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Interview - Le conseiller juridique de l’ONU expose à « L’Orient- Le Jour » les progrès dans la mise en place de l’instance judiciaire onusienne chargée de l’affaire Hariri
Par ZEHIL Sylviane, le 07 février 2008 à 00h00
Le 14 février 2008 marquera le troisième anniversaire de l’attentat terroriste à Beyrouth contre l’ex-Premier ministre Rafic Hariri, tuant avec lui 21 autres personnes. Le Liban est, depuis, en proie à une instabilité politique que d’aucuns pensent être liée au tribunal spécial pour le Liban, créé sous le Chapitre VII de la Charte des Nations unies, sur base de la résolution 1757 adoptée par le Conseil de sécurité le 30 mai 2007. « L’ensemble des éléments principaux nécessaires à la création du tribunal sont en place. Le processus du tribunal international pour le Liban est irréversible. Et de bons progrès ont été jusque-là accomplis concernant les critères qui sont à respecter par le secrétaire général pour qu’il puisse décider de l’entrée en fonction du tribunal d’une manière adéquate, notamment pour ce qui a trait aux délais, conformément à la résolution 1757 », a indiqué à L’Orient-Le Jour Nicolas Michel, secrétaire général adjoint aux Affaires juridiques et conseiller juridique des Nations unies, lors d’un entretien accordé dans son bureau au siège de l’ONU, en présence de Mme Radhia Achouri, porte-parole du tribunal spécial pour le Liban.
« L’Orient-Le Jour » – Qu’est-ce qui entrave jusqu’à présent la mise sur pied du tribunal spécial pour le Liban ?
Nicolas Michel : « Il n’y pas d’entraves. Le processus de création du tribunal progresse rapidement. Il y avait un certain nombre de questions qui devaient être résolues, par exemple le choix d’un pays hôte, la sélection d’un procureur et des juges, le contact avec les contributeurs financiers. Sur tous ces fronts-là, nous avons fait des progrès rapidement. Il y a certainement du progrès encore à faire sur plusieurs fronts, mais il n’y a aucune difficulté qui constitue un obstacle majeur. »
O-J – Quels sont les domaines où des progrès restent encore à faire ?
N.M. : « À titre d’exemple, il faut que nous continuions à constituer l’équipe des personnes qui seront responsables du tribunal. Nous sommes sur le point de choisir un greffier. Nous allons choisir aussi un chef du bureau de la défense. Une fois nommé, le greffier devra mettre en place l’administration du tribunal. Un autre aspect est celui de la préparation du bâtiment. Celui que nous avons trouvé est très adéquat. C’est un bâtiment relativement récent, il n’y aura pas de travaux majeurs à effectuer. Un minimum de travaux doit être fait, y compris l’aménagement d’une salle d’audience. Nous devons faire aussi des progrès dans le domaine du financement. »
O-J – Les Néerlandais auraient laissé entendre que les locaux ne seraient pas prêts avant la fin 2008. Est-ce que cela risquerait de retarder le tribunal ?
N.M. : « Absolument pas, parce que le bâtiment dont nous disposons est récent. Il a été construit il y a quinze ans. Il a été occupé jusqu’à tout récemment par des services dont l’activité est liée à la sécurité. Il est entendu qu’il y aurait des travaux à faire, en particulier pour construire une salle d’audience. Mais si pour une raison ou pour une autre nous devions avoir besoin d’une salle d’audience avant que celle du tribunal ne soit construite, nous n’aurons aucune difficulté à en obtenir une, soit de la part du TPY, soit de la part de la Cour pénale internationale (CPI). »
O-J – En ce qui concerne le financement du tribunal, pensez-vous que les pays qui n’ont pas encore dénoué le cordon de la bourse ne l’ont pas fait pour des raisons politiques ? Y aurait-il une relation entre le financement du tribunal et la politique ?
N.M. : « Nous avons entendu de la part d’un certain nombre de pays une disponibilité évidente à soutenir financièrement le tribunal. Nous pensons que certains pays, avant de verser leurs contributions, voulaient s’assurer que l’établissement du tribunal progresse et ils voulaient aussi s’assurer de la manière dont les fonds seraient utilisés. Nous pensons que maintenant ils ont suffisamment d’éléments pour se convaincre que le processus d’établissement du tribunal est irréversible, que les éléments principaux sont en place et qu’à cet égard-là, ils peuvent effectuer leurs contributions. Pour ce qui a trait au second aspect, j’aimerais préciser ce que nous n’avons pas encore dit clairement jusqu’à présent, à savoir que les montants ne seront pas versés à un fonds fiduciaire de l’ONU (Trust Fund), mais qu’ils alimenteront directement les finances du tribunal. La conséquence est que ces fonds ne seront pas gérés par des organes de l’ONU mais par un comité de gestion qui sera composé des principaux contributeurs. Cela signifie que ces derniers auront un droit de regard sur la manière dont leur argent est utilisé et pourront s’assurer qu’il est utilisé de manière économe et efficace. Ils n’auront pas d’influence sur le processus juridictionnel, mais ils auront clairement la possibilité de vérifier l’emploi des fonds qu’ils auront mis à disposition. »
O-J – Quelles sont les raisons pour lesquelles certains pays arabes n’ont pas encore payé leur quote-part ?
N.M. : « Nous avons de bonnes raisons de croire, en se basant sur ce que plusieurs pays ont dit, qu’ils soutiennent le tribunal. Nous n’avons donc pas de raisons de douter de leur sincérité. Nous pensons que sur la base des éléments que je vous ai communiqués, ils voudront bien considérer dans un avenir pas trop éloigné que le moment est venu pour eux de contribuer. Nous sommes confiants à cet égard. Ils comprendront qu’il est dans leur intérêt de contribuer sans trop tarder car un certain nombre de décisions importantes doivent être prises maintenant en ce qui concerne la gestion du tribunal. Plus vite ils contribueront, plus vite ils seront associés à ces décisions importantes. »
O-J – Pensez-vous que les propos au Caire du président français, Nicolas Sarkozy, indiquent le danger de la politisation du financement du tribunal ?
N.M. : « Le secrétariat des Nations unies a toujours démontré, de manière crédible, qu’il remplissait son mandat de manière professionnelle, c’est-à-dire qu’il est en train de créer un organe exclusivement judiciaire, et non pas un instrument politique. Il démontre ainsi qu’il est soucieux de l’indépendance et de l’impartialité du processus. Et ce que nous cherchons, c’est la vérité et la justice, et nous ne nous laisserons pas influencer par d’autres considérations. »
O-J – Quand pensez-vous que le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, pourra-t-il annoncer officiellement l’entrée en fonction du tribunal d’une manière adéquate, conformément à la résolution 1757 ?
N.M. : « Vous avez raison de mentionner qu’il appartient au secrétaire général de décider, et à lui tout seul. Il décidera compte tenu de trois éléments. D’abord le financement, ensuite des consultations avec le gouvernement libanais, et enfin le progrès enregistré au niveau du travail de la commission d’enquête. Je suis persuadé que le secrétaire général se fait informer de la manière la plus professionnelle sur chacun de ces trois éléments, et le moment venu, il assumera sa responsabilité. »
O-J – Au sujet de la commission d’enquête, pensez-vous que le prochain rapport de Daniel Bellemare, nouveau chef de la commission d’enquête internationale sur l’assassinat de Rafic Hariri, prévu en mars prochain, révélera des noms, puisque l’enquête a bien avancé ? Les noms seront-ils rendus publics ?
N.M. : « La commission d’enquête tout comme le tribunal sont des organes indépendants. Le secrétariat de l’ONU, en particulier le secrétaire général et moi-même, tient à respecter leur indépendance, car c’est une condition essentielle de la crédibilité à la fois de la commission et du tribunal. Et donc, si j’étais capable de répondre à votre question, ce serait préoccupant pour l’indépendance de la commission. »
O-J – La crise politique au Liban risque-t-elle de perturber le fonctionnement du tribunal ?
N.M. : « Nous regrettons très profondément la prolongation de l’impasse dans laquelle se trouve le Liban. Nous espérons que les leaders politiques trouveront, à brève échéance, la sagesse nécessaire pour remettre leur pays sur le chemin de la paix dans l’intérêt de la population tout entière. Nous espérons que le tribunal et sa création contribueront à l’établissement d’une paix civile à long terme, car nous croyons que la justice est une condition essentielle de la paix. En revanche, l’ensemble des éléments principaux nécessaires à la création du tribunal sont en place. Les décisions qui devaient être prises par les autorités libanaises ont été prises. Autrement dit, aussi regrettable qu’elle soit, la situation actuelle dans le pays ne crée pas d’obstacles sur le chemin de l’établissement du tribunal. »
O-J – L’ancien chef de la commission d’enquête internationale Detlev Mehlis a jugé en termes vigoureux le travail effectué par son successeur Serge Brammertz, l’accusant de n’avoir pas fait avancer l’enquête, ce qui a fait perdre sa vitalité et mis en veilleuse le tribunal. Avez-vous des commentaires à apporter sur cette réflexion ?
N.M. : « Les deux chefs successifs de la commission sont de très bons professionnels, reconnus comme tels. Ils avaient des approches différentes qui sont compréhensibles en raison des mandats différents qui étaient les leurs. Au-delà de cela, il ne m’appartient pas de faire des commentaires sur leur travail. »
O-J – L’identité des témoins au Liban ou ailleurs sera-t-elle gardée secrète en tout temps ? Comment assurer leur protection et leur sécurité contre les dangers qu’ils risquent d’encourir ? Sont-ils déjà en dehors du Liban ?
N.M. : « Il est essentiel que la commission et le tribunal considèrent la protection des témoins comme une de leurs priorités. Et je peux vous assurer que nous y avons déjà beaucoup travaillé. Un programme de protection des témoins a été élaboré. Nous avons voulu bénéficier, dans l’élaboration du programme, des leçons à tirer des activités des tribunaux pénaux internationaux ad hoc pour l’ex-Yougoslavie, le Rwanda et aussi le tribunal spécial pour la Sierra Leone. Le programme de protection des témoins que nous avons établi sera un programme pour le tribunal, mais il va déjà être utile à la commission. Nous sommes très avancés dans son adoption. Nous sommes conscients du fait que sans protection efficace des témoins, le travail de la commission et du tribunal sera rendu extrêmement difficile. »
O-J – En ce qui concerne les magistrats et les juges libanais, allez-vous communiquer leurs noms ? Comment les protéger et protéger leurs familles alors qu’on pourrait deviner leur identité par élimination ?
N.M. : « En ce qui concerne la communication des noms, nous allons traiter les juges sur un pied d’égalité, les sept internationaux et les quatre Libanais. La raison pour laquelle nous ne l’avons pas fait jusqu’à présent est notre désir d’assurer leur protection et celle de leurs familles de manière efficace. Je pense qu’il est plus adéquat que je ne donne pas davantage de détails à ce sujet, précisément pour des raisons de sécurité. Mais je peux vous dire que nous considérons cet aspect comme essentiel et que nous prenons en compte non seulement les juges eux-mêmes, mais aussi leurs familles. »
O-J – Y aurait-il des pays qui ont manifesté le désir d’accueillir les condamnés ?
N.M. : « Il est entendu qu’ils ne purgeront pas leurs peines aux Pays-Bas. Les Nations unies se sont engagées à l’égard des Pays-Bas à déployer tous leurs efforts pour trouver, en temps voulu, des pays de destination pour les personnes condamnées. C’est un travail qui demande du soin et de la discrétion et qui exige encore du temps. Il s’agit d’un processus. Nous sommes engagés dans ce processus. Il nous faudra encore un certain temps pour parvenir à conclusion. De toute manière, il serait illusoire de penser pouvoir conclure nos efforts avant d’avoir une idée du nombre des accusés, de leur personnalité et de leur nationalité. »
O-J – Le tribunal va-t-il démarrer avant la fin 2008 ?
N.M. : « À ce sujet, je ne suis pas en mesure de vous donner une information précise. Ce que je peux vous dire, c’est que je n’ai guère de doute sur le fait que le tribunal sera totalement prêt à fonctionner lorsque le secrétaire général voudra décider du début du fonctionnement. »
O-J – S’il s’agit de régimes, de gouvernements ou d’États qui s’avèrent être coupables, le tribunal pourra-t-il les juger ?
N.M. : « Le tribunal ne jugera que des individus. Il ne jugera pas des États. Il est entendu que le tribunal pourra poursuivre et juger quiconque sera considéré comme un auteur du crime, et cela sans aucune distinction de nationalité. »
O-J – À l’égard de quels cas le tribunal sera-t-il compétent ?
N.M. : « Pour l’instant, le tribunal est compétent à l’égard de l’affaire de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri et de ceux qui ont été tués avec lui. Les juges pourront décider d’étendre la compétence du tribunal à l’un quelconque des attentats perpétrés entre le 1er octobre 2004 et le 15 décembre 2005. Il y aura un troisième cercle possible de cas qui sont dans la compétence du tribunal, ce sont des cas qui se sont produits ultérieurement au 15 décembre 2005, mais pour cela il y faudra un accord entre l’ONU et le gouvernement libanais, en sus d’une approbation du Conseil de sécurité. »
O-J – Pourra-t-on mettre fin à l’impunité ?
N.M. : « Pour ce qui est de l’impunité, la raison essentielle, à mon avis, pour laquelle le gouvernement libanais a pris l’initiative de demander l’assistance des Nations unies était qu’il jugeait le système judiciaire pénal libanais hors d’état de traiter lui-même de ces cas, quelle que soit par ailleurs la qualité du système. Mais l’ampleur des cas et les menaces potentielles pesant sur les magistrats ont montré qu’il fallait une assistance internationale. Le but principal était certainement celui de ne pas accepter l’impunité. Il est important de voir que si l’ONU est à ce point engagée, c’est que la création du tribunal spécial pour le Liban fait partie de cette nouvelle culture de la fin de l’impunité qui est un des éléments essentiels de l’évolution de la culture internationale, aujourd’hui, culture dont les antécédents sont à trouver dans le tribunal de Nuremberg et celui de Tokyo, et dont les prémices les plus récentes sont la création des tribunaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda. On a vu un ensemble d’autres tribunaux être créés, comme le tribunal spécial pour la Sierra Leone et le tribunal pour les Khmers rouges au Cambodge. Tout cela fait partie de cette culture. L’idée étant qu’aujourd’hui, la justice et la paix sont indissociables. Il ne peut pas y avoir de paix sans justice. Le pays ne retrouvera pas les bases d’une paix civile durable si l’impunité peut ontinuer ».
« La situation actuelle ne crée pas d’obstacles à l’établissement du tribunal international », souligne Nicolas Michel
NEW YORK, de Sylviane ZEHIL
Le 14 février 2008 marquera le troisième anniversaire de l’attentat terroriste à Beyrouth contre l’ex-Premier ministre Rafic Hariri, tuant avec lui 21 autres personnes. Le Liban est, depuis, en proie à une instabilité politique que d’aucuns pensent être liée au tribunal spécial pour le Liban, créé sous le Chapitre VII de la Charte des Nations unies, sur base de la résolution 1757 adoptée par le Conseil de sécurité le 30 mai 2007. « L’ensemble des éléments principaux nécessaires à la création du tribunal sont en place. Le processus du tribunal international pour le Liban est irréversible. Et de bons progrès ont été jusque-là accomplis concernant les critères qui sont à respecter par le secrétaire général pour qu’il puisse décider de l’entrée en fonction du tribunal d’une manière adéquate,...