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Actualités - OPINION

Le bloc-notes de Abdo Chakhtoura Les contagions dangereuses

La peur ! C’est la peur au ventre, la peur panique, les tripes nouées que la grande majorité des Libanais a vécu ces trois dernières années, redoutant chaque jour l’attentat, s’interrogeant sur l’identité du prochain martyr ou s’attendant carrément au retour des soldats de l’occupant chassés par la révolution du Cèdre. D’autres plus prosaïques, et ils ont peut-être raison, diront que ce sont les intérêts ponctuellement convergents des grandes puissances qui avaient permis ce retrait et que ce sont ces mêmes intérêts qui empêchent, pour le moment, ce retour. Trêve de supputations et de paris (toujours perdants d’ailleurs) sur une aide étrangère mesurée à l’aune des profits que chaque pays exige en retour. Il s’agit, en fait, de savoir si l’instauration de relations diplomatiques et un début de normalisation sont assez suffisants pour gommer un demi-siècle de visées hégémoniques, ou du moins empêcher une nouvelle invasion militaire syrienne du Liban. De prime abord, effectivement, l’affaire est loin d’être entendue. Il suffit de rappeler à cet égard les appréhensions formulées par le président Bachar el-Assad concernant (dixit) « les régions du Liban-Nord qui sont devenues les repaires du terrorisme fondamentaliste ». Oui, les Libanais ont raison de continuer à avoir peur puisque dans la foulée de ces propos, Damas a déployé dix mille soldats de ses forces spéciales à la frontière nord pour, officiellement, « combattre la contrebande (d’armes ?) et les contrebandiers ». Mais les Libanais craignent, à juste titre, que sous le couvert d’une frappe préventive contre les terroristes ainsi désignés, l’armée syrienne – aidée en cela par des milices de l’intérieur – ne pénètre à nouveau en territoire libanais pour sécuriser ces régions montrées du doigt. N’est-ce pas cette notion de guerre préventive qui a permis à Assad père d’intervenir militairement au Liban ? N’est-ce pas également en vertu de cette logique que les Américains sont intervenus en 2004 en Irak et les Russes dernièrement en Géorgie. C’est aussi forts de cette idée que les États-Unis et Israël planifient, sur le papier pour l’instant, un bombardement massif des infrastructures nucléaires et militaires iraniennes. Alors pourquoi pas une opération syrienne au Liban qui, s’agissant de terrorisme, recevrait aussi bien l’aval des Occidentaux que celui d’Israël, ce dernier ne voulant certainement pas courir le risque de voir l’extrémisme sunnite au pouvoir à Damas. Les Libanais, dans ce cas, ont toutes les raisons d’avoir peur, peur de subir à nouveau les mêmes exactions qui ont été leur lot pendant les longues années d’occupation. Peur que les soldats syriens ne veuillent prendre leur revanche pour effacer le souvenir d’un départ dans l’humiliation. Ils se rappellent, à ce propos, les trois années d’enfer qui ont suivi ce départ, trois ans jalonnés d’attentats sanglants qui ont fauché la fine fleur de la nouvelle génération politique libanaise, les héros de la nouvelle indépendance. Peur, enfin, que les Syriens de retour ne cherchent surtout à changer la donne intervenue en 2005 en aidant leurs alliés libanais, déjà puissamment armés par leurs soins, à gagner les législatives de 2009 et ancrer ensuite solidement le Liban dans l’axe régional du refus, formé par l’Iran, la Syrie et les radicaux palestiniens du Hamas et du Jihad. Comment prévenir un tel scénario qui ne relève certainement pas du seul cauchemar. Comment empêcher une bénédiction occidentale à un tel projet au moment où la Syrie est de nouveau courtisée par les grandes puissances et Israël, dans le double but de la rallier au front antiterroriste international et de la détacher de l’allié iranien en l’encourageant dans ses négociations de paix avec l’État hébreu ? Il est cependant curieusement vrai – intentions hégémoniques mises de côté – que la Syrie, elle aussi, a vécu et vit toujours dans la peur. Contraints à un retrait précipité du Liban, boycottés et frappés d’ostracisme pendant trois longues années par la communauté internationale, les dirigeants syriens ont longtemps vécu dans la hantise d’un effondrement de leur régime, sous la poussée conjuguée des Frères musulmans, qui refaisaient surface un peu partout dans le monde arabe, et des menées – quoique timides – des opposants traditionnels de l’intérieur galvanisés par l’exemple libanais. La véritable bête noire reste cependant l’extrémisme sunnite que Damas a toujours combattu par tous les moyens et quel qu’en soit le prix. L’exemple de Hama, ville presque entièrement détruite sur la tête de ses milliers d’habitants, en est la parfaite illustration. Ainsi instruits par l’histoire contemporaine et une expérience qui n’a pas été sans douleurs, les Libanais les plus concernés devraient garder la tête froide, surmonter leurs peurs, éviter la tentation un peu trop évidente de faciliter l’armement des groupuscules fondamentalistes pour que ces derniers les aident à se défendre contre un pays, menaçant, il est vrai, mais qui – on l’a vu souvent dans le passé –, appuie ces mêmes groupuscules en sous-main, afin qu’ils lui donnent des prétextes à son intervention. Tel est aussi le cas des camps palestiniens, surtout Aïn el-Héloué, abcès de fixation d’une violence permanente et terreaux propices à de telles manipulations. Mais c’est là un autre épisode de la saga interminable des relations houleuses entre le Liban et la Syrie-sœur ! Abdo Chakhtoura
La peur ! C’est la peur au ventre, la peur panique, les tripes nouées que la grande majorité des Libanais a vécu ces trois dernières années, redoutant chaque jour l’attentat, s’interrogeant sur l’identité du prochain martyr ou s’attendant carrément au retour des soldats de l’occupant chassés par la révolution du Cèdre. D’autres plus prosaïques, et ils ont peut-être...