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Actualités - OPINION

La question libanaise et l’évolution du rôle du Conseil de sécurité II – Une qualification en souplesse P. Fady FADEL

B – En second lieu, le pouvoir discrétionnaire propre au Conseil de sécurité, en termes de qualification des situations en tant que menace contre la paix et la sécurité internationales et sur la base duquel le Conseil fonde ses résolutions et ses mesures, a considérablement évolué depuis 1999 (résolution 1269) et plus particulièrement après les événements du 11-septembre 2001, si bien que les crimes terroristes constituent depuis, selon le Conseil de sécurité et en vertu de la résolution 1368, une menace contre la paix et la sécurité internationales. Il en ressort que le Conseil reconnaît aux États menacés et exposés au danger du terrorisme le droit naturel, individuel et collectif de recourir à la force pour la légitime défense, en vertu de l’article 51 de la Charte des Nations unies et conformément aux résolutions 1368 et 1373, sans oublier que le Conseil s’est engagé à lutter « par tous les moyens » contre les menaces qui mettent en péril la paix et la sécurité internationales suite aux actes terroristes. Il s’agit d’une expression commune aux nombreuses résolutions du Conseil, afin de permettre le recours à la force, le cas échéant. Dans ce contexte, le Conseil a créé un comité de suivi chargé de l’exécution des dispositions de lutte contre le terrorisme, et notamment le financement du terrorisme. À cette fin, le Conseil a fondé ses décisions sur le chapitre VII, en retenant une dimension de mesures possibles, à savoir les mesures coercitives non militaires. Ainsi, le Conseil de sécurité a apporté une couverture juridique pour le recours à la force au bénéfice des États-Unis et d’autres États, dans le cadre de la légitime défense, tout en reconnaissant la possibilité de l’utiliser « aisément » (voir L’Orient-Le Jour du mercredi 2 avril 2008). Cette souplesse dans la qualification des situations qui a touché la situation au Liban, avec notamment l’adoption des résolutions 1701 et 1757, autorise le Conseil de sécurité à mettre la main sans équivoque et sans conteste sur les situations objet de la qualification et, par la suite, d’opter pour les dispositions nécessaires, conformément à la volonté politique des cinq États membres permanents, en tenant compte des intérêts communs et de leur vision stratégique des situations et conjonctures actuelles. 2) Les retombées sur le « droit de responsabilité » Parallèlement à l’évolution de son rôle, le Conseil de sécurité s’est engagé à défendre la « légitimité » internationale, en recourant au pouvoir de qualification. En effet, le Conseil relève de plus en plus des violations du droit international perpétrées par des États et est déterminé, par conséquent, à leur imposer des sanctions économiques et militaires. Il s’agit ici de renforcer une tendance qui existait déjà dans la période antérieure. Ainsi, le Conseil de sécurité a condamné, à titre d’exemple, dans la résolution 216 de 1965, « la déclaration unilatérale d’indépendance proclamée par une minorité raciste en Rhodésie du Sud ». Il a également déclaré dans le même ordre d’idées, dans la résolution 276 de 1970, que « la présence continue des autorités sud-africaines en Namibie est illégale » et s’est vu appelé plus tard à déclarer dans la résolution 662 de 1990 que « l’annexion du Koweït par l’Irak n’a aucun fondement juridique et est nulle et non avenue ». Au cours de la guerre qui a ensanglanté la Yougoslavie, le Conseil a dénoncé, à maintes reprises, les violations multiples contre le droit humanitaire et les ingérences de la République fédérale de Yougoslavie et, dans un contexte moindre de cruauté, l’intervention de la Croatie dans la guerre en Bosnie. Ce genre de qualification juridique indique l’existence d’une interaction entre le droit de la Charte et le droit de la responsabilité internationale. Partant des exemples cités, une partie de la doctrine se prononce en faveur d’un Conseil de sécurité qui se verrait confier la mission d’appliquer le système de responsabilisation des États pour le crime commis. En effet, la responsabilité des États, en cas de « crime », constitue un concept qui ne fait toujours pas l’unanimité et a été déjà évoqué par la Commission du droit international des Nations unies. Cette responsabilité vise à établir une classification hiérarchique des violations du droit international qui déterminerait les « actes criminels » commis à l’échelle internationale, tels que l’agression, le génocide et le non-respect du droit des peuples à l’autodétermination. Les actes d’agression relèvent, dans leur qualification, des prérogatives du Conseil de sécurité qui peuvent englober les autres formes d’agissements au cas où le Conseil décide d’assumer son rôle de défenseur du droit international. L’action du Conseil de sécurité ne s’inscrit pas dans le cadre d’un système juridique préétabli en ce qui concerne la responsabilité des États. Elle tendrait plutôt à résoudre chaque question indépendamment, selon les circonstances de chacune et en tenant compte des contextes politiques ambiants. Il s’agit donc de se montrer prudent face à l’analyse qui suppose que le Conseil de sécurité aurait une fonction « quasi juridique » à remplir et se comporterait en juge chargé de désigner la partie qui viole la loi, en vue de la punir. En effet, compte tenu de sa structure, de son mécanisme de travail et de son fonctionnement, nous le voyons à des années-lumière des prérequis d’un gouvernement juridique international. Le Conseil de sécurité évoque les violations du droit international, au premier chef, comme justificatif de son intervention, considérant que de telles violations mettent la paix et la sécurité internationales en péril. Du côté de ses prérogatives, le Conseil a toujours tendance de conserver le pouvoir discrétionnaire qui lui est propre, dans les limites prévues par la Charte et dans le souci de conserver une marge de manœuvre et de liberté par rapport aux dispositions qu’il adopte. Cette souplesse dans le mode d’action du Conseil de sécurité demeure la seule garantie d’efficacité dans les conjonctures complexes en mutation continue. Évidemment, cela n’empêche pas qu’il intervienne rapidement pour mettre un terme à un crime donné, en cas de « crime » qui menacerait la sécurité et la paix internationales. Nous entendons toutefois, de temps à autre, des prises de position politiques mettant en question la légalité des résolutions du Conseil de sécurité. Dans ce contexte, nous rappelons qu’en dépit de la prédominance des dimensions politiques dans le mécanisme d’adoption des résolutions internationales, ces résolutions, une fois adoptées en Conseil de sécurité, doivent être respectées par tous les États membres, en vertu de l’article 25 de la Charte, et opposables à tous les États lorsqu’elles sont fondées sur le chapitre VII. Elles font dès lors partie du corpus des règles internationales et entrent en vigueur à titre général et particulier. Quant aux surenchères politiques et aux paris portant sur l’illégitimité ou l’inopposabilité des résolutions en question, il s’agit de déclarations politiques loin des normes et principes juridiques internationaux et, de ce fait, sans valeur juridique. Le Liban doit faire face à de nombreuses échéances que le Conseil de sécurité a déjà examinées en profondeur dans ses résolutions précédentes, à commencer par la question de la sauvegarde de la souveraineté et de l’indépendance du Liban et du respect de ses institutions constitutionnelles (résolution 1559), en passant par l’extension de la souveraineté sur tout le territoire libanais sans équivoque (1701), jusqu’à l’entrée en vigueur de l’accord portant création du tribunal spécial pour le Liban (1757). Autant de questions qui constituent une matière dense devant le Conseil de sécurité s’il désirait suivre de près la question libanaise, soit en prenant acte et en condamnant les violations (rôle d’observateur !), soit encore en adoptant de nouvelles résolutions ayant des effets juridiques, et ce en faisant assumer à une ou plusieurs parties la responsabilité de la violation du droit international ou en adoptant des mesures coercitives et contraignantes en application du chapitre VII. Cet état d’attentisme laisse donc au Conseil de sécurité de nombreuses alternatives pour assumer son rôle, à commencer par les tractations qui ont lieu entre les cinq États membres permanents, jusqu’au suivi soutenu de l’application des mesures qu’il a l’intention de prendre. P. Fady FADEL Professeur en droit international Secrétaire général de l’Université antonine Article paru le vendredi 4 avril 2008
B – En second lieu, le pouvoir discrétionnaire propre au Conseil de sécurité, en termes de qualification des situations en tant que menace contre la paix et la sécurité internationales et sur la base duquel le Conseil fonde ses résolutions et ses mesures, a considérablement évolué depuis 1999 (résolution 1269) et plus particulièrement après les événements du 11-septembre 2001, si...