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Le père Jacques Haddad, OFM-capucin, sera béatifié dimanche, place des Martyrs Abouna Yaacoub, un Libanais d’un autre temps, pour le Liban d’aujourd’hui Fady NOUN

Yeux d’aigle, barbe décourageante, rondeur d’une pièce sous la bure brune à corde blanche, tel est l’homme infatigable que le Très-Haut a envoyé aux Libanais d’un autre temps pour leur construire quelques-unes des institutions dont ils continuent aujourd’hui à profiter?: un hôpital psychiatrique connu régionalement, Deir el-Salib, le Couvent de la Croix, refuge des névrotiques et psychotiques de tous horizons, de ceux que la vie a blessés au-delà de toute mesure, qui ont «?craqué?» on ne sait pourquoi, ou bien encore on ne le sait que trop?; une maison d’accueil au nom du Christ-Roi, ou l’Hôte divin assure une fin de vie décente à ceux qui se sont consacrés au sacerdoce et qui, au rythme inexplicable que lui seul a fixé, s’éteignent comme le font la plupart des hommes et des femmes?; une congrégation religieuse comme un essaim de moineaux qui volent, picorent et se rassemblent au crépuscule dans un grand arbre touffu où, après la prière du soir, nul ne les verra dormir, les Sœurs franciscaines de la Croix, à l’habit bleu et à la volonté de fer?; un hôpital en zone populaire, au nom de ce travailleur et père de famille appelé Joseph et que la générosité humaine a transformé en l’un des centres de soins les plus performants, comme il sied à des Libanais qui ne s’accommodent que du meilleur, en vanité ou en charité. Ce sont là les plus visibles – il faudrait en citer une dizaine d’autres, asiles, orphelinats, écoles, maisons d’accueil – des institutions créées par le père Jacques Haddad, OFM-capucin, l’une des trois familles héritières de saint François d’Assise, le vagabond de Dieu, l’homme aux stigmates, le frère universel des oiseaux, de la lune, du soleil et des autres créatures qui grouillent sous la voûte étoilée. Né à Ghazir (Kesrouan) en 1875, Khalil Haddad devra au chapelet inlassablement égrené par sa mère, une Haddad aussi, et aux trois «?non?» de son père, Boutros, d’entrer sans retour dans un ordre de Saint-François, après des études brillantes à Ghazir et Beyrouth, au Collège de La Sagesse, et un séjour de travail en Égypte. Trois fois, son père le cueillera au couvent, pour le ramener à la maison. C’était la façon choisie par Dieu pour tremper sa volonté. Au quatrième essai, il cède à la persuasion filiale. On ne connaîtra à Khalil, qui prendra en religion le nom de Jacques, ni hésitations ni remords. Bien d’adversités l’attendent. On raconte même qu’au noviciat, à Beit-Khasbao (Kesrouan), entre autres austérités, il partageait sa pauvre cellule avec frère rat et frère vermine, qui auront à son endroit plus d’égard que n’en aura son maître des novices. Au témoignage de ses compagnons, ce dernier le traite de façon «?révoltante?». Une force de la nature Mais qu’est-ce que quelques humiliations pour une force de la nature comme Jacques Haddad, qui se dépense sans compter aux travaux manuels qu’on lui assigne, bêchant, piochant, transportant de l’eau et des pierres, travaillant les jardins du couvent?? Libérée de toute entrave familiale, cette puissante machine pensante et priante ne connaîtra plus d’obstacles insurmontables. Son parcours monastique puis sacerdotal est émaillé de brillantes réalisations et d’incidents troublants. Le moindre n’est pas l’accident qui faillit l’emporter, en 1901, année de son ordination sacerdotale. Se rendant à Ghazir pour y célébrer sa première messe, la calèche qui le transporte verse dans un ravin. Il s’en sort, seul survivant. À diverses reprises, exposé aux dangers des bandits de grands chemins, à la malveillance des êtres humains, aux soldats de Jamal Pacha le sanguinaire, aux maladies, à la neige et aux insolations, il côtoiera la mort. Mais la providence veille. Économe de son couvent, puis missionnaire, il fondera 165 écoles de montagne où, en même temps qu’Alphonse Daudet et Le Cid, on enseignera aux petits Libanais à aimer le catéchisme et la France. Il sillonnera inlassablement les sentiers de montagnes pour s’assurer de leur bonne marche, avant d’organiser le Tiers-Ordre de Saint-François avec zèle et efficacité, face aux sociétés, sectes et autres associations «?importées?» des pays anglo-saxons. C’est au point qu’à l’avènement de la Première Guerre mondiale (1914), quand l’Empire ottoman se range aux côtés de l’Allemagne, on lui confiera par intérim la destinée de son ordre, dont tous les supérieurs étrangers sont rappelés en Europe. Suspect de sympathie pour la France, arrêté, interrogé, il échappera de peu à la corde. Menacé d’être pendu, place des Martyrs, où il sera béatifié dimanche, il dut son salut à l’intervention du consul d’Autriche. Les grandes œuvres Les grandes œuvres, les édifices, les institutions, véritable vocation d’Abouna Yaacoub, viendront avec la fin de la guerre. Ayant bâti en 1923, avec l’accord de ses supérieurs, un sanctuaire sur une colline de Jal el-Dib, au nom de Notre-Dame de la Mer, il y accueille un prêtre au chevet duquel il avait été appelé, et qui se mourait dans la misère. D’autres infirmes suivront, une œuvre naît, qui accueillera au fil des ans des milliers d’autres personnes dans le besoin?: orphelins, religieux, malades mentaux, grabataires en tout genre. Il lui vient alors l’idée d’organiser les quelques jeunes filles libanaises qui l’assistaient sur le modèle des franciscaines de Lons-le-Saunier, dont il avait sollicité l’aide. La congrégation des «?Sœurs franciscaines de la Croix du Liban?» voit donc le jour le 8 décembre 1930, dix-neuf ans avant l’approbation officielle de ses statuts par Rome. L’année 1937 marque un tournant dans la vie du père Jacques. Jusque-là, il n’avait recueilli que les vieux prêtres et quelques infirmes. En 1937, le gouvernement libanais commence à collaborer à cette œuvre d’assistance et de secours, qui va donc être subventionnée – 20 piastres par jour et par personne – et s’élargir. Dès lors, les œuvres se multiplient au fil des années, tout comme grandit le renom d’Abouna Yaacoub, qui peut se révéler ferme et même bourru par moments, quand il s’agit de ses droits?: «?Il faut être un saint, non un âne?», aimait-il à répéter. Parallèlement à son apostolat auprès des pauvres, qui lui vaut le surnom très peu franciscain de «?saint Vincent de Paul libanais?», Abouna Yaacoub est sollicité pour prêcher en Syrie, Turquie, Irak, Jordanie, Palestine. On raconte que l’axe de l’auto qui le conduisait en Irak s’étant brisé, il le noua de sa corde de capucin, ce qui permit au véhicule d’atteindre sa destination?! Ce prêtre austère, qui avait renoncé depuis longtemps à son fruit préféré, la figue, savait aussi au besoin se délasser en jouant de l’accordéon à l’ombre d’un pont, à la sortie du village. Il couronnera son œuvre de bâtisseur par l’édification du Christ-Roi, un hospice dont le rêve le hantait depuis longtemps. Dans ses dernières années, Abouna Yaacoub fut très éprouvé dans sa santé. Une éruption cutanée lui couvrait périodiquement le corps. Il perdit progressivement la vue et, dans les derniers temps, devint complètement aveugle. Il fut emporté par une leucémie. Toujours lucide, il prédit sa mort et, sachant que son supérieur devait s’absenter, alla jusqu’à lui demander «?la permission de mourir?». À plusieurs reprises, il demanda de descendre du lit pour mourir par terre, mais les médecins ne le lui permirent pas. Il s’éteignit le 26 juin 1954 à la même heure que le Christ en croix et entra immédiatement dans une gloire posthume qui sera couronnée dimanche par sa béatification. Son corps repose dans un caveau du sanctuaire de Notre-Dame de la Mer, à Jal el-Dib. Avant de mourir, il eut le pressentiment que des épreuves attendaient le Liban.
Yeux d’aigle, barbe décourageante, rondeur d’une pièce sous la bure brune à corde blanche, tel est l’homme infatigable que le Très-Haut a envoyé aux Libanais d’un autre temps pour leur construire quelques-unes des institutions dont ils continuent aujourd’hui à profiter?: un hôpital psychiatrique connu régionalement, Deir el-Salib, le Couvent de la Croix, refuge des névrotiques...