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Liban - Conseil des ministres

L’opposition court-circuite Sleiman sur les nominations

C'est une séance bien curieuse qui s'est déroulée hier en Conseil des ministres, et qui ouvrira sans doute la voie à une floraison d'analyses et d'interprétations dans les heures qui viennent. Curieuse dans la mesure où elle pourrait bien marquer une rupture importante dans le contexte de la pratique constitutionnelle de l'après-Doha.
Mais commençons d'abord par établir les faits. Le point fondamental sur lequel le débat était centré était la question des nominations. Pour être plus précis, trois nominations, en l'occurrence à la direction des affaires politiques du ministère de l'Intérieur, au poste de mohafez de Beyrouth, et au poste de mohafez du Mont-Liban. La veille, une source du 8 Mars, relayée aujourd'hui par le président de la Chambre Nabih Berry à Baabda, avait plaidé en faveur d'un « package deal ». Le 8 Mars proposait ainsi de faire passer les nominations, mais à condition qu'elles soient toutes mises sur le tapis en même temps, et à condition aussi que deux autres dossiers soient traités de pair : celui des cinq membres restants du Conseil constitutionnel qui doivent encore être désignés par le Conseil des ministres, et celui du budget, toujours en suspens depuis des mois.
Il n'en a pas été ainsi durant la séance du Conseil des ministres. Le président de la République, Michel Sleiman, a en effet pris l'initiative de mettre la question des trois nominations à l'ordre du jour malgré le refus des ministres du 8 Mars. Un refus explicitement manifesté par le ministre amaliste de l'Industrie, Ghazi Zeayter, qui, protestant contre le fait que la proposition du « package deal » n'ait pas trouvé grâce aux yeux du chef de l'État, s'est retiré de la séance en colère. Et les efforts conjoints des ministres Faouzi Salloukh et Mohammad Jawad Khalifé, sortis après lui pour le convaincre de revenir sur sa decision, ne serviront à rien. Après le départ de Ghazi Zeayter - et celui du ministre Raymond Audi - le nombre des ministres est tombé à 25 (Ibrahim Chamseddine, Nassib Lahoud et Alain Tabourian n'ayant pas assisté à la séance dès le départ).
Mais l'essentiel réside dans le fait que le chef de l'État ait ensuite tenu à mettre tous les ministres devant leurs responsabilités en insistant sur le maintien de la question des nominations sur le tapis en dépit de l'absence de consensus clairement affichée par les ministres du 8 Mars. Une manière pour lui de mettre l'accent sur la nécessité de suivre la procédure constitutionnelle quand bien même « l'entente » est impossible, c'est-à-dire de soumettre la question au vote.
L'équation proposée par le président était bien simple dans ce cas de figure : si la proposition d'entériner les trois nominations obtenait les deux tiers des voix du Conseil des ministres, elle serait adoptée. Sinon, elle tomberait d'elle-même, pour être reléguée à une séance ultérieure consacrée à l'ensemble des autres nominations. La décision de soumettre la proposition au vote a été soutenue par les ministres du 14 Mars, mais s'est heurtée aux réserves de leurs collègues du 8 Mars, qui sont revenus à la charge pour rejeter le principe du vote en Conseil des ministres et mettre en avant la nécessité du consensus sur un « package deal » global portant notamment sur la question du budget. Mais le président a donné ses instructions pour que la question du budget soit inscrite à l'ordre du jour de la prochaine séance du Conseil, estimant que les noms des trois candidats aux postes concernés par la question des nominations étaient connus depuis longtemps et qu'il n'y avait donc plus lieu de retarder l'échéance du vote.
Les ministres du 8 Mars ont aussitôt décidé de ne pas participer au vote par principe. Et c'est ainsi que, par l'entrée en vigueur du fameux tiers de blocage, les trois noms n'ont pas réussi à s'imposer au terme du vote. Lorsque le nom de Nicolas Habre, pressenti au poste de mohafez de Beyrouth, a été proposé, les ministres du 8 Mars se sont abstenus, tandis que Mohammad Safadi exprimait des réserves, proposant un autre nom, celui de Faouzi Nehmé. Le candidat Habre n'a ainsi obtenu que quinze voix, c'est-à-dire ceux des ministres de la majorité présents (Safadi exclu) et des ministres proches du président. Omar Yassine, pressenti au poste de mohafez du Mont-Liban, a obtenu pour sa part 16 voix, Safadi ayant cette fois voté pour. Mais le plus significatif a certainement été le comportement des ministres du 8 Mars face à la candidature du général à la retraite Hussein Lakkis au poste de directeur général du ministère de l'Intérieur, personnalité pourtant proche de l'opposition. Ils n'ont pas participé au vote, pour rester en phase avec leur logique, ce qui fait que le candidat n'a obtenu au final que trois voix seulement - celles des ministres du président. L'un des ministres du 8 Mars a d'ailleurs souligné, à l'issue de la séance, qu'il s'agissait bien, dans le cas du général Lakkis, de prouver que le rejet du vote était une question de principe pour le 8 Mars, et que l'opposition insistait sur le fameux « package deal » global.
Une série de constatations peuvent être faites à la lumière de la séance d'hier. D'abord, le président de la République n'a pas tenu compte, dans les faits, du lien pour le moins artificiel établi par le 8 Mars entre trois dossiers parfaitement distincts : les nominations, le Conseil constitutionnel et le vote du budget. Ensuite, il a mis en évidence le fait que la question des trois nominations n'est pas liée aux élections, contrairement à ce qui est répété depuis quelque temps. Les préparatifs pour le scrutin du 7 juin sont d'ores et déjà terminés et n'attendent donc pas les nominations, qui sont probablement renvoyées à l'après-scrutin. Enfin, le chef de l'État a placé tout le monde devant ses responsabilités, incitant, paradoxalement, à travers ce blocage, à un futur déblocage. Comment ? En poussant les bloqueurs à assumer clairement leur choix devant l'opinion publique, sans plus se dissimuler derrière le paravent du « consensus » et de « l'entente » incontournables.
Mais c'est surtout un coup de pied formidable dans le système de l'après-Doha que le président Sleiman a donné hier, en montrant que le Conseil des ministres est condamné à la paralysie du fait du système légaliste de Doha, que ce soit par le consensus, impossible à dégager, ou même par le vote, qui est totalement neutralisé par les effets pervers du tiers de blocage ; en bref, le chef de l'État a montré qu'il est totalement impossible actuellement pour la majorité, en vertu du système de Doha, de prendre une décision quelconque sans la minorité. Ce qui n'est pas sans inciter certains observateurs à souligner qu'il s'agit là, d'une certaine manière, d'une véritable intifada, d'un véritable « coup de gueule » constitutionnel du chef de l'État.
C'est une séance bien curieuse qui s'est déroulée hier en Conseil des ministres, et qui ouvrira sans doute la voie à une floraison d'analyses et d'interprétations dans les heures qui viennent. Curieuse dans la mesure où elle pourrait bien marquer une rupture importante dans le contexte de la pratique constitutionnelle de l'après-Doha.Mais commençons d'abord par établir les faits. Le point fondamental sur lequel le débat était centré était la question des nominations. Pour être plus précis, trois nominations, en l'occurrence à la direction des affaires politiques du ministère de l'Intérieur, au poste de mohafez de Beyrouth, et au poste de mohafez du Mont-Liban. La veille, une source du 8 Mars, relayée...
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