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Actualités - OPINION

I- Un nouveau regard sur l’engagement chrétien dans la vie politique au Liban Fady FADEL

Le texte qui suit est la première partie d’une conférence donnée à Dar el-Fatwa, sur invitation du gouvernement indonésien. Si l’objectif du dialogue, initié, voire animé par les acteurs religieux a déjà un objectif, à savoir l’implantation de la paix et de la tolérance, il n’en demeure pas moins que son fondement et son mécanisme principiel restent à élucider, afin d’atteindre sainement et durablement l’objectif fixé. Pourquoi et comment dialoguer ? N’est-ce pas l’affaire des acteurs politiques de chercher le dialogue et d’instaurer la paix ? Jésus n’a-t-il pas dit : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mc 12, 17) ? Le pape Benoît XVI, lors de sa récente visite en France, n’a-t-il pas rappelé le 16 septembre cet enseignement de Jésus en évoquant le problème des relations entre la sphère politique et la sphère religieuse ? Or, afin de fonder l’action des figures religieuses dans la promotion du dialogue, il nous semble intéressant d’approcher en premier lieu le sens théologique de la distinction opérée par Jésus entre César et Dieu. Cela nous permettra de repenser en deuxième lieu le rôle spécifique de l’Église dans la société pluraliste libanaise avant de développer les mécanismes pratiques permettant d’asseoir l’action des figures religieuses sur des bases solides et authentiques à la lumière de l’évangile. Distinction et intégration A- Il est clair que Jésus opère une distinction entre César et Dieu. Mais il n’y a pas de séparation chronologique puisque le Royaume de Dieu nous concerne aussi dès maintenant. Il n’y a pas de juxtaposition dans le temps entre un royaume de César et un royaume de Dieu hypothétique « pour après la mort ». Les 2 verbes sont au présent : Rendez… ! Plus précisément, Jésus est affronté à un piège. Faut-il payer l’impôt à César ? Non, disent alors les pharisiens et les zélotes. Oui, disent les sadducéens. Mais Jésus refuse de se laisser enfermer. Notons d’abord l’ironie de sa réponse. Si l’on se souvient de ce que Jésus pense de l’argent (de Mammon), on peut comprendre sa réponse comme profondément « libre » par rapport au « sérieux » de ses interlocuteurs. B- Oscar Cullmann analyse ainsi ce passage : « L’État dans son domaine peut réclamer ce qui lui revient : l’impôt. Mais Jésus ne le met pas sur le même plan que Dieu. Car donner à Dieu ce qui est à Dieu, c’est lui consacrer sa personne tout entière dans le culte qui lui revient. » L’argent appartient à l’empereur : il est assez sot pour y graver son image ! Mais ce qui est à l’image de Dieu, ce n’est pas l’argent : c’est l’homme, et l’homme vivant, l’homme libre, capable de créer comme Dieu lui-même est Créateur. Il y a donc une distance considérable entre le pouvoir de César, fondé sur l’argent, et la gloire de Dieu, reconnu par des hommes libres. L’État n’est rien d’absolu, mais il peut prélever l’impôt, et on doit le lui payer, même s’il s’agit de l’État romain païen qui n’a, au fond, aucun droit à posséder la Palestine. Dans un autre contexte, Jésus invite Pierre à payer la taxe (Mt 17, 25) ; mais inversement, l’homme ne doit consacrer sa personne qu’à Dieu ; il ne faut donner à l’État que ce à quoi il a droit et pas plus. Le chrétien peut donc reconnaître la validité de l’État, l’étendue terrestre de ses droits, mais sans s’avilir au point de s’en faire l’esclave ou l’adorateur. C- Dépassons maintenant le contexte immédiat pour essayer de voir les implications possibles de ce passage d’Évangile. Gardons présents à l’esprit les nombreux démêlés entre pouvoirs politiques et autorités religieuses. Jésus dit : César…/et … Dieu. Il ne dit pas : État et/Église. Son enseignement ne permet donc pas de définir immédiatement les rapports entre société politique et société ecclésiale. Une autre équivoque peut surgir de la manière dont le problème foi/politique est posé. Il arrive souvent, en effet, que l’on substitue aux termes : foi/politique, les termes : spirituel/temporel, divin/terrestre, chrétien/humain. Or ces termes sont dangereux dans la mesure où ils introduisent des symétries fausses. – Opposer le spirituel au temporel, c’est dire implicitement que le spirituel ne se joue pas dans le temps ou que le temps n’a pas de signification spirituelle. – Opposer le divin au terrestre, c’est donner à entendre que la vie terrestre n’a rien à voir avec le divin ou que Dieu est « ailleurs », absent de ce qui se joue sur cette terre. – De même, opposer chrétien à humain, c’est faire comme si les chrétiens n’étaient pas hommes ou comme s’il existait quelque part de « l’humain » à l’état pur, sans « altération » religieuse ou chrétienne. C’est peut-être cette dernière opposition qui est la plus répandue, chez nous, depuis vingt ans : combien de fois n’a-t-on pas entendu – « agir en tant qu’homme, avant d’être un chrétien » ? En réalité, les mots ne sont pas neutres. Ils portent avec eux des pesanteurs spécifiques. Et des problèmes posés à partir d’oppositions non pertinentes ne peuvent induire que des solutions boiteuses. Celles-ci se répercutent pour la question qui est la nôtre dans ce risque fréquent d’opposer foi et politique, comme si les croyants ne « faisaient pas » de politique et n’étaient pas aussi des citoyens – ou comme si la politique pouvait se définir – de la part des croyants – sans aucune référence à la foi. Intégration Pour échapper à cette confusion, il faut maintenant esquisser les possibilités d’intégration positive des responsabilités politiques parmi les responsabilités des chrétiens. Pour ce faire, il faut aborder l’enseignement des Évangiles à partir du versant juif, c’est-à-dire à partir de la théocratie. De ce point de vue et par opposition à lui, lorsque Jésus reconnaît un statut à César (« rendez à César ce qui est à César »), il ouvre un espace positif pour la politique. Là où la politique n’existait pas comme telle, ou était réputée mauvaise, Jésus laisse place pour une souveraineté de César sur un certain nombre d’activités humaines (celle qui relèvent de l’utilisation de l’impôt = des biens publics), étant entendu que l’homme ne peut rendre un culte qu’à Dieu. César fait partie de l’univers terrestre, humain. Il fait donc partie de l’univers des créatures dont il partage la dignité et la fragilité (cf. Genèse). Du même coup, Jésus s’oppose à l’adoration de César (qui deviendrait Dieu) et à la théocratie juive où César est le « Diable ». Puisque César est créature, Jésus pose autrement les rapports entre foi et politique et il ouvre l’espace de l’autonomie relative du politique à l’intérieur de l’univers humain. Il existe donc un espace possible pour une rationalité politique. De la même façon, nous avons déjà rencontré un espace possible pour une rationalité judiciaire, lors de l’épisode des deux héritiers rivaux. Fady FADEL o.a.m. Professeur de droit public Secrétaire général de l’Université antonine Prochain article : Instaurer un langage politique qui s’appuie sur l’appartenance citoyenne Article paru le vendredi 7 novembre 2008
Le texte qui suit est la première partie d’une conférence donnée à Dar el-Fatwa, sur invitation du gouvernement indonésien.
Si l’objectif du dialogue, initié, voire animé par les acteurs religieux a déjà un objectif, à savoir l’implantation de la paix et de la tolérance, il n’en demeure pas moins que son fondement et son mécanisme principiel restent à élucider, afin...