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Liban - Feuille de route

Entre de Gaulle et Khomeyni, une certaine vision du Liban…

Il en faudra certainement beaucoup plus que les assurances très incertaines de Nabih Berry et les cris d'orfraie du général Michel Aoun pour dissiper les craintes d'une insurrection constitutionnelle après le 7 juin. Une angoisse solidement ancrée dans les esprits, principalement grâce, faut-il le rappeler, aux déclarations tonitruantes de Mohammad Raad et autres Nawaf Moussaoui.
Michel Aoun a beau crier au complot, et accuser le président de la République de se cacher, jusqu'à preuve du contraire, derrière la plus sordide des machinations fomentées contre lui... Il reste que ce n'est pas Michel Sleiman qui plaidait, il y a encore quelques jours, pour un coup de balai au régime après le 7 juin, mais bien l'un des bonzes du Hezbollah, grand allié du chef du CPL. Ce n'est pas non plus Michel Sleiman, Ziyad Baroud ou Youssef Takla, mais le ministre des Télécoms Gebran Bassil, héritier proclamé et investi du aounisme, qui, à peine deux mois après l'élection du chef de l'État, avait lancé en Conseil des ministres cette phrase à peine pernicieuse, et aussitôt rapportée dans la presse, concernant « l'anticonstitutionnalité de certains » - et qui visait de toute évidence à rappeler au président qu'il se trouve en permanence sur un siège éjectable. Une campagne savamment entretenue, depuis, par l'éditorialiste du principal quotidien de l'opposition, lequel ne manque pas de menacer le chef de l'État - par ces mêmes tournures de phrases fielleuses qui préfigurèrent jadis l'assassinat de Samir Kassir - en lui conseillant de « renoncer à exister politiquement, sous peine d'une réévaluation de son caractère de président de consensus ».
Que Michel Aoun rêve encore, malgré sa profonde déconvenue de Doha qui a mené Michel Sleiman au pouvoir, de parvenir à la magistrature suprême - d'être calife à la place du calife - ne fait pour personne l'ombre d'un doute. Pourquoi s'embarrasserait-il alors de ce petit chiffon de papier qu'il a toujours méprisé, à savoir la Constitution issue de Taëf, là où tant d'autres avant lui, comme Émile Lahoud, n'en ont eu cure ? Cela, ses partisans l'affirment haut et fort, en rejetant en bloc le système tel qu'il existe actuellement, et en soutenant que si le général possède la légitimité chrétienne et la majorité parlementaire au lendemain du 7 juin, il sera totalement injuste de lui refuser la légalité, quand bien même le président Sleiman a été élu pour un mandat de six ans, en vertu des dispositions de la Constitution.
Partant, lorsque des panneaux électoraux orange du CPL apparaissent en masse sur les bords de l'autoroute pour prôner l'établissement d'une « IIIe République stable », il ne faut plus beaucoup de malice pour interconnecter tous les fils. En effet, l'histoire constitutionnelle nous apprend qu'une nouvelle République ne peut être édifiée que sur les ruines de la précédente, que cela suppose au moins une révision de la Constitution, et donc, en principe, une nouvelle redistribution dans les équilibres entre les pouvoirs. Enfin, il y a, la plupart du temps, un leader charismatique, comme de Gaulle ou Moustafa Kemal, pour donner au processus constitutionnel l'impulsion dont il a besoin pour se réaliser.
Depuis les temps où il officiait en treillis, Michel Aoun n'a jamais caché ses ambitions insurrectionnelles. Il convient de revenir, pour l'histoire, sur l'ouvrage commandé en 1988 au brigadier Fouad Aoun, L'armée est la solution, qui évoquait la nécessité d'une prise du pouvoir par la troupe au crépuscule du mandat Gemayel, en septembre 1988. Plus récemment, le sit-in putschiste de décembre 2006, la journée du 17 janvier 2007 ou encore le 7 mai 2008, avec son fameux « train qui est de retour sur les rails » (Aoun dixit), étaient autant d'étapes montrant une volonté, allant crescendo, de prendre le pouvoir par la force. Le projet de cette IIIe République ? Depuis son alliance avec le Hezbollah, et surtout depuis fin 2006, le chef du CPL ne s'en est jamais caché dans les cercles privés : la répartition par tiers. Sous le prétexte fallacieux qu'en transformant la parité islamo-chrétienne (de Taëf) en distribution en trois parts égales (de Doha) entre sunnites, chiites et chrétiens, « les chrétiens auront enfin la paix, puisque les chiites et les sunnites seront préoccupés à se disputer entre eux ».
L'argument peut paraître séduisant à première vue, surtout auprès d'une population chrétienne marginalisée depuis des années et qui aspire à retrouver pleinement son statut de partenaire national, mais il n'empêche qu'il reste d'une naïveté déconcertante : toute révision du système aujourd'hui ne pourrait en effet que désavantager les chrétiens, en raison de la variable démographique, et ne pourrait que les affaiblir encore plus, les priver d'encore plus de droits. Comment peut-on convaincre logiquement que posséder le tiers d'un pouvoir est mieux que d'en posséder la moitié ? D'autant que ce discours de la répartition par tiers est accompagné, en parallèle, de celui que tiennent les alliés du général - le Hezbollah - devant les chancelleries occidentales, et qui est fondé sur une logique démographique : « Dans quelque temps, nous constituerons la majorité au Liban, et vous serez obligés de nous confier le pouvoir comme en Irak, en vertu de la règle de la majorité qui est le fondement même de la démocratie. »
C'est ainsi qu'en jouant sur un complexe de minorité grandissant sur la scène chrétienne, et en se posant en sauveur de la situation, Michel Aoun contribue en fait à affaiblir encore plus la position chrétienne sur le plan des structures institutionnelles (notamment avec le projet d'élection d'un président chrétien au suffrage universel), et à développer ce complexe de minorité. Cette même dhimmitude qui le conduit actuellement, et par peur des armes du Hezbollah et du pouvoir de déstabilisation de la Syrie, à aller se placer sous leur protection, comme cela était fait autrefois sous le joug ottoman ou syrien. Une position totalement en rupture, par ailleurs, avec les constantes historiques des chrétiens du Liban.
Au vu de tout ce qui précède, suffit-il encore de se cacher, en bon agresseur, derrière le masque de la victime en demandant au président Sleiman, principal agressé dans l'affaire en tant que représentant de la nation, de démentir l'existence d'un coup d'État, puis en le taxant de « partie à un complot ».
Michel Aoun se réclame sans cesse de Charles de Gaulle, et ce depuis son aventure de 1988. La comparaison ne l'a pas quitté durant son exil parisien, et c'est en sauveur et en père de la lutte contre l'occupation, comme le général français, que le chef du CPL a été mythifié tout au long de la décennie 90-2000. Mais force est de constater, aujourd'hui, que sa « vision du Liban » de demain ressemble de plus en plus à celle qu'avait Khomeyni de l'Iran à son retour d'exil en 1979.
Il en faudra certainement beaucoup plus que les assurances très incertaines de Nabih Berry et les cris d'orfraie du général Michel Aoun pour dissiper les craintes d'une insurrection constitutionnelle après le 7 juin. Une angoisse solidement ancrée dans les esprits, principalement grâce, faut-il le rappeler, aux déclarations tonitruantes de Mohammad Raad et autres Nawaf Moussaoui. Michel Aoun a beau crier au complot, et accuser le président de la République de se cacher, jusqu'à preuve du contraire, derrière la plus sordide des machinations fomentées contre lui... Il reste que ce n'est pas Michel Sleiman qui plaidait, il y a encore quelques jours, pour un coup de balai au régime après le 7 juin, mais bien l'un des bonzes du Hezbollah, grand...
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