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Élisabeth Vallet, chercheuse, tente d’expliquer l’ampleur du phénomène religieux aux USA Dieu est-il américain ? De la religion aux États-Unis Karine JAMMAL
Par JAMMAL Karine, le 21 avril 2008 à 00h00
Alors que le continent européen se transforme rapidement en un désert de la foi, chrétienne essentiellement, de l’autre côté de l’Atlantique, Dieu se porte bien. Quand l’idée d’inscrire dans la Constitution européenne les origines chrétiennes du continent suscite d’âpres débats en Europe, les Américains sont fiers de clamer à la face du monde leur appartenance à l’Église, dans le sens le plus large du terme. Ce n’est pas d’aujourd’hui que date cet ancrage américain dans la foi du Christ, quel que soit le visage que prend cette filiation. Des adventistes aux méthodistes, des presbytériens aux évangéliques, des catholiques d’ascendance irlandaise à ceux venus du côté « latin » du continent, en passant par une myriade de sectes, l’écrasante majorité du peuple américain dit croire en Dieu. De ce fait, religion et politique sont intimement liées.
«On retrouve constamment des éléments religieux » dans la vie aux États-Unis explique Élisabeth Vallet, chercheuse à l’Observatoire sur les États-Unis à l’UQAM. « Dans le serment d’allégeance (“One Nation Under God”, depuis 1954), dans la prestation de serment sur la Bible et dans le “In God We Trust”, inscrit sur le billet vert depuis 1923, mais aussi dans le fait que des prières ouvrent les sessions parlementaires tandis que le président ponctue inlassablement ses discours de “God Bless America” », ajoute-t-elle.
96 % des Américains se disent croyants, 90 % se réclament d’une confession, 70 % sont associés à une structure culturelle, et plus de la moitié sont évangéliques ou « Born Again Christians », selon Mme Vallet. En conséquence, « une très grande majorité des Américains attend du président qu’il ait la foi », quelle que soit son appartenance confessionnelle, souligne la chercheuse. Et paradoxalement, si les États-Unis ont cherché « à véritablement séparer l’Église de l’État, ils n’ont jamais véritablement distingué politique et religieux », précise la spécialiste. C’est donc là un élément-clé de la politique et pour comprendre la culture politique américaine.
Religion et politique
« L’omniprésence des valeurs morales dans les deux dernières campagnes électorales présidentielles laisserait penser que le religieux n’a que récemment envahi la vie politique américaine », indique la chercheuse. Pourtant, la vie politique du Nouveau continent est « émaillée de précédents qui infirment cette impression », poursuit Mme Vallet en citant « le retentissement médiatique et populaire du “procès du singe” ». Le « procès du singe » est le surnom donné au procès qui a eu lieu à Dayton, dans l’État du Tennessee, en juillet 1925. Ce procès opposa les fondamentalistes chrétiens aux libéraux. Le jugement a vu la condamnation, dans un premier temps, de John Thomas Scopes, professeur de l’école publique de Dayton, au versement d’une amende de 100 dollars (jugement annulé en appel) pour avoir enseigné la théorie de l’évolution à ses élèves, en dépit d’une loi de l’État de Tennessee, le « Butter Act », interdisant aux professeurs de « nier l’histoire de la création divine de l’homme, telle qu’elle est enseignée dans la Bible ». Autres précédents indiquant que le religieux est depuis un certain temps déjà imbriqué dans la vie politique américaine, « l’arrivée d’un premier catholique à la Maison-Blanche, J.F. Kennedy ; d’un premier évangélique (J. Carter) puis d’un “born again” (G.W. Bush) ». Au demeurant, avec Ronald Reagan, la place de la religion a pris une nouvelle amplitude, caractérisée par « l’irruption de la nouvelle droite chrétienne et par exemple l’ouverture, pour la première fois, d’une représentation diplomatique au Vatican », explique Mme Vallet.
La religion fait donc partie intégrante de la vie politique américaine. Mais avec le président George W. Bush, l’imbrication du religieux et du politique semble s’être accentuée. Il est certain que « la religion a gagné des points à travers la présidence de M. Bush », souligne la spécialiste. « On ne peut ignorer les photos de l’incontournable prière qui précède les travaux du cabinet Bush », ou « la création du White Office of Faith-Based and Community Initiatives, chargé d’aider les groupes religieux notamment dans leur travail communautaire », indique-t-elle. « Le conservatisme religieux a certainement joué un rôle déterminant dans l’orientation que George W. Bush a donnée à ses politiques » sur le mariage homosexuel, l’avortement, la recherche sur les cellules souches ou encore le financement des plannings familiaux, souligne la spécialiste. De la même manière, il a certainement « joué un rôle dans l’esprit missionnaire de la politique étrangère américaine », poursuit la spécialiste. Toutefois, ce n’est qu’un facteur parmi d’autres, « dans presque chacune des décisions du président américain, ses conseillers, sa bureaucratie, les franges moins religieuses du Parti républicain ont joué un rôle considérable », nuance la chercheuse.
Le fait que les Églises aux États-Unis soient désormais des acteurs-clé qui pèsent plus de 100 milliards de dollars transcende même la présidence de George W. Bush et constitue une variable dont tous les présidents (républicains ou démocrates) doivent (et devront) tenir compte. « En atteste le fait que le prédicateur Billy Graham a prononcé les deux oraisons inaugurales de Bill Clinton, en 1993 et en 1997, et celle de M. Bush en 2001 », affirme Mme Vallet. Billy Graham est un théologien issu du mouvement évangéliste. Célèbre télévangéliste, il met l’accent sur la conversion et le pardon des péchés par Jésus-Christ.
Jerry Falwell
L’autre prédicateur qui a joué un rôle important sur la scène politique américaine est un pasteur de l’Église baptiste, Jerry Falwell, décédé le 15 mai 2007. Il était, à la fin de sa vie, à la tête d’une congrégation de 22 000 fidèles (ils n’étaient que 35 en 1956), note la chercheuse. Son empire religieux comprenait une chaîne de télévision, des magazines, des écoles élémentaires, des foyers pour mères célibataires et pour alcooliques... Il a également établi une université chrétienne fondamentaliste désormais reconnue, la Liberty University. Un empire qu’il a utilisé pour promouvoir sa vision politique, baptisée « Moral Majority ». « Jerry Falwell a longtemps été un personnage tout aussi flamboyant que controversé du fondamentalisme aux États-Unis, indique Mme Vallet. Personnage polémique dont les propos sur Mohammad à la suite du 11 septembre, ou encore sur les homosexuels et l’avortement n’ont pas manqué de susciter de vives réactions. Il a réussi le tour de force d’unir les conservateurs religieux autour d’un agenda politique commun. » Tour de force rendu possible par l’arrêt Roe vs Wade, pris en 1973 par la Cour suprême, selon lequel les lois contre l’avortement sont en violation du XIVe amendement de la Constitution des États-Unis garantissant « le droit au respect de la vie privée de chaque citoyenne américaine ». Violation qui provoquera l’abrogation des lois interdisant l’avortement. « Cette décision constitue l’électrochoc nécessaire pour fédérer autour de lui les aspirations d’une majorité morale hétérogène, provie, nationaliste, basée sur la famille traditionnelle et les valeurs morales », souligne la chercheuse. « Enfin, en jouant un rôle-clé au cours de l’élection du président Ronald Reagan, Jerry Falwell a irrémédiablement inscrit la religion et le fondamentalisme chrétien au cœur du politique. Mais sa mort, l’irruption des “mega-churches”, l’émergence de leaders moins fondamentalistes sont autant d’éléments à surveiller : le mouvement évangélique est très hétérogène, absolument pas monolithique. Rien ne permet donc de prévoir que la religion sera plus présente qu’elle ne l’est depuis trente ans », affirme Mme Vallet.
Dans ce construit social, le fondamentalisme chrétien peine d’ailleurs à asseoir sa position. « Tout d’abord, la société américaine évolue de telle manière (travail croissant des femmes, augmentation du taux de divorces, couples non mariés…) que le fondamentalisme trouve un écho modéré. Ensuite, les fondamentalistes ont perdu un certain nombre de batailles juridiques dont la symbolique était importante : invalidation de la prière dans les stades scolaires par la Cour suprême en 2000, ou encore l’enlèvement manu militari d’une lourde stèle arborant les Dix Commandements de la cour de justice fédérale de l’Alabama, ou encore la reconnaissance en juin 2003 de l’homosexualité par la Cour suprême », analyse Mme Vallet.
La présidentielle 2008
Reste qu’au moment où les candidats sortent leurs armes pour la présidentielle de 2008, le positionnement religieux est toujours « l’une des clés de la conquête du pouvoir », estime la spécialiste. Un phénomène plus visible dans la campagne des candidats démocrates, comme « en témoigne l’évolution, ces derniers mois, de la rhétorique de Hillary Clinton, et ses références répétées à Dieu et à la religion », explique la chercheuse. Le facteur religieux étant une sorte d’acquis, il ne s’agit pas tant pour un candidat de convaincre l’électorat que l’on est pratiquant, une assertion de base, que de définir son « positionnement sur les valeurs conservatrices qui ont une dimension religieuse (avortement, peine de mort), qui peut faire la différence », conclut la spécialiste.
Alors que le continent européen se transforme rapidement en un désert de la foi, chrétienne essentiellement, de l’autre côté de l’Atlantique, Dieu se porte bien. Quand l’idée d’inscrire dans la Constitution européenne les origines chrétiennes du continent suscite d’âpres débats en Europe, les Américains sont fiers de clamer à la face du monde leur appartenance à l’Église, dans le sens le plus large du terme. Ce n’est pas d’aujourd’hui que date cet ancrage américain dans la foi du Christ, quel que soit le visage que prend cette filiation. Des adventistes aux méthodistes, des presbytériens aux évangéliques, des catholiques d’ascendance irlandaise à ceux venus du côté « latin » du continent, en passant par une myriade de sectes, l’écrasante majorité du peuple américain dit croire en Dieu....