Rechercher
Rechercher

Économie - Crise

Le Liban, terre de refuge pour les expatriés du Golfe

La vague des licenciements régionale pousse de plus en plus de Libanais à rentrer au pays. Un phénomène à double tranchant pour l'économie locale.

Après avoir « fui » leur pays natal, à la recherche d'un avenir meilleur, les expatriés de l'eldorado de l'or noir semblent de plus en plus nombreux à vouloir regagner le Liban.
Rony, ingénieur civil âgé de 45 ans, fait partie de ces milliers de Libanais du Golfe qui songent à une telle éventualité. Au chômage forcé depuis décembre dernier, il avait passé les sept dernières années de sa vie aux Émirats arabes unis (EAU), après avoir travaillé quatre ans en Afrique. « Le rêve a vite tourné au cauchemar », raconte-t-il. « Sur les 140 employés de la société au sein de laquelle je travaillais, près de 80 ont été licenciés en moins de 3 jours, dont tous mes collègues libanais », ajoute-t-il. La compagnie, détenue par Dubaï Properties, un des leaders de l'immobilier aux EAU, avait en effet procédé à un licenciement en masse, craignant le pire dans un contexte de débâcle immobilière. Pour Rony, cette crise marque désormais la fin d'une phase de croissance effrénée dans cet émirat, longtemps considéré comme une terre d'opportunités pour de nombreux étrangers. Avec à l'époque un salaire mensuel dépassant 11 000 dollars, il se dit prêt aujourd'hui à rentrer dans son pays pour un salaire de 5 000 dollars par mois.
L'histoire de Rony est loin d'être un cas isolé ; même s'il n'existe aucune statistique fiable, on estime à près de 15 000 (26 000, selon d'autres sources) le nombre de Libanais ayant déjà perdu leur emploi dans le Golfe, la majorité d'entre eux travaillant dans les secteurs de la construction, de la finance et du tourisme.
« La moitié de ceux qui ont été licenciés restent toutefois dans la région. Ils changent souvent de ville ou acceptent des salaires moins importants », souligne pour sa part Charbel Cordahi, professeur à l'Université Saint-Esprit Kaslik (USEK). La situation n'étant pas aussi critique dans tous les pays de la péninsule Arabique, certains Libanais licenciés continuent en effet à chercher un emploi dans la région, avant de prendre la décision de rentrer chez eux ; à Riyad, par exemple, où la crise s'est fait moins sentir qu'à Dubaï, nombreuses sont les compagnies qui continuent à recruter, explique Sabah el-Hage, professeur d'économie à l'Université américaine de Beyrouth (AUB) et directeur général de Management Plus, une agence locale de recrutement. « Sur les quelque 15 000 Libanais licenciés dans le Golfe, près de 4 000 rejoindraient le pays définitivement », souligne-t-il. Il n'en reste pas moins que le nombre d'expatriés cherchant un emploi au Liban est à la hausse ; au sein de Management Plus, par exemple, les demandes d'emploi en provenance du Golfe ont augmenté de 25 % au cours des dix derniers jours.
Même son de cloche du côté de Careers, une autre agence basée à Beyrouth. « Nous recevons chaque jour une trentaine de CV de Libanais ayant été licenciés ou qui sont sur le point de quitter leur poste. Depuis décembre, plus de 1 700 CV nous sont parvenus de l'étranger, dont 80 % en provenance des EAU », indique Fadi Eid, directeur général de l'agence, qui affirme avoir déjà trouvé de l'emploi pour une cinquantaine d'entre eux. Parmi ces candidats, les ingénieurs, architectes et banquiers sont les plus nombreux à postuler. Une tendance qui se confirme jour après jour sur le terrain. La compagnie immobilière Betabat, basée à Beyrouth, a par exemple récemment reçu plus de 60 CV pour une annonce faite pourtant il y a plusieurs mois. « Il s'agit de deux postes d'ingénieur que nous n'arrivions pas à combler avant la crise », raconte Roger Sabbagh, directeur général de la société. « À l'époque, très rares étaient les ingénieurs cherchant un emploi au Liban et ceux qui se présentaient à nous ne correspondaient malheureusement pas au profil que nous recherchions », ajoute-t-il.
L'émigration des travailleurs qualifiés, un phénomène de longue date au Liban, avait en effet pris une ampleur encore plus inquiétante au lendemain de la guerre de juillet 2006. « Tous ceux qui passaient par notre agence, à l'époque, nous demandaient de leur trouver un emploi partout sauf au Liban, souligne Fadi Eid. Les assassinats, l'instabilité politique et tant d'autres facteurs sociopolitiques avaient poussé de nombreux jeunes et de moins jeunes à quitter le pays. Aujourd'hui, la tendance semble en revanche s'inverser. »

Pression à la baisse sur les salaires
Ce phénomène pourrait profiter à l'économie locale, même si ses implications à court terme ne seront pas forcément positives. « Le retour des expatriés pourrait en effet créer une pression à la baisse sur les salaires au cours des premiers mois. Certains employés risquent également de se voir remplacer par d'autres, jugés plus qualifiés et expérimentés, ce qui contribuerait à augmenter le taux de chômage sur le plan local. En revanche, le savoir-faire de ces Libanais venus du Golfe pourrait aider à soutenir la croissance à moyen terme, en dopant la productivité de l'économie locale », explique l'économiste Louis Hobeika. Selon lui, outre la contribution positive au niveau de la consommation, l'expérience dont disposent ces expatriés constitue une valeur ajoutée pour le capital humain. « Certains secteurs ayant souffert d'une pénurie de main-d'œuvre qualifiée au lendemain de la guerre de juillet, comme celui de l'hôtellerie, pourront ainsi profiter du retour des expatriés », ajoute-t-il.
Les plus optimistes estiment même que ce phénomène pourrait aider à relancer la machine économique à travers la création de nouvelles entreprises. « Ceux qui ont profité de la manne pétrolière et épargné d'importantes sommes d'argent seraient en effet tentés de lancer leurs propres affaires, si jamais l'accalmie sur le plan politique se maintient », explique Hobeika. Encore faut-il que le climat d'investissement au Liban s'améliore, notamment au niveau des infrastructures. En attendant, les autorités sont appelées à créer un cadre visant à faciliter un éventuel retour des expatriés. « Un bureau national de l'emploi devrait ainsi être mis en place dans les plus brefs délais. Ce centre d'information servirait d'intermédiaire entre les entreprises et les candidats », souligne Louis Hobeika.
Mais vu le laxisme des responsables, les expatriés devront sans doute compter sur eux-mêmes... Non pour quitter leur pays, cette fois, mais pour y rentrer.
Après avoir « fui » leur pays natal, à la recherche d'un avenir meilleur, les expatriés de l'eldorado de l'or noir semblent de plus en plus nombreux à vouloir regagner le Liban.Rony, ingénieur civil âgé de 45 ans, fait partie de ces milliers de Libanais du Golfe qui songent à une telle éventualité. Au...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut