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Actualités - interview

Interview Michel Aoun : Ma visite à Damas sera comme celle de De Gaulle en Allemagne Scarlett HADDAD

Quand il fait la guerre, les Libanais tremblent, et quand il fait la paix, ils poussent un soupir de soulagement. Adulé ou détesté, le général Michel Aoun reste un personnage-clé de la scène politique et ses moindres déclarations sont largement commentées dans les médias. À plus forte raison lorsqu’il décide d’aller à Damas... Se rend-il ainsi à Canossa comme tant d’autres Libanais avant lui, ou bien va-t-il en homme libre qui ne demande rien et ne regarde que vers l’avenir ? Que dit-il aux proches des soldats morts le 13 octobre 1990 ? Le général Michel Aoun répond à toutes ces questions avec franchise, convaincu d’œuvrer dans le sens de l’histoire, lui qui, aux yeux de certains, multiplie ces derniers temps les contresens. « Je veux purifier les mémoires », dit-il. Dans un moment aussi important, il se dit conscient de la responsabilité qui pèse sur ses épaules... Q : Comment l’homme qui avait déclaré en 1989 qu’il faut « briser Hafez el-Assad, comme il a détruit le Liban » se retrouvera-t-il bientôt à Damas ? R : « J’avais tenu ces propos à Baabda, alors que le palais présidentiel et toutes les régions étaient soumis à de violents bombardements. Ils font partie des moyens utilisés pendant la guerre. Il est facile de rester fixé sur cette période et de ressasser en permanence cette phrase. Mais le vrai courage est de la dépasser pour arriver à la paix, et à l’assainissement et la purification des consciences libanaises et syriennes, pour les délivrer des erreurs et des tâches qui les alourdissent. Notre objectif est de libérer nos mémoires des conséquences de ces actes pour parvenir à construire, comme nous l’avions promis, des relations satisfaisantes entre nos deux pays. De toute façon, à l’époque de la guerre, des propos violents ont été tenus par toutes les parties. » Q : Comment expliquez-vous votre changement d’attitude ? Considérez-vous avoir fait des erreurs envers la Syrie ou bien est-ce elle qui a fait des erreurs à votre égard ? R : « On ne peut construire de nouvelles relations entre deux parties qui se sont affrontées militairement sans procéder à une réévaluation de la période de confrontation. Cette réévaluation peut être individuelle ou bilatérale, mais elle est indispensable. Ce qui facilite les choses, c’est que ceux qui étaient au pouvoir à cette époque en Syrie ne le sont plus aujourd’hui. Nous avions tous les deux hérité d’une situation très difficile, mais il était impossible de la traiter à l’époque car les difficultés dépassaient la région. Aujourd’hui encore, nous subissons les interventions étrangères dans la situation régionale. Après la guerre israélienne de 2006, on a cherché à imposer une nouvelle donne au Liban. Mais forts de l’expérience des années 80, nous avons tiré la leçon du passé et nous avons empêché la réalisation de ce scénario, sauvant ainsi notre pays. » Q : Que direz-vous à Damas aux proches de ceux qui sont morts le 13 octobre ? R : « Ce qu’a dit De Gaulle lorsqu’il s’est rendu en Allemagne, après la Seconde Guerre mondiale qui avait fait près de 70 millions de morts. Cette visite a été à l’origine de la création de l’Union européenne et elle a eu lieu après trois guerres entre les deux pays, dont deux mondiales : 1870, 1914 et 1939. La paix vaut bien une visite et plus encore. De plus, pourquoi ne pas améliorer les relations avec la Syrie, alors que les pays arabes, dont le conflit avec Israël remonte à 60 ans, songent à faire la paix ou à entamer des négociations avec l’État hébreu ? Si on souhaite faire la paix avec l’ennemi, à plus forte raison faut-il la faire entre nous Arabes. » Q : Dans ce cas, pourquoi ne pas aller aussi en Israël ? R : « Israël est toujours un ennemi et poursuit ses agressions contre le Liban. Ce pays cherche à nous faire exploser démographiquement et économiquement en refusant le droit au retour des Palestiniens sur leur sol et il cherche à provoquer des problèmes chez nous. » Q : Pourquoi ce timing ? R : « J’avais reçu une invitation indirecte pour me rendre en Syrie après la guerre de 2006. J’avais alors dit que j’y répondrai lorsque les circonstances le permettront. Par la suite, le président Bachar el-Assad a réitéré cette invitation dans ses déclarations, et ses propos ont été confirmés par le ministre syrien Walid Moallem lors de la séance d’élection du président Michel Sleiman. Nous étions fin mai et j’ai répondu que je me rendrai à Damas à l’automne. » Q : Est-ce en relation avec les élections législatives et attendez-vous un cadeau qui pourrait vous aider dans cette bataille ? R : « Pas du tout. Si je voulais recevoir un cadeau électoral, je me serais rendu à Damas en mars. » Q : Ne craignez-vous pas que cette visite nuise à votre popularité, les relations avec la Syrie restant un tabou chez les chrétiens ? R : « Je crois surtout qu’il s’agit d’un tabou chez ceux qui avaient collaboré avec les Syriens pendant leur présence au Liban. Peut-être craignent-ils que je découvre en Syrie des secrets sur leur comportement de l’époque qui pourraient leur faire honte... » Q : Pourquoi réussiriez-vous à réconcilier les chrétiens avec la Syrie alors que tous les autres ont échoué ? R : « Je cherche surtout à purifier les mémoires des Libanais et des Syriens car chaque partie a quelque chose sur la conscience. Je pense que je pourrais réussir car les positions que j’ai adoptées lorsque le Liban était sous le feu des agressions israéliennes ont contribué à assurer la victoire à mon pays, tout comme elles ont évité de compléter l’isolement de la Syrie, voulu par la communauté internationale qui protégeait Israël dans sa guerre contre le Liban. La Syrie a été rassurée sur le fait que le Liban n’est plus “son ventre mou”, mais représente un appui dans les moments difficiles. Elle a d’ailleurs répondu à cette attitude en décidant d’établir des relations diplomatiques avec le Liban, et les Libanais ont compris qu’elle ne compte pas exercer son hégémonie sur leur pays. C’est ainsi qu’a pris fin la guerre des intentions entre la Syrie et le Liban, et la situation est en train de se normaliser. » Q : En quelle qualité vous rendez-vous en Syrie ? R : « Un peu tout. En tant que leader chrétien et national. Bref, je suis Michel Aoun et je représente ce que je représente. » Q : Y a-t-il une rivalité entre vous et le président Sleiman ? Il va en Syrie, vous le suivez, vous allez en Iran, il vous suit... R : « Il n’y a aucune rivalité entre nous. Nous partageons le même point de vue et nous essayons de nouer des amitiés pour le Liban, augmentant ainsi le réseau de solidarité avec notre pays. Tous les deux, nous servons la même cause et chacun de nous la défend comme il le peut, avec ses propres termes. » Q : On a dit que vos visites en Iran et en Syrie sont dans l’intérêt des chrétiens d’Orient. Que faites-vous concrètement pour cette cause ? R : « Depuis la fondation de l’État d’Israël, les États-Unis et Israël travaillent de concert et ce sont les chrétiens de la région qui s’en vont. Ils sont marginalisés et ne sont pas épanouis ni économiquement ni politiquement. Selon les dernières statistiques, leur présence est tombée de 20 à 1% dans les Lieux saints. Même chose en Irak, dans les régions kurdes, où des bureaux israéliens sont installés ; les chrétiens sont contraints à l’exode, bien qu’ils ne soient pas partie au conflit. Ils sont déracinés alors que les Assyriens sont une des plus anciennes civilisations de la région. Nous essayons de soulever cette question, car nous sommes convaincus que l’Orient sans les chrétiens subira une désertification. Le chrétien porte en lui la culture de l’ouverture, et par nature, il est opposé à la pensée unique et à l’extrémisme religieux. » Q : En vous rendant en Syrie et en Iran, n’êtes-vous pas en train de placer le Liban dans la politique des axes que vous décriez ? R : « Dans mes visites à l’étranger, je ne transporte pas avec moi les rivalités libanaises. Je ne suis porteur que de l’amitié du Liban, et je reviens au Liban avec l’amitié des pays visités, non avec leurs rivalités et leurs problèmes. » Q : Dans ce cas, comptez-vous vous rendre en Arabie saoudite ? R : « Je vais là où je suis invité. S’il s’agit d’un pays ami, je vais pour consolider cette amitié, sinon, je vais pour améliorer nos relations. Je crois avant tout au dialogue. Une de mes conférences données à Londres en 2000 avait pour titre : “Le dialogue est la seule voie de salut”... »
Quand il fait la guerre, les Libanais tremblent, et quand il fait la paix, ils poussent un soupir de soulagement. Adulé ou détesté, le général Michel Aoun reste un personnage-clé de la scène politique et ses moindres déclarations sont largement commentées dans les médias.
À plus forte raison lorsqu’il décide d’aller à Damas... Se rend-il ainsi à Canossa comme tant d’autres...