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Actualités - CHRONOLOGIE

MOMENTS INSOLITES - L’art de la rue encore clandestin au Liban Les tagueurs, moins violents qu’ils en ont l’air Carla HENOUD

Ils portent des masques pour cacher leur visage et se protéger des effluves toxiques, manient la « bombe » d’une manière très artistique et pacifiste, vivent et créent la nuit sur des airs de hip-hop, lorsque tous les murs sont gris, et signent leurs actes avec des pseudonymes. Ces tagueurs, souvent considérés par les plus âgés comme des « hors-la-loi », des voyous ou plus encore des… adorateurs de satan, se revendiquent surtout comme des artistes en herbe qui évoluent sans violence au cœur de la cité. Kabrit, Fish, 6K (prononcez siska), ont laissé tomber le masque en cette fin d’après-midi. À visage découvert, ils montrent leurs frimousses d’adolescents en accord avec leurs temps. Jeans tombant, sweat large, foulard ou bonnet, vélo, barbe cool, ils ont la vingtaine. Excepté Kabrit, le plus jeune tagueur recensé actuellement au Liban, qui en a 14. Comme de nombreux adeptes du tag qui ont ce même look, cette attitude « décalée » et un calme étonnant, ils manient la bombe avec maestria, drôle de pinceau qui permet de combler de grandes surfaces rapidement et efficacement. Leurs noms de scène sont affichés sur de nombreuses « œuvres » qui ont transformé quelques murs de la ville en toiles de peintre contemporain. Certains témoins choqués crient au scandale et au saccage. 6K s’explique : « La violence de notre acte est dans le fait que nous envahissons un espace public, que nous le vandalisons, mais c’est également un acte artistique et esthétique. En Europe, certaines villes organisent des réunions de tagueurs qui peuvent ainsi travailler avant de nettoyer à nouveau les murs. Nous faisons attention à choisir des murs qui n’ont pas d’immeubles juste en face pour ne pas déranger le vis-à-vis. » Opération Beyrouth By Night Dans le civil, Fish, qui a grandi et appris les rudiments de cet art en Grèce, travaille dans la production. 6K, qui fait partie du groupe de rap Kita’ Beirut, est étudiant en audiovisuel. Et Kabrit fréquente, parce qu’il le faut bien, les bancs de son école. Ces trois larrons, comme de nombreux adeptes de cet art, connaissent chaque mur de la ville et ses alentours. Pour eux, ces surfaces souvent vieillies par le temps, délaissées et comme oubliées, sont des toiles vierges auxquelles ils redonnent vie. Un espace idéal où ils peuvent s’exprimer en grand. À des heures tardives et lorsque l’impatience les démange, ils se glissent dans le noir, se fondent dans la nuit jusqu’à devenir inaperçus. Et lorsque le mur qu’ils ont choisi se colore et se met à parler, ils repartent, en général assez rapidement, heureux et rassasiés. Pour Kabrit, qui est encore à l’école et pas motorisé, les sorties sont plus compliquées et se font en journée. Raoul, alias Kabrit, a commencé à mettre le feu aux murs depuis un an, avec des graffitis simples et colorés. En repérant les œuvres de Fish et 6K, il a retenu la manière, la stylisation et la simplification du trait. C’est aujourd’hui leur première rencontre physique. 6K et Fish, travaillant le plus souvent en duo, étaient curieux de mettre un visage à cette signature qui hante leurs murs depuis un an. Le jeune Kabrit, qui n’a pas froid aux yeux d’une étonnante maturité, arrive même à calmer des FSI furieux, en leur taguant le prénom de leurs fiancées ! « Nos messages sont apolitiques et contre le système, comme la musique que nous aimons », poursuivent les deux aînés. Ce sont surtout des mots, une phrase. De Totaly F… Up à Animals With Kans, en passant par Red Eye Kamikazes, le duo a développé une série de tags autour du thème de la ville de Beyrouth. On retiendra surtout Beyrouth in hakat (si Beyrouth pouvait parler) et Beyrouth ma betmout (Beyrouth ne mourra pas). Quant à Kabrit, il a donné naissance à Jaradin Beyrouth, petits rats des villes auquel il ressemble étrangement. « Cette forme d’expression prend beaucoup d’ampleur ces derniers temps. On découvre tous les jours de nouvelles signatures et de nouveaux styles. L’important, conclut 6K, est de ne pas tomber dans l’excès, dans un dérapage incontrôlé, car le nombre de tagueurs est croissant et tous n’ont pas la même éthique. Jusqu’à présent, nous avons toujours su que notre liberté s’arrêtait là où elle pouvait toucher le bien-être de l’autre. Nos dessins sont étudiés, aucune ligne n’est gratuite. Les forces de l’ordre ont été assez tolérantes, parce que nos actes n’étaient pas agressifs, et nous n’étions pas nombreux. J’aimerais un jour, avoue-t-il avant de repartir sillonner les murs si bavards de la capitale, réunir des tagueurs étrangers qui rêvent de Beyrouth… » Qu’en penserait donc cette dernière ?
Ils portent des masques pour cacher leur visage et se protéger des effluves toxiques, manient la « bombe » d’une manière très artistique et pacifiste, vivent et créent la nuit sur des airs de hip-hop, lorsque tous les murs sont gris, et signent leurs actes avec des pseudonymes. Ces tagueurs, souvent considérés par les plus âgés comme des « hors-la-loi », des voyous ou plus...