Cela se passait au cours du congrès des patriarches qui s’est tenu à Aïn Trez, à la mi-octobre. Les chefs des Églises catholiques en Orient...
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Dialogue - Les patriarches catholiques d’Orient ont invité un responsable du Hezbollah à leur congrès « Wilayet al-Fakih », les relations avec l’Iran, le rôle des chrétiens..., Ali Fayad soumis au feu des questions des prélats
Par HADDAD Scarlett, le 02 novembre 2007 à 00h00
La scène peut paraître étrange, mais elle n’en a pas moins eu lieu. Les patriarches catholiques en train de prier dans une atmosphère de recueillement et, au milieu d’eux, le représentant du Hezbollah, Ali Fayad, silencieux et concentré.
Cela se passait au cours du congrès des patriarches qui s’est tenu à Aïn Trez, à la mi-octobre. Les chefs des Églises catholiques en Orient avaient eux-mêmes convié le directeur du Centre d’études et de recherches du Hezbollah à une rencontre pour lui poser des questions sur la position de son parti concernant les grandes questions religieuses, nationales et régionales.
Le hasard a voulu que Ali Fayad arrive à son rendez-vous avec quelques minutes d’avance, alors que les patriarches étaient en pleine prière. Il a donc attendu en silence la fin de ce moment unique, avant de répondre aux questions qui lui étaient posées.
Le directeur du Centre d’études et de recherches du Hezbollah, qui est en quelque sorte le théoricien, ou en tout cas « l’intellectuel » du parti, a confié par la suite qu’il a été surpris par l’atmosphère détendue qui régnait entre les patriarches catholiques, ainsi que par leur gentillesse et leur humour. Pourtant, ceux-ci ne l’ont pas ménagé, exprimant l’appréhension que suscitent chez de nombreux chrétiens la puissance du Hezbollah et son approche purement religieuse des questions politiques.
C’est en tout cas la première fois que les patriarches catholiques d’Orient prennent une telle initiative, à la fois courageuse et utile, et elle montre, d’une part, l’importance prise par le Hezbollah sur la scène locale et, d’autre part, la volonté réelle des patriarches de mieux comprendre ce parti pour faire avancer le dialogue entre les différentes composantes de la société.
La vision du Hezbollah n’est pas purement religieuse
Devant des prélats très attentifs, notamment le patriarche Sfeir, qui, selon certains témoins, écoutait et prenait des notes, Ali Fayad a dû répondre à de nombreuses questions.
D’abord, il a commencé par reconnaître que le Hezbollah peut être qualifié de parti religieux. Selon lui, le parti a bel et bien une vision idéologique religieuse, qui exige de ses membres une certaine appartenance confessionnelle. Mais cette appartenance s’accompagne de valeurs sociales et humaines comme le refus de l’oppression, l’aide aux défavorisés, l’égalité entre les êtres humains, l’importance du matyre, etc.
Pour Ali Fayad, la vision politique du Hezbollah n’est toutefois pas purement religieuse. Elle est aussi basée sur un certain pragmatisme, lié aux intérêts des gens et de la société, à leurs besoins et à leur stabilité.
Interrogé sur la relation entre le Hezbollah et l’Iran, M. Fayad a expliqué qu’elle était tout à fait particulière, sans pour autant se transformer en suivisme de la part du Hezbollah. Il a ainsi expliqué que l’Iran est le seul État chiite dans le monde et il a toujours eu un intérêt particulier envers les chiites du Liban et envers le Liban en général. D’ailleurs, des ulémas de Jabal Amel ont contribué à l’élaboration du chiisme, dans sa version iranienne. Selon lui, aujourd’hui, la politique iranienne à l’égard du Liban est basée sur l’appui et l’aide en vue de la libération du territoire. Elle vise aussi à éviter toute discorde confessionnelle et à œuvrer en faveur de l’entente des Libanais. Fayad a même déclaré : « Cela peut vous paraître difficile à croire, mais l’ayatollah Khamenei a donné des instructions aux services iraniens pour qu’ils n’interviennent pas dans les affaires libanaises, car, selon lui, le Hezbollah peut gérer tout seul la situation dans son pays et les Iraniens n’ont pas à s’en mêler et respectent l’indépendance du Liban. »
La problématique
« wilayet al-fakih »...
Prié de définir la position du Hezbollah au sujet de « wilayet al-fakih », M. Fayad a répondu que son parti respecte cette « wilaya », mais il n’est pas pour autant lié à l’État iranien. Il a précisé que cette « wilaya » est religieuse, morale et politique mais elle donne des orientations, sans intervenir dans les détails. Elle laisse, selon lui, une part à l’appréciation des intérêts généraux, donnant une grande marge de liberté pour s’adapter aux situations. Ce qui n’est pas le cas des autres écoles religieuses. Fayad a aussi expliqué que « wilayet al-fakih » n’est pas liée au régime politique, elle donne en fait la priorité à la notion des intérêts et, dans ce cas, elle appelle à tenir compte des réalités spécifiques.
C’est pourquoi, a poursuivi Ali Fayad, la reconnaissance du Liban en tant qu’État et régime constitue un principe consensuel qui s’impose à « wilayet al-fakih », celle-ci étant par ailleurs basée sur deux principes essentiels : la justice et le savoir.
Là, les patriarches ont voulu savoir si le fakih devait forcément être iranien et Fayad a répondu : « Pas nécessairement. Il est élu par un conseil de sages. »
Le rôle des chrétiens et
la protection du pluralisme
Les patriarches ont ensuite voulu connaître la vision que le Hezbollah a des chrétiens et de leur rôle. La réponse est venue apaisante : pour le Hezbollah, les chrétiens sont des gens du Livre et les musulmans peuvent ainsi nouer des liens de mariage avec leurs filles. De plus, les membres du Hezbollah et les chrétiens sont les fils d’un même pays et rien n’exige qu’il n’y ait qu’une seule religion dans le pays. Fayad a aussi expliqué que les chrétiens et les musulmans sont liés au Liban par un contrat politique et social qui sert de fondement au pays et qui a été accepté par tous. La diversité et le respect de chaque groupe ou communauté est donc à la base de la création du Liban. Il a insisté sur la nécessité de ne pas avoir au Liban une « oumma » unique ou à coloration unique. Tout comme il ne faut pas craindre, selon lui, le rattachement du Liban à d’autres États. Prétendre cela est une pure utopie, a précisé le directeur du Centre d’études du Hezbollah, qui a aussi refusé l’idée de constituer « une communauté supérieure » qui aurait des privilèges, au détriment des autres. Selon lui, une telle attitude serait néfaste et ne servirait pas la stabilité interne.
Enfin, Fayad a estimé que la réduction du nombre des chrétiens en Orient, d’Irak en Palestine et jusqu’en Égypte, en passant par le Liban, est un phénomène dangereux, car il mine nos sociétés et vise à frapper le pluralisme et la diversité en présentant les sociétés de la région comme des sociétés en conflit. De plus, l’émigration des chrétiens de l’Orient vers l’Occident est de nature à susciter la crainte chez les autres minorités de la région et contribue à semer le trouble et à favoriser la logique de l’hégémonie ou celle de l’élimination. C’est pourquoi la protection du pluralisme dans la région, et au Liban en particulier, est un devoir et la protection de la présence chrétienne au Liban fait aussi partie de la protection du pluralisme. Dans ce contexte, malgré les secousses, la dimension positive de la formule libanaise, dans son respect des particularismes et des divergences, prend toute son importance et montre la nécessité de poursuivre dans cette voie et de s’accrocher encore plus à l’accord de Taëf, en veillant à l’application des points qui restent en suspens.
Prié d’exposer le point de vue du Hezbollah sur le conflit israélo-arabe, Fayad a précisé que son parti est un mouvement de résistance nationale qui a des objectifs au Liban. Le Hezbollah cherchera toujours, selon lui, à aider le peuple palestinien à recouvrer ses droits, car il s’agit d’une cause humanitaire et morale et parce qu’Israël est un danger pour les peuples de la région. Mais il n’est pas question pour lui de prendre la place du peuple palestinien. Selon lui, la stabilité du Liban est une priorité et il n’est pas question de le transformer en arène de combats...
L’entretien a duré près d’une heure quarante et toutes les questions ont été posées, dans un climat d’ouverture et de sérieux. À la fin de la séance, le patriarche Grégoire Lahham a insisté pour que Fayad prenne le café avec les prélats et ce dernier est donc monté deux étages à pied avec eux, car aucun des prélats n’a voulu attendre l’ascenseur... Une fois dans la salle de la pause, il n’a pas pu s’empêcher de relever le fait qu’il y avait des « barazis » de Damas parmi les friandises. Il en a fait la remarque, ajoutant toutefois : « Mais ils proviennent de Bab Touma » (le quartier chrétien de Damas )...
Le patriarche Lahham a aussi proposé à Fayad d’inviter les cadres du Hezbollah à une retraite spirituelle à Aïn Trez, alors que le patriarche Sfeir, de son côté, s’est plus intéressé à la carrière de ce dernier...
Bref, pour les deux parties, la réunion était fructueuse et elle a sans doute permis de clarifier certains points, constituant un pas important vers un dialogue en profondeur. Mais il y a encore d’autres points en suspens et il faut plus d’une séance pour dissiper toutes les appréhensions...
Scarlett HADDAD
La scène peut paraître étrange, mais elle n’en a pas moins eu lieu. Les patriarches catholiques en train de prier dans une atmosphère de recueillement et, au milieu d’eux, le représentant du Hezbollah, Ali Fayad, silencieux et concentré.
Cela se passait au cours du congrès des patriarches qui s’est tenu à Aïn Trez, à la mi-octobre. Les chefs des Églises catholiques en Orient...
Cela se passait au cours du congrès des patriarches qui s’est tenu à Aïn Trez, à la mi-octobre. Les chefs des Églises catholiques en Orient...
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