système occidental de la démocratie parlementaire qui a fait la preuve de la plus grande vitalité. Si nous ne prenons pas cette direction, il nous sera impossible de régler les conditions anormales de l'économie de marché en Chine. »
Pour la direction actuelle du PCC, les « troubles » d'il y a 20 ans ne sont qu'un événement lointain et les Mémoires de Zhao ont toutes les chances d'être interdites en Chine, qui cherchera à empêcher l'entrée de l'édition en chinois de ce document sulfureux. Zhao reste un symbole de la droiture et du réformisme en politique pour les nostalgiques du « printemps de Pékin » et pour ceux de ses compatriotes qui s'intéressent aux coulisses de la politique. Il est probable que l'édition chinoise rencontrera un franc succès sous le manteau. Bao Pu, dont la maison d'édition New Century Press, installée à Hong Kong, publiera la version chinoise, estime que Zhao souhaitait, semble-t-il, donner sa version des faits pour contester la condamnation officielle par le parti des événements de Tian'anmen. « Il n'a pas laissé d'instructions (...) mais voulait à l'évidence que son récit lui survive. C'est une période cruciale de l'histoire qui définit la Chine contemporaine. (Ces Mémoires) contredisent la version officielle des faits », dit-il.
Le fil rouge du récit de la montée et de la chute politique de Zhao est le lien tortueux de ses relations avec Deng, qui a favorisé l'émergence d'une économie de marché en Chine tout en s'opposant, y compris par la force, aux aspirations démocratiques. Pour Zhao, Deng, Li Peng, Premier ministre de l'époque surnommé « le boucher de Pékin » pour avoir proclamé la loi martiale à la télévision avant l'arrivée des chars, et les hiérarques du PCC ont bafoué les règles destinées à empêcher un retour à l'autoritarisme et à l'arbitraire qui ont caractérisé le règne de Mao. Le remède aux problèmes de la Chine, soutient Zhao, consiste à engager progressivement le pays sur la voie de la démocratie. « Je crois que le temps est venu pour nous d'aborder cette question sérieusement », conclut-il.