Cloués devant les postes de télévision, les Libanais, toutes opinions politiques confondues, ne pouvaient pas rester indifférents à cette visite ubuesque du chef du CPL à Damas.
Était-ce celle de l’ancien général, le commandant en chef des forces armées libanaises, ou celle de l’ancien Premier ministre libanais, ou celle du porteur de ces deux identités, acculé hier par ses hôtes d’aujourd’hui à demander l’asile politique en France durant de longues années, ou encore celle du citoyen blessé qui a milité durant cette même période, lui et ses partisans, au prix de leur vie et de leur sécurité personnelle, pour obtenir le « Syria Accountability Act » ?
Était-ce celle de cet ancien chef de guerre vaincu et de retour sur le territoire national grâce aux bons offices de ceux qui avaient occasionné sa demande d’asile politique en France, ou celle du politicien converti qui allait emporter haut la main les dernières élections législatives en 2005, au travers d’un vote de réaction, ou celle de l’auteur de l’accord de coopération avec le Hezbollah et son partenaire inconditionnel dans toutes les actions politiques nationales de ce dernier ?
Était-ce, enfin, celle du chef politique chrétien qui n’a pas hésité à critiquer ouvertement le patriarche maronite sans aucune forme de diplomatie ou d’éthique, allant jusqu’à vouloir l’isoler et discréditer son aura nationale et avec lui celle de tous les chrétiens sans exception ?
Cette liste d’interrogations autour des différentes identités de ce personnage, certainement hors normes, pourrait se prolonger à l’infini, elle comportera encore et toujours de nombreux autres « chapeaux ». Il les portera tous avec autant d’aisance et continuera à manipuler sans vergogne les contradictions les plus extrêmes avec aplomb et en parfaite rupture avec ce que les politiques traditionnels appellent des « constantes politiques », censées être des garde-fous immuables et intouchables.
Pour le général et ses « suiveurs », la « constante politique nationale », c’est lui, le gourou, et « l’inconstance », ce sont tous ceux qui n’appartiennent pas à la secte.
Son action sur le terrain favorisera ses choix stratégiques plutôt que ses options nationales fondamentales. Il martèlera d’ailleurs systématiquement haut et fort, chaque fois qu’il prendra la parole, sa vérité, pour anticiper la réaction des siens et les garder mobilisés, quels que soient les revers politiques qu’il pourrait éventuellement subir du fait de ses innombrables retournements et pirouettes dont l’objectif essentiel sera de couvrir sa stratégie personnelle au détriment de la défense de sa vision nationale. Son action politique depuis son retour au Liban en 2005 s’inscrit d’ailleurs dans le cadre d’un choix délibéré qui est le fruit d’une problématique basée sur ses expériences actuelles et passées, à savoir qu’il est plus simple de se positionner stratégiquement plutôt que de s’embarrasser de constantes politiques fondamentales qu’il faudra défendre coûte que coûte et qui risqueraient de lui faire perdre ses chances d’accéder un jour au pouvoir suprême. Cette démarche est donc moins contraignante et plus aisée à manipuler surtout dans un pays où l’opinion publique est quasi inexistante et n’a pas de ce fait le pouvoir d’influer sur le politique.
Comment, à partir de cette brève analyse d’un des chefs politiques libanais contemporains les plus controversés, doit-on interpréter la visite qu’il vient d’effectuer en Syrie ces derniers jours ? Doit-on la qualifier d’« historique », comme le pensent certains, ou de « collabo », comme l’affirment les autres ?
Dans la forme, cette visite a été préparée dans les plus petits détails par le régime syrien qui a veillé à orner les sites prévus au programme de son hôte illustre de leurs plus belles parures et à offrir à ce dernier tout le faste réservé généralement aux chefs d’État en visite officielle. Mais la thématique de ce « retour aux sources » rappelait étrangement le slogan du parti phalangiste : « Dieu, la patrie, la famille » ! Si cette trilogie avait été habilement conçue par les hôtes du général pour lui offrir un « package » complet devant lui permettre, de retour au Liban, d’être sacré chef politique incontesté des chrétiens du Liban, de Syrie, d’Irak et peut-être bien d’Orient, et lui donner à la clé une victoire incontestée aux prochaines élections législatives, il n’en reste pas moins que le symbolisme de cette même trilogie pourrait aussi signifier dans une lecture parallèle, vue du côté syrien, que le pèlerinage à saint Maron, le patron des maronites du Liban, se fait en Syrie et non au Liban, la réunion des deux familles libanaise et syrienne du président Assad et du général Aoun se fait dans la maison mère à Alep, en Syrie, et non au Liban, et qu’enfin les bains de foule incontestés auxquels a droit l’hôte chrétien libanais sont syriens et non libanais ! Cette corrélation devrait amener les masses populaires dans les deux pays « frères » à reconnaître qu’il existe donc entre eux une interaction et des références religieuses, familiales, historiques, géographiques et donc politiques communes, et que le Liban et les Libanais se doivent de ne pas l’occulter ou l’ignorer. Il faudra qu’ils s’en rappellent en temps opportun, surtout après cette visite d’un de leurs leaders politiques, car la Syrie saura, elle aussi, déployer tous les efforts nécessaires pour l’introniser au moment venu chef de la nouvelle majorité parlementaire.
Dans le fond, il était aussi évident que la Syrie ne voulait pas donner ou concéder quoi que ce soit à son hôte. La preuve c’est que ce dernier, bien que comblé au niveau relationnel personnel, est revenu bredouille, hormis peut-être une feuille de route pour gérer la période qui le sépare des prochaines élections législatives, tous les autres sujets en suspens depuis si longtemps entre les deux pays n’ayant probablement même pas été soulevés puisque aucun communiqué commun officiel n’a été publié dans la presse.
C’est vrai aussi que le général ne faisait que répondre à une invitation que le régime syrien lui avait adressée il y a quelque temps pour « faire connaissance » et sceller un pacte d’« amitié et de fraternité » sans aucune arrière-pensée de part et d’autre !
En conclusion et à l’occasion de cette visite, il faut quand même rappeler que si les politiques ont la capacité de manipuler l’histoire pour asseoir leurs intérêts personnels, par contre l’histoire, elle, ne gardera que la trace de ceux qui auront gravé dans la mémoire de leurs concitoyens des pages de liberté, de souveraineté, d’indépendance et de démocratie dans l’histoire de leur pays !
Les citoyens du pays du Cèdre et leurs chefs politiques doivent pour ce faire rester donc très vigilants dans cette période trouble de l’histoire du Liban et veiller à ne pas trop s’exposer à des tentatives de récupération ou de déstabilisation indirectes aussi anodines fussent-elles, et éviter, surtout, que les prochaines élections législatives ne soient l’occasion d’un retour légalisé et en douceur de « rôdeurs » étrangers, toujours aussi assoiffés de pouvoir et d’hégémonie.
Article paru le samedi 20 décembre 2008
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Cloués devant les postes de télévision, les Libanais, toutes opinions politiques confondues, ne pouvaient pas rester indifférents à cette visite ubuesque du chef du CPL à Damas.
Était-ce celle de l’ancien général, le commandant en chef des forces armées libanaises, ou celle de l’ancien Premier ministre libanais, ou celle du porteur de ces deux identités, acculé hier par ses hôtes d’aujourd’hui à demander l’asile politique en France durant de longues années, ou encore celle du citoyen blessé qui a milité durant cette même période, lui et ses partisans, au prix de leur vie et de leur sécurité personnelle, pour obtenir le « Syria Accountability Act » ?
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