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Actualités - OPINION

Les Jeux olympiques, outil de revendication, instrument de contestation et arme politique Céline NOHRA

Le 8 août dernier, les Jeux olympiques de Pékin, en Chine, ont été inaugurés dans un climat de vive tension géopolitique. Déjà, lors des voyages successifs de la flamme olympique autour du monde, des troubles s’étaient produits, attirant l’attention sur le conflit ancien qui oppose la Chine et le Tibet, ce dernier pays (dont les velléités d’indépendance sont relayées par leur meilleur ambassadeur, le dalaï-lama, aux quatre coins du globe) dénonçant son occupation depuis 1950. Accrochages diplomatiques, manifestations houleuses ou pacifiques, revendications géopolitiques, témoignages humanitaires et autres menaces de boycott ont marqué l’actualité des derniers mois. Cette instrumentalisation des Jeux olympiques à des fins politiques est-elle l’apanage exclusif de 2008?? Comment et à quelle occasion cette dimension d’outil et d’arme de contestation a-t-elle émergé au cours de l’histoire?? Les Jeux olympiques sont nés en 776 av. J.-C. en Grèce. Ils consistaient alors en un instrument de propagande de l’hellénisme, très dynamique, surtout avec le début de la colonisation vers l’Occident et la diffusion de l’alphabet phénicien en Grèce. Tout au long de l’époque hellénistique (IVe et IIIe siècle avant notre ère), on se réfère aux grands événements historiques selon les Olympiades. Une trêve sacrée règne durant toute la durée des Jeux, et les vainqueurs, dédaignant l’amateurisme, ont pour but de gagner afin de faire rejaillir la gloire sur leur patrie. L’empereur romain Théodose supprime ces Jeux en 394 de notre ère. En 1892, les fondements de l’olympisme sont instaurés avec Pierre de Coubertin, rénovateur des Jeux olympiques de l’Antiquité grecque. L’olympisme se définit par un ensemble de valeurs humanistes, universelles et pédagogiques de démocratie, de paix, de liberté et d’éducation civique. Inspiré par une vision prophétique du rôle des Jeux olympiques et des dangers qui les guettent, Pierre de Coubertin milite en faveur de la création d’une organisation indépendante des gouvernements. Dans le cadre d’une Europe en proie aux nationalismes, le Comité international olympique (CIO) est instauré en 1894. Haut lieu de l’orthodoxie de l’idéal olympique, ce comité tente de résoudre une problématique épineuse?: le sport étant un puissant moyen de rapprochement entre les peuples et de défense de la paix, les Jeux olympiques peuvent-ils apporter leur contribution à la réconciliation entre les peuples et à la paix universelle?? En 1896, les premiers Jeux olympiques de l’ère moderne sont inaugurés à Athènes. Le peuple grec, victime de cinq siècles d’occupation ottomane, trouve dans cet événement international l’occasion d’affirmer son identité. Le ton monte au fil des années, les combats menés sur la scène sociopolitique donnant leur couleur aux divers rendez-vous olympiques?; il serait intéressant d’évoquer, dans ce cadre, les Jeux de l’affirmation d’Amsterdam en 1928, quand les femmes font leur entrée dans le théâtre olympique, remportant une victoire contre les préjugés, les interdits moraux, scientifiques et médicaux (compromission de l’avenir de la race?!), et obtenant le droit de lutter entre elles sur les mêmes stades que les hommes. En 1936, le paradoxe olympique éclate à Berlin avec les Jeux nazis, les Jeux défigurés, les Jeux de la honte. Hitler évalue alors le profit qu’il peut tirer de l’événement olympique, véritable caisse de résonance pour la propagande nazie. Les Jeux olympiques de Berlin illustrent parfaitement deux conceptions contradictoires du sport et de l’idéologie sportive. Pour les défenseurs de l’olympisme, le temps des Jeux est celui de la trêve, du libre affrontement des hommes. Or, en 1936, la mise en scène grandiose du cérémonial olympique souligne l’occasion idéale de conjuguer l’hymne olympique composé par Richard Strauss à la race aryenne et le culte de l’athlète antique, cher au fascisme. Ce rendez-vous sportif est marqué du sceau de la trahison des idéaux olympiques?: discrimination raciale (dont la figure emblématique, Jesse Owens, constitue le plus beau déni d’un Noir aux théories raciales du nazisme, entraînant une destruction du mythe de la supériorité aryenne), antisémitisme, amalgame entre la célébration de l’idéologie nazie et celle de l’olympisme. La propagande olympique est ici mise au service de la politique du Reich, entre autres avec les films de la cinéaste Leni Riefenstahl. En 1960, en plein contexte de décolonisation et d’émergence du tiers-monde sur la scène internationale, l’Afrique conquiert les Jeux olympiques de Rome grâce à l’Éthiopien Abebe Bikila, qui remporte le marathon. Mais le véritable tournant s’opère en 1968, année de toutes les agitations sociopolitiques, lorsque le sport, à Mexico, se met à l’heure de la contestation. Tommie Smith et John Carlos, respectivement médailles d’or et de bronze au 200 mètres plat et représentant les États-Unis, lèvent deux poings gantés de cuir noir sur le podium, au moment où retentit l’hymne américain et où est hissée la bannière étoilée. Cette scène, qui fait le tour du monde grâce à la télévision, rappelle à la première puissance mondiale qu’elle est minée de l’intérieur par le problème noir. Pour la première fois dans l’histoire de l’olympisme, des athlètes utilisent leur succès pour exprimer leurs opinions politiques. Ce geste et cette manifestation symboliques renvoient aux Black Panthers, organisation la plus radicale du mouvement noir contre la discrimination raciale (noter que ce mouvement est à son apogée alors aux États-Unis, notamment avec Martin Luther King)?; ils renvoient à des raisons politiques et veulent donner du poids à certaines revendications matérielles. En 1972, lors des Jeux olympiques de Munich, un commando palestinien affilié au groupe terroriste Septembre noir réalise une spectaculaire prise d’otages qui aboutit, à l’aéroport, à un véritable bain de sang avec l’exécution des athlètes israéliens détenus. L’Allemagne, qui voyait dans ce rendez-vous sportif une «?rédemption?» (Guy Kédia) des Jeux olympiques de Berlin de 1936, est confrontée à un rappel insupportable d’un passé encore vivace. Cet épisode, outre la marque qu’il laisse dans les relations israélo-palestiniennes, ouvre une nouvelle ère dans l’histoire des Jeux olympiques, désormais enjeu politique autant que trêve pacifique dédiée au sport. Les Jeux sont ainsi mêlés pour la première fois à un conflit international qui fait rage depuis 1948. Le mythe de l’olympisme se trouve ici sérieusement altéré?; les Olympiades, autrefois signal d’un armistice, peuvent devenir l’occasion de faits de guerre, de terrorisme, d’attentats. Elles ne sont plus un signe de paix, mais le support médiatique idéal d’une action politique. Le sport devient dès lors l’otage des conflits internationaux. En 1980 à Moscou (boycott des Jeux par les États-Unis, la RFA, le Japon, le Canada et la Chine pour protester contre l’invasion de l’Afghanistan en 1979 par l’URSS), puis de nouveau en 1984 à Los Angeles (boycott des Jeux par l’URSS et le bloc de l’Est), les Olympiades s’inscrivent en gros titres dans le cadre de la guerre froide. En 1996, à Atlanta, pour leur centenaire, les Jeux olympiques font définitivement leur entrée dans la sphère géopolitique?; le palmarès olympique peut être lu comme un instantané des rapports de force entre les pays, comme l’affirme le géopoliticien Zaki Laïdi dans Libération le 15/8/96. Les grandes structures qui organisent l’échiquier mondial constituent désormais la trame des Jeux?: Nord, Sud, rapports de force, centres, périphéries intégrées, périphéries marginalisées, etc. Comme nous l’a rappelé l’actualité de ces derniers mois, les Jeux olympiques continuent de plus belle leur évolution en tant qu’outil de propagande, instrument de manipulation des opinions publiques mondiales dans un espace international qui constitue une véritable poudrière. L’année 2008 a confirmé le statut des Olympiades en tant que tribune politique et plate-forme médiatique permettant aux contestations et revendications de toutes sortes de trouver une puissance de rayonnement global. Décidément, le fait géopolitique s’insère dans toutes les manifestations de regroupement humain, quels que soient leur caractère ou leur nature, et réussit à s’en constituer un complice, un allié, une véritable arme… Céline NOHRA Master – recherche en histoire et relations internationales Article paru le vendredi 5 septembre 2008
Le 8 août dernier, les Jeux olympiques de Pékin, en Chine, ont été inaugurés dans un climat de vive tension géopolitique. Déjà, lors des voyages successifs de la flamme olympique autour du monde, des troubles s’étaient produits, attirant l’attention sur le conflit ancien qui oppose la Chine et le Tibet, ce dernier pays (dont les velléités d’indépendance sont relayées par leur meilleur ambassadeur, le dalaï-lama, aux quatre coins du globe) dénonçant son occupation depuis 1950.
Accrochages diplomatiques, manifestations houleuses ou pacifiques, revendications géopolitiques, témoignages humanitaires et autres menaces de boycott ont marqué l’actualité des derniers mois. Cette instrumentalisation des Jeux olympiques à des fins politiques est-elle l’apanage exclusif de 2008?? Comment et à quelle occasion cette...