Nous avons publié dans notre livraison d’hier, datée du 13 novembre 2007, une consultation du 10 octobre en vertu de laquelle le professeur Jean Gicquel avait affirmé en réponse à la deuxième question portant sur le quorum et la majorité requis pour l’interprétation de l’article 49 de la Constitution que ce quorum et cette majorité sont des deux tiers des membres qui constituent légalement la Chambre des députés. Pour éviter toute confusion, le professeur Jean Gicquel a dans une deuxième consultation datée du 17 octobre 2007 confirmé que le quorum et la majorité requis sont des deux tiers dans le cas d’espèce qui constitue une révision interprétative de la Constitution. Nous publions ci-après la consultation du professeur Gicquel du 17 octobre 2007.
CONSULTATION
Le soussigné, consulté à propos de l’interprétation de l’article 49 de la Constitution libanaise relatif à l’élection du président de la République, émet l’avis qu’il y a lieu d’y répondre dans le sens des observations ci-après.
QUESTION
Quelle est l’autorité habilitée à trancher un différend relatif à l’interprétaiton éventuelle de l’article 49 de la Constitution libanaise et quel quorum et quelle majorité sont-ils requis pour la validité de cette interprétation ?
Discussion
1. Aux termes de l’article 49, alinéa 2 précité, le président de la République est élu, au premier tour, au scrutin secret à la majorité des deux tiers des suffrages par la Chambre des députés. Aux tours du scrutin suivants, la majorité absolue suffit.
2. Mais, au préalable, en application d’un principe avéré de droit constitutionnel et de droit parlementaire, la condition du quorum, c’est-à-dire le nombre de députés suffisant en vue de la validité du vote à émettre, doit être satisfaite. Le quorum s’identifie à la présence de la moitié plus un du nombre légal des membres composant l’Assemblée : autrement dit, la majorité absolue, dans l’enceinte du siège ou du palais affecté à cette dernière.
3. Telle est l’interprétation de l’article 49 à laquelle on adhère, à la lumière de l’article 34 de la Constitution selon lequel la Chambre ne peut valablement se constituer que par la présence de la majorité des membres qui la composent légalement, d’une part ; des travaux préparatoires et de la pratique constante à laquelle il a donné lieu depuis la mise en place de la Constitution, en 1926, d’autre part.
4. En cas de remise en cause de cette interprétation, au-delà de considérations politiques, la logique de la démocratie, combinée à celle de l’État de droit, peut servir de fil d’Ariane. Bref, ce mode de régulation s’impose à la réflexion.
Réponse
5. À défaut pour la Constitution libanaise d’imiter, en l’espèce, la Constitution grecque de 1975 qui a inséré dans le corps du texte l’interprétation de certains articles, la recherche de l’autorité compétente en vue d’un effet utile peut s’énoncer sous la forme de trois solutions : une autorité juridictionnelle, une autorité institutionnelle et une autorité constituante ou souveraine.
6. Autorité juridictionnelle : en l’espèce, il s’agit du Conseil constitutionnel (art. 19 de la Constitution, rédaction de la loi constitutionnelle du 21 septembre 1990) qui, expressis verbis, est appelé à statuer sur les conflits et pourvois relatifs aux élections présidentielles. Mais, en l’état, ledit Conseil est paralysé par l’absence de nominations de ses membres. La démarche est donc inopérante.
7. Autorité institutionnelle : le président de la République est à prendre en considération, car il est chargé de veiller au respect de la Constitution (art. 49, alinéa premier). À ce titre, il est fondé, en bonne logique, à déférer un problème d’interprétation au Conseil constitutionnel, sans même songer à trancher proprio motu la difficulté rencontrée, en raisonnant par voie d’analogie avec son homologue français de la Ve République (art. 5 de la Constitution).
Au cas particulier, la neutralisation du Conseil constitutionnel rend vaine cette démarche, sans qu’il soit expédient de solliciter un autre argument.
8. Reste une autorité constituante ou souveraine : la Chambre des députés, en l’espèce (art. 78, alinéa 2). Symbole et résumé de la démocratie représentative, seule dépositaire et délégataire de la légitimité démocratique, celle-ci apparaît l’unique autorité investie du pouvoir de modifier la Constitution, selon la procédure prévue, à cet effet, fût-ce à la faveur d’une révision interprétative. Un précédent français récent, relatif à l’étendue du corps électoral de la Nouvelle-Calédonie, est venu le rappeler à point nommé (art. 77 de la Constitution de 1958, rédaction de la loi constitutionnelle du 23 février 2007).
Autrement dit, seule la Chambre des députés, qui avait adopté, de surcroît, la Constitution, en 1926 peut en donner une interprétation authentique, pour emprunter l’expression à KELSEN.
V. en ce sens, Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN (sous direction), L’interprétation constitutionnelle, Paris, Dalloz, 2005, p. 15.
9. Titulaire du pouvoir souverain, la Chambre se transforme en Assemblée constituante selon la procédure spécifique visée aux articles 76 et suivants de la Constitution.
10. En accord avec le gouvernement qui établit le projet, selon des modalités appropriées (art. 77, alinéa 4), la Chambre se prononce sur-le-champ : elle ne doit, jusqu’au vote définitif, s’occuper que de la révision (art. 78, alinéa 1er). En application de la doctrine française de la souveraineté limitée élaborée sous le régime de la IIIe République et qui demeure applicable de nos jours (V. Jean GICQUEL, « Le Congrès du Parlement », Mélanges Pierre AVRIL, Paris, Montchrestien, 2000, p. 449), la Chambre ne peut délibérer et voter que sur les articles et questions limitativement énumérés et précisés au projet qui lui a été transmis (al. 2). On ne manquera pas de relever le terme questions mentionné par le constituant de 1927 ; ce qui correspond très exactement au problème abordé, au cas présent.
11. La Constitution du Liban étant juridiquement une Constitution rigide, au sens technique du terme, la procédure de révision ressortit, en application du principe de la hiérarchie des normes, à une procédure distincte et supérieure à celle utilisée pour la procédure législative ordinaire. D’où des conditions particulières en matière de quorum et de vote visées à l’article 79, alinéa premier : un quorum fixé, ici, aux deux tiers des membres qui composent légalement la Chambre des députés, ainsi qu’un vote acquis dans les mêmes conditions (majorité des deux tiers).
12. En dernière analyse, le président de la République est tenu de promulguer la loi constitutionnelle. Sa compétence est donc liée, et aucunement discrétionnaire (art. 79, alinéa 2). Toutefois, il lui est loisible dans le délai de promulgation (délai d’un mois ou de cinq jours en cas d’urgence déclarée par la Chambre) (art. 56) de demander à celle-ci, après en avoir informé le Conseil des ministres, une nouvelle délibération. Le vote est acquis à la majorité des deux tiers (art. 79, alinéa 2).
CONCLUSION
Au bénéfice des observations qui précèdent, le soussigné est d’avis de répondre comme suit à la question posée.
13. En l’absence de formation du Conseil constitutionnel, habilité à statuer, en principe, sur les conflits et pourvois relatifs aux élections présidentielles (art. 19 de la Constitution, d’une part, et de l’incapacité du président de la République qui veille au respect de la Constitution (art. 49) à le saisir, à toutes fins utiles, d’autre part, seule la Chambre des députés, à l’exclusion de toute autorité publique, constituée en Assemblée constituante est habilitée à interpréter, de manière authentique, au sens de KELSEN, l’article 49 de la Constitution ; motif pris de ce qu’elle est l’auteur même du texte interprété, voté en 1926, selon l’adage Ejus est interpretari cujus est condere legem.
V. en ce sens, Michel TROPER, Interprétation in Denis ALLAND et Stéphane RIALS, Dictionnaire de la culture juridique, Paris, P.U.F, 2003, p. 843.
14. En l’espèce, le recours au pouvoir constituant, en vue de procéder à une révision interprétative de la Constitution, ressortit à un pouvoir souverain.
La Chambre des députés est appelée à se prononcer selon des conditions spécifiques, à savoir : un quorum fixé aux deux tiers des membres qui la composent légalement et un vote intervenant à la même majorité conformément à l’article 79, alinéa premier de la Constitution. Il y a lieu de préciser qu’en application de la doctrine française dite de la souveraineté limitée, élaborée sous la IIIe République, ne peut être révisé que ce qui a été déclaré révisable (M. PRÉLOT), et que la compétence du chef de l’État, en matière de promulgation de la loi constitutionnelle, est liée.
Fait à Paris, ce 17 octobre 2007
Jean GICQUEL
Professeur émérite de l’Université de Paris-I (Panthéon-Sorbonne)
Ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature
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