Regard franc, poignée de main exécutive, tenue sobre, Fadela Amara, secrétaire d’État chargée de la politique de la ville dans le gouvernement de François Fillon, reçoit simplement dans son bureau aux tons clairs. Sur sa table de travail s’empilent les dossiers de son ministère, l’un des plus sensibles du gouvernement, et tout le long des murs s’étale une carte en couleurs de l’empire colonial français des années 30, une œuvre classée. L’emploi du temps de Fadela Amara est minutieusement programmé. Elle participe au Forum des femmes arabes. Une participation qu’elle a voulue et qui s’inscrit dans le droit fil de ses engagements précédant sa nomination au gouvernement de François Fillon, notamment à la tête de son association « Ni putes ni soumises ».
Nicolas Sarkozy a repêché cette femme engagée, réputée pour son franc-parler, dans les rangs du Parti socialiste. Amara, qui a participé à la marche avec les beurs en 1983 et qui a milité à SOS Racisme, s’est longtemps battue pour la condition des femmes dans les banlieues, contre les discriminations dont elles font l’objet. Elle cassera la loi du silence et organisera la marche des femmes avec ce slogan provocateur « Ni putes ni soumises », qui deviendra un mouvement populaire chargé de défendre l’émancipation des filles, l’égalité des sexes, la laïcité et la mixité dans les quartiers.
Son entrée et sa participation à un gouvernement de droite devaient provoquer la controverse, en raison de ses affinités politiques « à gauche ». C’est pourquoi, elle rend un hommage appuyé au « courage politique » du président Sarkozy pour l’avoir choisie. À bon escient, puisque c’est à elle qu’il confie la tâche de trouver des solutions au problème des banlieues en France. Qui mieux que cette militante pour les droits de la femme et contre le racisme, issue du milieu de l’immigration, peut être à même de comprendre ce qui s’y passe et contribuer à apporter des éléments de solution à la question de l’intégration et de la participation prônée depuis des années ? Avec une lucidité percutante liée à son vécu, Fadela Amara dresse un état des lieux dans les banlieues qu’elle dénomme « nos quartiers », décrit les causes de leur décomposition sociale et de la perte des valeurs républicaines et préconise « la laïcité comme projet politique qui favorise l’émancipation et la liberté des femmes, et particulièrement celles issues de l’immigration ».
Elle ne mâche pas ses mots pour dénoncer les dangers de l’islamisation, favorisée par le chômage et un fonctionnement patriarcal dans les cités. Cette femme déterminée est aussi une travailleuse acharnée et un pilier du mouvement associatif. Elle se dit hostile à des politiques d’assistanat qui « créent un état de dépendance au lieu de créer des hommes et des femmes libres et des citoyens actifs ».
Son projet intitulé « Espoir Banlieues – Une dynamique pour la France » concerne plus de six millions de personnes en France et requiert la collaboration de tout le gouvernement.
Entretien avec une femme qui a des convictions fermes, la parole directe et la force de l’engagement.
Le Forum pour partager l’expérience
Q – Pourquoi participez-vous au Forum des femmes arabes ? Est-ce un thème qui vous interpelle spécialement ?
R – « J’ai répondu à l’invitation pour deux raisons : 1) je suis issue du milieu associatif et des mouvements féministes, j’ai un regard particulier sur la question des femmes à travers le monde et c’est important pour moi de rencontrer d’autres femmes, du Maghreb, du Liban ou d’autres pays, afin de partager les expériences des luttes féministes ; 2) cela concerne des femmes arabes et j’ai, depuis toujours, l’envie de lutter contre les préjugés qu’on peut avoir dans le monde occidental à l’égard de la femme arabe, considérée en situation de pression et de domination masculine. Il est important aussi pour les filles des quartiers populaires de France de se rendre compte que, de l’autre côté, il y a des femmes arabes qui sont en mouvement pour la liberté, l’égalité, dans les milieux politiques, économiques, et autres, et qu’elles s’inscrivent dans une démarche de progrès de l’humanité et de modernité, sans pour autant renier leurs différentes appartenances, chrétienne ou musulmane. Ce phénomène d’identification peut être porteur de progrès pour ces filles, car cela ôterait le sentiment de culpabilité que certaines d’entre elles peuvent avoir lorsqu’elles luttent pour leur émancipation et contre des traditions archaïques qui les oppriment. »
L’impact d’Abou-Ghraib
Q – Pensez-vous que le monde se porterait mieux s’il était gouverné par plus de femmes ?
R – « Non, je ne partage pas cette idée intellectuellement. Je pense que ce mythe a explosé le jour où nous avons tous vu à la télé les images de cette jeune soldate américaine qui a participé, dans la prison d’Abou-Ghraib, à la torture de prisonniers irakiens, avec un raffinement de cruauté extrêmement violent. Une femme peut donc rentrer elle aussi dans des dérives et tomber dans l’abus du pouvoir jusqu’à pratiquer la torture. Abou-Ghraib m’a servie de leçon et a cassé le mythe d’un pouvoir féminin porteur d’amour, d’humanité. Le seul “plus” des femmes, à mon avis, c’est qu’elles sont plus pragma tiques et vont à l’essentiel. Quand elles prennent des responsabilités, en général, c’est pour apporter quelque chose dans l’action. »
Le courage de Sarkozy
Q – Votre présence au gouvernement en tant que femme vous oblige-t-elle à travailler doublement pour vous affirmer ? Y a-t-il pour la femme une obligation de résultat davantage que pour ses pairs masculins ?
R – « Oui, la femme en situation de responsabilité politique est obligée de faire plus pour prouver mieux. J’ai une responsabilité lourde à porter. Je suis fière de servir mon pays, mais j’espère qu’un jour viendra où l’on ne sera pas obligée à chaque fois de prouver qu’on est compétentes. Le président Sarkozy a fait preuve d’un courage politique important, car un certain machisme continue d’exister dans mon pays, y compris dans les sphères politiques. Il a nommé Christine Lagarde ministre de l’Économie, et des femmes issues de l’immigration comme Rachida Dati, Garde des Sceaux. Même chose avec Rama Yade, et avec moi qui, de surcroît, viens d’une tendance politique autre que celle du gouvernement. C’est une démarche très courageuse.
« Le texte de loi imposant la parité a été une belle surprise. C’est l’une des plus grandes revendications féministes de tous bords. Je regrette ce codicille qui permet de contourner les objectifs de la parité en payant une amende, car les partis politiques utilisent ce biais pour éviter l’objectif de la parité dans leurs institutions. Je suis en faveur de la parité, car elle permettra aussi l’émergence de femmes appartenant aux classes populaires, et pas seulement bourgeoises. »
Mon combat avec
« Ni putes ni soumises »
« Quand j’ai créé le mouvement “Ni putes ni soumises”, les femmes dans les quartiers ne connaissaient pas le combat des causes féministes. Il a fallu faire un vrai travail pédagogique de transmission et pousser les filles à prendre le relais. Une des premières revendications était le droit de disposer de son corps. Dans les quartiers populaires, aujourd’hui, au nom de la virginité, de l’honneur de la famille et de tout le quartier, les filles sont prises en otage, il y a un contrôle systématique. Quand notre mouvement a émergé dans l’espace public, il a explosé tous les tabous et dénoncé la régression du statut des femmes, et des questions spécifiquement liées à l’immigration comme l’excision, les mariages forcés, le port du voile. Mais les mouvements féministes se sont divisés. Il y avait celles qui avançaient l’argument de la culture d’origine dans les banlieues et les universalistes. Moi je dis que la liberté et l’égalité sont également valables pour les femmes issues de l’immigration. »
Fonctionnement
patriarcal dans les quartiers
Q – Dans quelle mesure ces banlieues ne sont pas l’extension des cultures d’origine, très machistes ? Ce problème peut-il être résolu par le mouvement féministe uniquement ?
R – « C’est une question de fond qui relève de la rupture d’identité. Mon père, immigré en France dans les années 55, a ramené ma mère d’Algérie, et mes frères et sœurs sommes tous nés en France dans les années 60 et avons été à l’école républicaine. Nos parents nous ont élevés avec un schéma traditionnel imprégné de culture française. De plus, l’Algérie était encore un département français à cette époque. Mon père pensait que les rôles de la femme et de l’homme sont bien définis, l’homme comme pourvoyeur d’argent et la femme à la maison. Mais cette éducation traditionnelle, je la retrouvais aussi dans des familles françaises qui habitaient notre quartier. Les luttes féministes des années 70 ont permis à des femmes comme moi de nous aider à nous émanciper.
« Donc le problème n’est pas lié aux pays d’origine, car ceux-ci évoluent, rentrent dans la modernité, alors que la situation dans les quartiers en France se dégrade. En Algérie aujourd’hui, il y a une société civile très active, des mouvements féministes très forts, qui ont payé un lourd tribut pendant les années de guerre civile face aux islamistes, dénonçant le port du voile comme un projet politique qui est en réalité obscurantiste, totalitariste, et dont la première victime est la femme.
« Tout a basculé dans les années 90. D’abord, la République n’a pas su intégrer tous ses enfants. Il y a eu un comportement discriminatoire, ensuite le chômage de masse a touché très fortement les quartiers dans les années 80-90. En se retrouvant au chômage, les pères perdaient leur autorité. Ce sont les fils aînés qui ont confisqué l’autorité du père, car ils apportaient l’argent à leurs familles, mais souvent un argent lié à l’économie parallèle. Ils ont introduit dans la cellule familiale le rapport de force et la loi du silence. Ils ont été aidés par des hommes politiques de gauche qui, en prônant le concept du grand frère, du mec des cités qui doit imposer sa respectabilité, avec ses règles qui n’ont rien à voir avec les règles de la République, ont réintroduit dans les quartiers le fonctionnement patriarcal, alors que ma génération s’était battue contre. Le troisième paramètre est la présence de groupuscules islamistes dans nos cités, ce qu’on a appelé l’islam des caves. Donc ces trois paramètres, chômage de masse, discrimination et non-intégration au sein de la République et la présence des groupuscules islamistes, ont fait des dégâts dans nos quartiers. Ils se sont paupérisés et on a fini par créer des ghettos sociaux, voire des ghettos ethniques. À l’intérieur, ce n’était plus les lois de la République qui s’appliquaient, mais la loi du plus fort et son corollaire, la loi du silence. Les filles et les femmes ont été tout de suite prises en otages et on a confisqué l’espace public, comme dans toute société patriarcale. La mixité a disparu dans le sport et dans les espaces publics, on a fait rentrer les femmes à la maison. Pour sortir un peu, les filles ont commencé à porter le voile protecteur afin de lutter contre la violence du regard masculin sur leur corps. Certaines l’ont donc utilisé comme rempart contre cette violence masculine, d’autres l’ont porté pour se racheter une respectabilité et rentrer dans le marché du mariage, enfin les autres ont porté le voile idéologique, un voile dangereux. C’est celui-là que je combattais dans mon mouvement et pour lequel je serai sans pitié, y compris en tant que membre du gouvernement. C’est le voile qui porte un projet politique fascisant.
« Ce qui nous sauve en France, notamment les filles comme moi issues de l’immigration et qui sont de confession musulmane, c’est la laïcité. C’est pour cela que dans mon mouvement, j’ai défendu la laïcité comme projet politique qui favorise l’émancipation et la liberté des femmes et particulièrement celles issues de l’immigration. »
Le projet « Espoir Banlieues »
Q – Quels sont vos axes de travail et votre orientation au ministère ?
R – « Casser les ghettos, mixer les populations, socialement et ethniquement, sur tout le territoire. C’est ce que nous faisons dans le cadre de la rénovation urbaine. C’est Jean-Louis Borloo qui l’a mis en place quand il était ministre de la Cohésion sociale. Nous avons beaucoup travaillé avec lui. Objectif : ramener le beau dans le quartier (en détruisant des tours et en ouvrant l’horizon) et une qualité de vie, retrouver la mixité sociale, assurer l’accès à la propriété pour les familles modestes et moyennes, pour inciter à s’installer dans les quartiers. Il y a 500 quartiers actuellement en rénovation urbaine, dont 215 quartiers parmi les plus “lourds”, pour lesquels l’État et les collectivités locales mettront le paquet pour les sortir du marasme et de la décomposition sociale. Ce programme va se terminer en 2012 et, à mon avis, il ira jusqu’à 2016.
« Il y a aussi la rénovation sociale. “Espoir Banlieues – Une dynamique pour la France”, c’est de la politique en direction de l’humain. Elle s’articule autour de trois axes, choisis par le président de la République : l’emploi, le désenclavement, qui va permettre la mobilité, et l’éducation. Nous avons rajouté la culture, le sport, la santé et la sécurité.
« Il y a une attention particulière sur le statut des femmes, comme étant de vraies actrices de la politique de la ville, des interlocuteurs incontournables pour le processus d’intégration sociale.
« Ce projet concerne plus de six millions de personnes dans notre pays, c’est énorme. L’ensemble du gouvernement est concerné. Il s’agit de construire une citoyenneté active pour mieux appartenir à la nation républicaine. »
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