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« Les cernes de Morphée* » Emil ISSA

Hier soir, le ciel immense et noir bleuissait sous les caresses brumeuses des lueurs épaisses. Noyée dans les flots lumineux de la voûte céleste, mon imagination se débattait : Je ne savais pas nager dans le ciel et personne ne me l’avait appris. Il n’y avait pas non plus d’écriteau mettant en garde les trop curieux qui viendraient tremper leur âme dans une tentative mystique d’y rafraîchir leurs rêves… J’étais là, seul, mais je n’attendais rien. Du coup, je n’entendais plus rien : Ni les klaxons, ni les mobylettes, ni les voisins, ni les chantiers, ni les muezzins, ni les cloches. Je n’entendais plus non plus le talk-show assourdissant qui martyrisait la télé du voisin déjà endormi, bercé depuis longtemps par les langoureuses litanies de nos dignes descendants de Shéhérazade conteurs des Milles et Une Nuits… Tout ce tourbillon déjà bien loin, je me laissais aller à une divagation nocturne pendant que Morphée courait à perdre haleine en cherchant à me rattraper : Ciel ! Vaste espace, muse des libertés et prince des nuages ! Tu te ris des frontières et tu te ris des murailles. Sous ta robe, tous les hommes le soir ont les yeux fixés. Tu me ramènes de loin les senteurs printanières d’abricots, de jasmins et de fleurs d’orangers. Tu ne me fouilles pas quand je cherche à m’introduire chez toi-même quand tu sais que je suis là pour te voler un peu d’espoir et pour jouer avec la mort à cache-cache dans le noir. Tu ne me fais pas payer ma place et ne cherches pas à me vendre du rêve en bouteille, en poudre ou en seringue. Mais tu m’apprends à essayer de vivre mes rêves. Pendant que les hommes affûtent leurs armes, qu’ils vérifient que tout est en place pour la tragi-comédie guerrière qu’ils vont nous imposer, tu rappelles à tout le monde que malgré la violence des déflagrations et les cris des mourants, le silence et la paix régneront toujours dans nos têtes : pour toujours nous serons libres de rêver. L’homme du XXIe siècle n’en est plus un parce qu’il ne croit plus aux guerres qu’il fait. Achille affirmait se battre « pour ne plus avoir à se battre et rentrer chez lui, chez tous ceux qu’il aime », mais aujourd’hui, faites attention aux hommes auxquels vous allez retirer les « êtres chers chez qui rentrer». Les États et les terroristes ont créé partout des créatures enragées, errantes qui ne font plus que ce qu’elles ont appris ou ce qu’on leur a imposé. Partout des soldats, doigt sur la gâchette, attendent le signal pour semer la mort. Il n’y a pas de guerre juste, il n’y a juste que la guerre vilaine et meurtrière, hélas ! Le drame de notre siècle, c’est que nous sommes trop nombreux sur terre, trop impatients Et trop peureux. L’humanité, mesdames, messieurs, a la rage, mais le ciel ne nous tombera jamais sur la tête ! Il ne fera que rejeter les bombes que les avions croyaient pouvoir y faire circuler impunément. Et ces bombes retomberont sur des familles, sur des amis, sur des innocents de tous bords qui resteront pour toujours dans la conscience des criminels. Mais personne n’apprendra jamais rien parce que les hommes-acteurs meurent, mais les personnages restent en attendant d’autres interprètes. Mais il s’était fait tard, et Morphée en avait marre de courir, alors je lui ai dit : « S’il te plaît, éteins-moi les étoiles ! » Mais il m’a répondu : « Même si je te les éteins, le souvenir de leur éclat brillera toujours dans ta conscience et tu ne pourras toujours pas dormir, alors tu chercheras d’autres boucs émissaires. Alors maintenant fermes tes yeux, c’est plus facile ! » * Morphée, dans la mythologie grecque?: fils de Hypnos, dieu du sommeil, et de Nyx, déesse de la nuit ; Morphée est le dieu des rêves. On dit « être dans les bras de Morphée » pour dire que quelqu’un dort ou rêve. Article paru le mardi 6 mai 2008
Hier soir, le ciel immense et noir bleuissait sous les caresses brumeuses des lueurs épaisses.
Noyée dans les flots lumineux de la voûte céleste, mon imagination se débattait :
Je ne savais pas nager dans le ciel et personne ne me l’avait appris.
Il n’y avait pas non plus d’écriteau mettant en garde les trop curieux qui viendraient tremper leur âme dans une tentative mystique d’y rafraîchir leurs rêves…
J’étais là, seul, mais je n’attendais rien.
Du coup, je n’entendais plus rien :
Ni les klaxons, ni les mobylettes, ni les voisins, ni les chantiers, ni les muezzins, ni les cloches.
Je n’entendais plus non plus le talk-show assourdissant qui martyrisait la télé du voisin déjà endormi, bercé depuis longtemps par les langoureuses litanies de nos dignes descendants de Shéhérazade conteurs des...