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Actualités - CHRONOLOGIE

Liban gay : la loi de la honte George Achi

La loi punissant l’homosexualité au Liban est ambiguë et obsolète. Tous les moyens sont encore bons pour l’appliquer, mais également pour la contourner. C’est un couple comme les autres qui habite ce grand appartement de la rue de Verdun, dans le centre de Beyrouth. À 37 et 42 ans, J. et M. s’aiment, vivent ensemble depuis dix ans et partagent les remous de leur vie quotidienne. Ils ont chacun un emploi et gagnent plutôt bien leur vie. Le soir et le week-end, ils sortent avec leurs amis ou leur famille. Ils se disputent de temps en temps, bien sûr ; mais ça ne dure jamais bien longtemps. Leur vie est plutôt paisible, comme celle de leurs voisins. Et pourtant, J. et M. représentent un immense pied de nez à la société bien-pensante qui les entoure. Tous deux sont des hommes, et ils revendiquent leur homosexualité devant qui veut l’accepter. Quant à ceux qui la refusent… J. et M. n’ont pas vraiment le choix. Ils ont la loi contre eux : l’article 534 du code pénal (voir encadré) peut à tout moment être utilisé pour les jeter en prison. Une « conjonction charnelle » n’est pas difficile à surprendre, et on trouvera toujours un voisin pour témoigner de « l’outrage aux bonnes mœurs » que représente leur couple. Les deux hommes ont donc intérêt à ne pas se faire remarquer. S’ils venaient à se faire des ennemis, ceux-ci pourraient facilement utiliser la justice pour les harceler. De ce fait, ils ne bénéficient pas des mêmes droits que leurs concitoyens, en raison d’un facteur lié à leur vie privée et affective – il n’est pas difficile de démontrer ainsi que l’article 534 constitue une insulte aux droits de l’homme dont le Liban se targue pourtant d’être un défenseur historique. Vers un changement de la loi La dépénalisation de l’homosexualité pourrait-elle donc être imminente ? Le chemin semble encore long avant d’arriver à cette modification de la loi. Les acteurs sont nombreux, et le rapport de forces reste déséquilibré. Les principaux concernés sont évidemment les députés ; réunis au Parlement, ce sont eux qui détiennent le pouvoir législatif, et c’est à eux que reviendra la décision finale. Mais avant d’en arriver là, il faut passer par le réseau très compliqué des centres d’influence qui tirent les ficelles au-dessus de la place de l’Étoile. Les députés ne représentent pas des courants de pensée choisis par leurs électeurs, mais plutôt les communautés dont ils sont issus – communautés elles-mêmes soudées, le plus souvent, par une appartenance religieuse. Par conséquent, les élus sont loin d’être indifférents à l’avis des autorités religieuses dont ils dépendent. Il s’agit pour eux de défendre leurs intérêts politiques en s’assurant la bienveillance des confesseurs du peuple. Au vu de ces alliances, et des positions morales officiellement défendues par les religieux, on imagine difficilement des parlementaires monter au créneau pour défendre la « fierté homosexuelle ». Cependant, les religieux eux-mêmes, interrogés séparément, ne semblent pas si hostiles à l’évolution de la loi. La position officielle des différentes autorités, de Bkerké à la banlieue sud en passant par Dar el-Fatwa, reste évidemment hostile à une pratique condamnée par leurs textes saints ; mais la jeune génération de prêtres et de cheikhs est plus pragmatique. L’un d’entre eux, rencontré dans une église d’Achrafieh, m’a confié d’un air grave qu’il fallait vivre avec son temps : « Je prie pour la rédemption de ces personnes égarées, a-t-il dit, mais on ne va quand même pas tous les jeter en prison ou les pendre ! C’est un visage de notre société que l’on ne pourra pas éternellement voiler, alors ne vaut-il pas mieux le laisser s’épanouir sans souffrance ? » Un lente évolution des mœurs Les jeunes adultes libanais, quel que soit leur milieu, sont généralement plus enclins que leurs aînés à accepter la réalité de la vie gay autour d’eux – la plupart ont été nourris de films et de séries américaines dans lesquelles le sympathique jeune gay est un personnage récurrent. Mais cette lente évolution des mœurs, au lieu de prendre racine et de se transformer en mouvement de modernisation, se trouve rapidement étouffée par l’opacité du système. Les transformations législatives à venir se feront dans le cadre des conflits d’intérêts qui agitent actuellement la scène politique – la dépénalisation de l’homosexualité ne sera donc pas une question de principe, mais l’objet d’un marchandage parmi d’autres. Les défenseurs des droits de l’homme espèrent que des influences étrangères, comme les régimes syrien ou iranien, ne feront pas pression sur leurs alliés libanais pour empêcher cette dépénalisation. Cet hiver, la Syrie a voté contre une déclaration de l’ONU visant à promouvoir la légalisation de l’homosexualité dans le monde. Interrogés au sujet de l’article 534, la plupart des députés haussent les épaules, un peu surpris par la naïveté de la question. « Le Parlement est en léthargie législative, explique Ghassan Moukheïber, président de la commission parlementaire des Droits de l’homme. Le problème de la dépénalisation de l’homosexualité ne se pose même pas dans cette législature, ni dans celle qui va suivre. » Le message est clair : ce n’est pas au Parlement qu’il faut chercher des solutions, mais sur le terrain. Exister malgré la loi La communauté gay de Beyrouth n’a pas attendu qu’on lui donne le droit d’exister. Survivant grâce aux pots-de-vin payés par les bars et les boîtes de nuit, et grâce à une attitude relativement complaisante des autorités, ce petit monde « underground » manque évidemment de visibilité, et donc d’un moyen de défendre efficacement ses droits. L’association Helem lui donne depuis cinq ans un visage (voir encadré) et tente de négocier ses droits directement auprès de la police. En quelques années, ces actions ont permis de donner à des milliers d’hommes et de femmes une vie sociale proche de celle à laquelle ils aspirent. Si la loi emboîte bientôt le pas à la réalité, les bases d’une société ouverte aux homosexuels seront déjà présentes, du moins à Beyrouth. Mais il reste tout de même à rendre « gay-friendly » un société marquée par des siècles d’homophobie. C’est une autre loi, celle de la honte et du déni, qu’il faudra alors abolir dans les esprits – et on ne pourra plus en faire porter la responsabilité à la police ou aux gouvernements.
La loi punissant l’homosexualité au Liban est ambiguë et obsolète. Tous les moyens sont encore bons pour l’appliquer, mais également pour la contourner.
C’est un couple comme les autres qui habite ce grand appartement de la rue de Verdun, dans le centre de Beyrouth. À 37 et 42 ans, J. et M. s’aiment, vivent ensemble depuis dix ans et partagent les remous de leur vie quotidienne. Ils ont chacun un emploi et gagnent plutôt bien leur vie. Le soir et le week-end, ils sortent avec leurs amis ou leur famille. Ils se disputent de temps en temps, bien sûr ; mais ça ne dure jamais bien longtemps. Leur vie est plutôt paisible, comme celle de leurs voisins.
Et pourtant, J. et M. représentent un immense pied de nez à la société bien-pensante qui les entoure. Tous deux sont des hommes, et ils revendiquent leur homosexualité...