Dans la majorité des cas, les plans se sont noyés dans des débats politico-idéologiques du genre : faut-il privatiser l'EDL ? Faut-il céder la production au secteur privé ? Comment réduire les branchements illicites ? etc.
Ces questions n'ayant jamais été tranchées, le pays a opté pour le statu quo qui se traduit par un rationnement de plus en plus sévère.
En reprenant à son tour le dossier, Alain Tabourian a donc choisi de se focaliser sur le « cœur du problème ». « Le problème a deux volets : un volet financier et un volet purement industriel et technique », a-t-il expliqué à L'Orient-Le Jour.
État des lieux
Au niveau financier, contrairement aux idées reçues, le déficit de l'EDL s'explique à près de 80 % par des coûts de production exorbitants, et non par les branchements illicites. Les centrales de Zahrani et de Deir Ammar, par exemple, qui ont été construites pour fonctionner au gaz fonctionnent en réalité au gaz oil (mazout). Or ces centrales auraient pu être converties au fuel oil lourd qui est deux fois moins cher, ce qui aurait permis d'économiser près de 2 milliards de dollars au total, souligne Tabourian. Ce processus est finalement en cours aujourd'hui. Le même cas s'applique aux unités de production de Tyr et de Baalbeck, initialement construites pour fonctionner au gaz alors que leur situation géographique ne leur aurait jamais permis de bénéficier du gazoduc arrivant de Syrie. Quant aux centrales de Jiyeh et de Zouk, leur coût de production est élevé en raison de leur vétusté, sans parler des pertes techniques dues également à l'absence d'investissements publics. Enfin, le prix de l'électricité achetée de l'étranger pour combler le déficit local est supérieur au coût de production locale.
Pour stopper l'hémorragie, le ministre plaide donc pour des solutions « techniques » et non pour une hausse des tarifs (ce qui reviendrait à faire payer au citoyen le prix de l'incompétence de ses dirigeants).
Selon Tabourian, ces solutions permettraient de réduire les coûts de moitié, mais aussi de combler le déficit de production locale. Car « les Libanais doivent comprendre que l'État ne rationne pas le courant par manque de moyens financiers, mais de moyens industriels », rappelle le ministre.
Solutions proposées
En effet, la capacité de production du pays plafonne à 1 500 mégawatts (MW) alors que la demande atteint 2 200 MW. Ce déficit de 32 % explique un rationnement moyen de 7,6 heures par jour. Or la demande augmente de 5 % par an, et en l'absence d'investissements dans le secteur, la capacité baisse de 3 %. Donc si l'État n'augmente pas la capacité de production, le rationnement passera à 11,1 heures par jour dans trois ans, et atteindra 13,8 heures en 2015.
À court terme, Alain Tabourian propose donc d'ajouter une capacité de 800 à 1 200 MW à travers des moteurs alternatifs fonctionnant au fuel oil lourd. Ces moteurs pourraient également remplacer les turbines à gaz, en attendant l'hypothétique gaz égyptien.
L'installation de ces moteurs, qui nécessite deux ans, permettrait de fournir en 2011 du courant 24 heures sur 24. Mais cette situation ne pourra pas durer si, parallèlement, une nouvelle centrale ne voit pas le jour.
En se basant, notamment, sur une étude du cabinet de conseil en énergie allemand Decon, M. Tabourian propose une centrale à charbon de 1 000 MW d'abord pour diversifier les sources d'approvisionnement. En effet, « le Liban ne peut pas rester tributaire des cours du brut ni d'un gazoduc qui passe par deux pays différents », souligne le ministre. Une production électrique à base de charbon est également la moins chère possible, dans le cas du Liban. D'un point de vue environnemental, « elle sera certainement moins polluante que les centrales actuelles », assure-t-il. Si les travaux commencent dès aujourd'hui, la centrale sera prête dans cinq ans et le Liban deviendra excédentaire en électricité de 7 %, malgré la fermeture des usines arrivant en fin de vie (400 MW devraient disparaître d'ici là).
Reste l'épineux problème du financement de ce projet. Pour Alain Tabourian, l'État dispose de trois choix : emprunter la somme nécessaire auprès des institutions internationales à des conditions favorables (1,5 à 2 % d'intérêt, période de grâce et durée de 30 ans), s'endetter en émettant des bons du Trésor (8 à 9 % d'intérêt), ou recourir aux investissements privés. Cette dernière option, souvent présentée comme idéale, est en réalité très coûteuse, car l'État doit signer un accord d'achat d'électricité avec le producteur à long terme, lui garantissant un retour sur investissement, affirme Alain Tabourian, en estimant à 15-20 % le coût d'un tel financement pour l'État.
Le ministre propose donc au gouvernement de financer le projet grâce aux aides internationales, mais de confier la construction et la gestion de la future centrale au secteur privé. Selon lui, la distribution de courant dans certaines régions devrait également être cédée au secteur privé à travers des franchises, avec des incitations offertes au distributeur pour l'encourager à réduire le vol de courant et améliorer la collecte.
Dans le même temps, la restructuration de l'EDL est incontournable, ajoute le ministre. Mais il faut aussi investir dans les ressources humaines de la compagnie, sachant que l'EDL compte aujourd'hui 2 000 employés avec une moyenne d'âge de 58 ans, contre 5 000 initialement.
Si l'ensemble des mesures proposées est mis en œuvre, Alain Tabourian assure que l'EDL redeviendra bénéficiaire à moyen terme.
Mais encore faut-il que des décisions soient prises. Pour le moment, le projet n'est toujours pas inscrit à l'ordre du jour du Conseil des ministres.