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Actualités - OPINION

Actualité du manifeste de Kazem el-Solh en 1936* Professeur Antoine MESSARRA

Riad el-Solh écrit dans al-’Ahd al-jadîd, le 26 janvier 1928 : « Je préfère vivre dans une hutte, au sein d’une patrie libanaise indépendante, que colonisé dans un empire arabe. » L’histoire de la pensée politique au Liban est celle de la recherche, par des voies le plus souvent multiples, divergentes et opposées, de l’authenticité dans un contexte géopolitique et national qui répugne aux théories et catégories conventionnelles. Certes, le Liban, terre de rencontre, aux confluents de toutes les complémentarités, oppositions, contradictions et conflits de la région, favorise la diversité des cadres d’analyse. Cependant, quand, après des expériences séculaires et cumulées de conflits et de consensus (les périodes de consensus sont bien plus longues que celles de conflits, contrairement à la perception dominante), les fondements du Liban demeurent ouverts à tous les diagnostics et à toutes les propositions de thérapie et de changement, c’est le témoignage que le pôle de convergence de l’histoire de la pensée politique au Liban est celui de la recherche effrénée et constante d’une culture politique libanaise. L’accord d’entente nationale, dit de Taëf, du 5/11/1989 se propose l’émergence de cette culture à travers la formule, reproduite dans le préambule de la Constitution libanaise amendée le 21/11/1990 : « Le Liban patrie définitive pour tous ses fils ». Manifeste fondateur Au commencement était le pacte national de 1943, fruit d’une longue maturation historique, acte fondateur de l’entité nationale et pourtant controversé, ballotté entre des idéologies de libanité, d’arabité, de laïcité ou de modernité a-communautaire. Kazem el-Solh, considéré comme « l’ingénieur du pacte national », a publié en 1936 une brochure de première importance intitulée : « Entre l’union et la scission » (« Bayn al-ittissâl wal-infissâl »). Il relève « le désir des Libanais ou, en d’autres termes, de la majorité des chrétiens de fonder une nation où ils ne sont pas une minorité sous la domination de l’élément musulman (…), et qui ont alors trouvé le Liban ». Il relève aussi la tendance à assimiler l’arabité à l’islam et les menaces que représente le Liban pour son environnement arabe s’il devient un bastion d’une puissance étrangère. Kazem el-Solh, avocat, propriétaire du journal al-Nidâ’, député, président du parti al-Nidâ’ al-qawmi (autorisé en avril 1944 et fondé en janvier 1945) et ambassadeur, partageait les idées politiques de son cousin Riad el-Solh. Il était comme lui défenseur de l’idée que l’arabisation des Libanais ne peut s’opérer que par la libanisation des arabisants et par la limitation des aspirations des arabisants hors des frontières libanaises. L’étude des principes de fondation du parti al-Nidâ’ al-qawmi témoigne de l’esprit du pacte national. Dans un communiqué publié sous le titre : « Notre lutte contre la déviation et la tyrannie », il est précisé que « l’admiration à l’égard de Abdel-Nasser s’arrête aux limites du pacte national de 1943 ». Quelles étaient les circonstances de ce manifeste de 1936, fondateur du pacte libanais et surtout de la culture des pactes à enseigner, nourrir, développer, enraciner et consolider, surtout auprès des jeunes générations ? Face à des revendications antagonistes au Liban en 1935-1936, des notabilités venues de tous les points du littoral – d’où le nom de « Congrès du Sahel » qui lui fut donné – participèrent à des réunions. Un manifeste en résulte, le 22 octobre 1936, qui sert, face au traité franco-libanais envisagé, à définir les positions politiques de l’islam libanais. Une voix parmi les musulmans du congrès ose s’élever, celle de Kazem el-Solh. Dans une brochure publiée à cette date, il préconise énergiquement le maintien du Liban dans ses frontières actuelles, nettement séparé de la Syrie, condition de la réalisation de son indépendance effective à l’égard de la France et de l’épanouissement de son arabité profonde. C’était l’idée fondamentale de ce qui sera le pacte national. Cette intervention qui fait alors sensation fait l’objet d’une brochure: « Bayn al-ittissâl wal-infissâl », publiée à Beyrouth quelques semaines plus tard. Trois composantes des pactes Le contenu des pactes libanais et les constantes, comme il ressort des documents historiques depuis les origines et jusqu’à nos jours, se résument en trois points : 1. Coexistence islamo-chrétienne, à l’opposé de toute formule à prédominance chrétienne ou islamique, et toute fédéralisation géographique. 2. Garanties à toutes les minorités, en ce qui concerne notamment les libertés religieuses, la participation et le statut personnel, et cela aux moyens d’aménagements propres aux systèmes consensuels de gouvernement (autonomie segmentaire, règle des quotas (propoz), cabinets de large coalition…). 3. Arabité indépendante : dans tous les documents des pactes, l’arabité du Liban est directement associée à celle d’indépendance du Liban. L’accord d’entente nationale de Taëf apporte une confirmation supplémentaire dans le cadre de la géopolitique du Liban (défense arabe commune, accord d’armistice…) avec la formule : « Le Liban patrie définitive pour tous ses fils ». Dans cette perspective, la voix de Rachid Karamé résonne au début de 1976 : « Œuvrer pour enrichir le pacte et non l’annuler » (« Na’mal limâ yughnîhi wa la yulghîhi »). Culture isolationniste progressiste On peut distinguer, à partir du manifeste de Kazem el-Solh en 1936, trois âges dans notre culture des pactes : 1. l’âge de la genèse, des origines à 1943 ; 2. l’âge de l’adolescence, de 1943 au 14 février 2005, date de l’attentat terroriste contre l’ancien Premier ministre Rafic Hariri ; 3. l’âge de la maturité : les Libanais sont-ils parvenus aujourd’hui et depuis le printemps de Beyrouth à l’âge de maturité des pactes ? Ce qu’on peut souhaiter ? Une pensée politique libanaise, puisée du patrimoine, mais apaisée, assagie, méthodique, prudente, une rationalité pragmatique et idéaliste à la fois, consciente des limites du changement et de l’éventail infini du possible à travers ce qui a été, ce qui est et ce qui pourrait être. L’histoire a donné raison aux libanistes comme aux arabisants, comme aux défenseurs de la « vocation libanaise », à la manière de Michel Chiha. Le Liban qui répugne aux extrêmes est essentiellement une synthèse et par nature un équilibre. On pourrait ici citer les vers du poète grec Pindare : « N’aspire pas, mon âme, au bonheur éternel, mais épuise le champ du possible. » Il faudrait surtout citer Édouard Saab, grand journaliste (Le Jour, L’Orient-Le Jour, correspondant du Monde…), atteint au début de la guerre par la balle d’un franc-tireur au passage Musée-Barbir, qui disait : « Le Liban est le berceau et le cimetière des idéologies. » La culture politique libanaise de demain est, si paradoxal que cela puisse paraître, celle d’un isolationnisme progressiste : isolationnisme quant à l’attachement et à la défense du pacte libanais de coexistence et une culture de prudence dans les rapports extérieurs, et progressisme quant au rôle régional arabe du Liban, image d’avenir de l’arabité démocratique, et de l’islam démocratique et moderne. * Le texte est un extrait d’une conférence, sous le titre : « 1936 : le manifeste de Kazem el-Solh », dans le cadre du programme : « De grandes dates dans l’histoire… », au Centre sportif, culturel et social du Collège Notre-Dame de Jamhour le 7/4/2008. Article paru le vendredi 18 avril 2008
Riad el-Solh écrit dans al-’Ahd al-jadîd, le 26 janvier 1928 : « Je préfère vivre dans une hutte, au sein d’une patrie libanaise indépendante, que colonisé dans un empire arabe. »
L’histoire de la pensée politique au Liban est celle de la recherche, par des voies le plus souvent multiples, divergentes et opposées, de l’authenticité dans un contexte géopolitique et national...