Actualités - OPINION
LE POINT Hibernation : fin
Par MERVILLE Christian, le 28 août 2008 à 00h00
« Inacceptable », la reconnaissance par la Russie de l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie. Il a toutes les raisons de s’en dire convaincu, l’honorable Viktor Iouchtchenko puisque l’Ukraine, pays dont il est le président, figure en tête des prochaines cibles, à en croire Olli Rehn, commissaire européen à l’Élargissement, qui, en bon Finlandais, ne saurait oublier les multiples guerres à son pays imposées par son puissant voisin de l’Est, ni le fait qu’entre 1809 et 1917, il n’était plus qu’un grand-duché rattaché à l’empire du Froid. Bernard Kouchner, ministre français des Affaires étrangères, va plus loin en définissant les deux futurs objectifs de Moscou : la Crimée, la Moldavie. En attendant sans doute d’autres anciens satellites, autrefois victimes de l’appétit gargantuesque d’un certain Iossif Vissarionovitch Djougachvili dit Joseph Staline – eh oui, un Géorgien…
Tout le monde ou presque le répète à l’envi, ces derniers temps : pour avoir cherché inconsidérément à réveiller le grand méchant ours, Tbilissi court le risque d’être étouffé par ses effusions. Tel est le sens qu’il convient de donner à l’initiative prise cette semaine par les deux enclaves séparatistes et à l’accueil qui lui a été fait au Kremlin. Cette double autonomie autoproclamée, c’est « le clou de Geha », diraient les Arabes, qui va permettre à Vladimir Poutine de prétendre se mêler de ce qui, maintenant, le regarde, au titre du droit d’ingérence. Serguei Markov, journaliste et député, considéré comme proche de l’ancien président et actuel chef du gouvernement, l’avait prédit dans le Moskovsky Komsomolyets : « Si l’Occident continue de soutenir le chef de l’État géorgien, écrivait-il dès le 22 août, il y aura de nouvelles manifestations à Tskhinvali, et les préparatifs en vue d’un autre round d’agressions nous forceront à aider et protéger la république ossète. Nous devrons alors y envoyer des troupes. » Telle est, semble-t-il, la dure loi de la fraternité.
Affirmer que les États-Unis ont joué le rôle d’accélérateur dans la course du téméraire Mikheil Saakachvili vers le précipice serait exagéré. Certains ont même parlé du rôle des multiples émissaires US envoyés sur place, le comparant à celui joué autrefois par April Glaspee, qui avait porté Saddam Hussein à envahir le Koweït. Non, s’il est une comparaison que l’on se hasarderait à établir, elle consisterait en un rappel de l’époque où, croyant être en mesure d’installer ses fusées à Cuba, c’est-à-dire à quelques encablures des côtes de la Floride, Nikita Khrouchtchev avait déclenché la plus grave crise de la seconde moitié du XXe siècle, que John F. Kennedy et son équipe avaient magistralement gérée. Dans le cas présent, outre qu’il importe d’éviter les parallèles, il paraît évident que la crise est, mais seulement en partie, le résultat d’un double malentendu entre deux alliés, l’un convaincu qu’il n’y aurait pas d’invasion ordonnée par le régime géorgien, l’autre se croyant assuré d’un soutien américain s’il venait à lancer l’assaut contre un groupe sécessionniste, au prétexte que son adhésion à l’Alliance atlantique était en bonne voie et qu’en outre, il avait fourni à l’Alliance présente sur les rives de l’Euphrate un contingent de 2 000 hommes. On aura vu combien erroné aura été ce calcul.
Les Russes, en excellents joueurs d’échecs, sont passés maîtres – et même grands maîtres – dans l’art de mettre à profit la moindre erreur de l’adversaire pour marquer un premier point décisif – appelé à être suivi, dans le Caucase, de bien d’autres, il faudrait le craindre. D’ores et déjà, le supertsar Vladimir Vladimirovitch peut s’enorgueillir d’avoir réussi un formidable coup double : il a repris pied dans l’une des anciennes marches de l’empire et montré au monde les limites d’un pouvoir US par ailleurs largement écorné en Irak aussi bien qu’en Afghanistan. Contre lui, que peut le monde que l’on disait libre ? Rien ou presque, puisque Moscou nage aujourd’hui dans l’opulence et ambitionne de retrouver sa gloire d’antan. Les kremlinologues entrevoient désormais un renforcement du clan des durs, une militarisation accrue de la politique étrangère, un changement dans la carte européenne, peut-être même une modification de l’équilibre prévalant au Proche-Orient, sur le double plan des rapports interarabes d’abord, arabo-israéliens ensuite. L’administration Bush ne l’a pas voulu ainsi, prétextera-t-on. La belle affaire, puisque c’est vers une telle situation que l’on se dirige. Avec, au préalable, le risque d’un réveil de ce que les Anglo-Saxons nomment les « frozen conflicts » : Nagorny-Karabakh, Ossétie du Nord, Tchétchénie, Ingouchie. De quoi jeter un grand froid sur le monde.
Christian MERVILLE
« Inacceptable », la reconnaissance par la Russie de l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie. Il a toutes les raisons de s’en dire convaincu, l’honorable Viktor Iouchtchenko puisque l’Ukraine, pays dont il est le président, figure en tête des prochaines cibles, à en croire Olli Rehn, commissaire européen à l’Élargissement, qui, en bon Finlandais, ne saurait oublier les multiples guerres à son pays imposées par son puissant voisin de l’Est, ni le fait qu’entre 1809 et 1917, il n’était plus qu’un grand-duché rattaché à l’empire du Froid. Bernard Kouchner, ministre français des Affaires étrangères, va plus loin en définissant les deux futurs objectifs de Moscou : la Crimée, la Moldavie. En attendant sans doute d’autres anciens satellites, autrefois victimes de l’appétit...
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