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Actualités - OPINION

Analyse Pour comprendre le 13 avril, un peu moins de politique, un peu plus d’histoire Fady NOUN

Plus jamais la guerre, c’est entendu, mais comment établir la paix ? Pour comprendre la guerre du Liban, pour comprendre qu’elle n’est pas tout à fait finie, un peu moins de politique et un peu plus d’histoire ne feraient pas de mal. L’un des points faibles méthodologiques de la plupart des approches de la guerre, de ses causes, des moyens d’en sortir réside dans leur caractère politique et non pas historique. Nous nous épuisons à chercher des modèles politiques de sortie de crise, en oubliant les causes historiques de la guerre, ce qui condamne les modèles développés à « passer à côté du problème », à rester théories creuses, divagations idéologiques. Il en va ainsi pour l’idée que le confessionnalisme est à l’origine de tous les maux, que la laïcité est la clé de notre paix civile, ou que la neutralité du Liban doit être consacrée dans les textes, ou que la loi électorale est la pierre d’angle de notre redressement, ou que la circonscription unique est seule en mesure d’unifier les Libanais, ou... ou... La polémique actuelle sur la priorité à donner au dialogue interne ou à l’élection d’un président de la République donne un bon exemple du faux problème que l’approche politique est susceptible d’engendrer. Faut-il élire un président puis engager le dialogue ? Faut-il, au contraire, engager le dialogue avant l’élection ? En somme, faut-il résoudre la crise avant de la résoudre ou après l’avoir résolue ? C’est absurde ! Durant les années de guerre, le dilemme était : faut-il rétablir la sécurité avant d’entreprendre les réformes politiques ou après ? C’est l’impasse récurrente de la crise que nous vivons et dont le dépassement consiste à toujours aborder la crise sous l’angle historique, à ne pas tomber dans le piège de la réduire exclusivement à une crise institutionnelle. En fait, c’est la seule manière de faire la part de ce qui, dans cette crise, peut être résolu, de ce qui ne peut l’être que moyennant une action, donc une rupture de l’équilibre des forces. L’équation « ni vainqueur ni vaincu » n’est réaliste que dans un contexte institutionnel, politique. Historiquement, pour sortir de la crise actuelle, il faut un vainqueur et un vaincu – sans morts, si possible. Historiquement Historiquement, une partie de la guerre (1975-76) a été une guerre défensive de nature, une guerre légitime et justifiée, une forme de résistance, comme l’affirment sans fausse honte certains des anciens miliciens interrogés. Motif : empiètement sur la souveraineté et sur l’indépendance du Liban par les organisations palestiniennes armées qui avaient arraché au Liban le droit de lancer des attaques contre Israël, à partir de son territoire (accord du Caire,1969). Certains affirment que les milices chrétiennes ont pris l’initiative militaire. La question n’est pas là. Les organisations armées palestiniennes assument au moins autant de responsabilité, sinon plus, dans le processus qui a provoqué la guerre que les milices libanaises. L’OLP a fini par l’admettre et a fait, là-dessus, son autocritique. Sur ce conflit s’est ensuite greffée, comme un effet secondaire, une guerre civile, quand des milices libanaises sunnites ont prêté main forte aux organisations palestiniennes contre leurs compatriotes chrétiens. Mais cette guerre civile ne modifiait pas, sur le fond, la nature défensive de la lutte des milices chrétiennes, encore qu’elle la rendait plus compliquée et la détournait en partie de ses objectifs, à cause notamment du facteur israélien. Certes, des nuances doivent être apportées à cette présentation sommaire. Ainsi, la guerre défensive a dégénéré, pour diverses causes : criminalisation du conflit – pillage du port – et tentative séparatiste pour former une enclave défendable militairement sont deux des dérives de cette guerre. Par ailleurs, le nettoyage de l’enclave chrétienne s’est accompagné de massacres et d’atrocités qui ont terni la cause défendue. On pense à la « bataille des camps », au « samedi noir ». Enfin, des batailles internes ont été menées pour l’unification des milices chrétiennes, qui ont dégénéré en massacres. Nous avons donné la parole, dans nos colonnes, à des miliciens chrétiens qui ont jeté leur fusil par écœurement, après des exécutions sommaires de quelques-uns de leurs camarades. Mais il s’agit de taches noires qui ne modifient pas grand-chose à la première dimension, défensive, du conflit. Sur cet aspect s’est ensuite greffée une nouvelle dimension fondamentale de la crise qui était, elle, politique. Il s’agissait de rééquilibrer le pouvoir de décision au Liban au profit des communautés musulmanes. Puis, rapidement, comme un virus, la guerre a effectué une troisième mutation et a revêtu un cachet d’opposition, c’est-à-dire également défensif, aux empiètements sur notre souveraineté par une Syrie jouant habilement de nos contradictions, entrée au Liban pour ne plus en sortir, soupçonnée de vouloir régenter le Liban, d’en faire son satellite. Il y a donc trois dimensions au moins, trois conflits distincts qui avaient cours durant la période 1975-1990, entre le 13 avril 1975 et l’accord de Taëf (1989) avec comme point d’orgue le 13 octobre 1990, date du dernier round officiel de violence qui a délogé de Baabda le général Michel Aoun. De ces trois conflits, deux sont résolus. Pas le troisième. Le conflit libano-palestinien appartient au passé. Le conflit sur un rééquilibrage interne du pouvoir a également été réglé, encore qu’il soit en train de resurgir, mais sous une autre forme. Reste le conflit libano-syrien, qui demeure irrésolu. Pour comprendre la crise interne, la référence à ce conflit irrésolu est éclairante. C’est en tout cas une bonne hypothèse de travail. La Syrie, assurent les analystes politiques, a toujours eu pour ambition de jouer au Liban le rôle d’un « acteur interne ». Jusqu’où est-elle prête à aller pour continuer à jouer ce rôle, on en aura le cœur net avec le tribunal international si la responsabilité syrienne est clairement établie dans l’assassinat de Rafic Hariri et la série d’assassinats qui a visé des personnalités hostiles à son hégémonie, ou actives dans la résistance – objective – à sa tutelle. En attendant des preuves irréfutables de culpabilité, il est légitime d’inscrire dans le cadre de la guerre « non conventionnelle » que la Syrie livre au Liban certaines mesures économiques, comme la fermeture occasionnelle des frontières, sa réticence à un tracé des frontières, à la fermeture de bastions militaires palestiniens prosyriens au Liban, à établir des relations diplomatiques avec le Liban, etc. Dans le cadre de cette guerre vient naturellement s’inscrire l’action politique d’obstruction de certaines figures politiques libanaises. L’essentiel, sur ce plan, n’étant pas ce qui se dit ou fait, mais pour le compte de qui la chose est dite ou faite. Du reste, on le voit bien, personne ne croit vraiment à la formule « ni vainqueur ni vaincu », défendue par la Ligue arabe, sinon le Liban serait déjà doté d’un président. C’est que, de part et d’autre, ce n’est pas un modèle politique que l’on cherche ni une sortie de crise honorable, mais une victoire.
Plus jamais la guerre, c’est entendu, mais comment établir la paix ? Pour comprendre la guerre du Liban, pour comprendre qu’elle n’est pas tout à fait finie, un peu moins de politique et un peu plus d’histoire ne feraient pas de mal.
L’un des points faibles méthodologiques de la plupart des approches de la guerre, de ses causes, des moyens d’en sortir réside dans leur caractère...