À l'heure où certaines matières premières commencent à manquer, où les déchets s'accumulent..., le démarketing fondé sur les principes de développement durable interpelle. Comment se manifeste-t-il ? Quels sont ses objectifs ? Peut-il partiellement répondre aux problèmes écologiques actuels ?... Pour répondre à ces questions, précisons ce qu'on entend par démarketing environnemental. Il s'agit d'un ensemble de pratiques commerciales qui invitent, en utilisant et/ou en défendant la cause écologique, à réduire ou à stopper la consommation de certains produits. Cette pratique commerciale se démarque des autres formes de démarketing, axé sur la dévalorisation du tabac, des alcools, des armes à feu... car, en abordant des problématiques plus variées et plus collectives, elle offre une gamme d'actions plus hétérogènes.
Les motivations des compagnies qui adoptent le démarketing environnemental peuvent être identifiées à partir de trois continuums bipolaires : engagé vs démagogique, interne vs externe et de rationnement vs préservation.
- Le démarketing engagé est une démarche essentiellement développée par des entreprises publiques, des agences étatiques et des organisations non gouvernementales. Avec cette politique, les structures concernées cherchent en priorité à protéger la nature. Le calcul commercial est a priori secondaire. Cette approche, parfois radicale, peut même aller contre les souhaits et les attentes des clients. National Trust, le propriétaire du célèbre jardin Sissinghurst en Angleterre, refuse ainsi depuis 1997, pour protéger la flore, d'accueillir les touristes quand un certain quota est atteint. La perte de recette significative qui en découle est en partie comblée par l'abandon des dépenses publicitaires et une refonte de la politique tarifaire.
- Le démarketing démagogique consiste à encourager ouvertement les prospects à réduire leur consommation sans prendre de mesures particulières pour les y aider. Cette attitude est parfois dénoncée par les organisations non gouvernementales (ONG) et les associations de consommateurs. Pour illustrer ces propos, nous pouvons rappeler le relatif agacement de ces groupes face à la campagne lancée par Carrefour en 2004 sur le thème « Arrêtons de consommer plus pour consommer mieux ». Certains observateurs ont considéré que le groupe français n'était pas crédible car il n'avait pas associé à cette campagne un marketing stratégique et opérationnel adapté.
- Le démarketing interne. Pour des raisons écologiques, les entreprises décident, spontanément ou sous la pression du marché, de déprécier commercialement certains de leurs produits. Cette dépréciation permet, avant le retrait des biens ou services visés, de préparer le changement de gamme ou de laisser un temps d'adaptation aux clients. Les fabricants d'ampoules à incandescence adoptent parfois cette approche pour se repositionner en proposant des ampoules fluorescentes beaucoup plus efficientes sur le plan énergétique.
- Le démarketing externe. La communication environnementale des entreprises peut être axée sur la critique, parfois militante, de produits considérés comme peu respectueux de la nature. Les firmes assurent, dans ce cas, le démarketing de produits qu'elles ne vendent pas. Allant dans ce sens, The Body Shop dénonce depuis sa création en 1976 les produits cosmétiques développés sur la base de tests faits sur des animaux.
- Le démarketing de rationnement concerne les politiques commerciales qui visent, pour des raisons économiques, à réduire la consommation de ressources naturelles ou de produits polluants. Par exemple, quand la production des biens en question (eau, électricité...) est insuffisante par rapport à la demande, les entreprises invitent parfois leurs clients à se rationner. Ce démarketing régulateur vise essentiellement à éviter des ruptures de stocks préjudiciables, mais il permet en même temps de lancer un message environnemental qui peut sensibiliser les populations visées et contribuer au repositionnement de l'entreprise. Pacific Gas and Electric Company (PG&E), aux États-Unis, a déjà adopté une telle approche.
- Le démarketing de préservation traduit la priorité des critères écologiques sur les critères économiques. L'entreprise est ainsi prête à limiter ses gains pour décourager des schémas de consommation considérés comme durablement préjudiciables pour l'environnement. Cette forme de démarketing engagé est, par exemple, adoptée par la réserve naturelle privée de Berenty au sud de Madagascar. Veillant à ne pas trop perturber les lémuriens qui habitent la zone, elle ne permet l'accès au site qu'à un nombre limité de visiteurs.
Les différentes facettes du démarketing environnemental ne sont pas exclusives. Elles se combinent parfois pour traduire plus précisément une réalité complexe et polymorphe. Une action commerciale peut à la fois relever d'un démarketing engagé, interne et de préservation. Plus qu'un outil de management atypique, cette approche commerciale traduit, pour bon nombre d'entreprises, le moyen de gérer une forte transition. Elle permet, en effet, de faire face à l'évolution des cycles industriels et commerciaux, de proposer ou de s'ajuster à de nouveaux schémas de consommation, de modifier ou d'adapter les gammes de produits.
*Maître de conférences à l'université de Poitiers, enseignant à l'ESA.
En coopération avec : ESA