Rechercher
Rechercher

Actualités

Commentaire - Le point de vue d’un professeur de l’université de New York Le côté obscur de la mondialisation financière Par Nouriel Roubini*

La récente tourmente sur les marchés financiers mondiaux – et la crise de liquidité et le resserrement du crédit consécutifs – soulève deux questions : comment les défaillances d’emprunts hypothécaires à risques dans les États américains de Californie, du Nevada, d’Arizona et de Floride ont-elles entraîné une crise mondiale ? Et pour quelle raison le risque systémique a-t-il augmenté au lieu de baisser ces dernières années ? La faute en incombe avant tout au phénomène de « titrisation ». Autrefois, les banques intégraient les prêts et les créances hypothécaires à leur comptabilité et assumaient donc le risque du crédit. À titre d’exemple, on peut citer l’effondrement du marché immobilier aux États-Unis à la fin des années 1980, lorsque de nombreux établissements bancaires qui offraient des prêts hypothécaires se sont retrouvés en faillite, provoquant une crise bancaire, une compression du crédit et une récession en 1990-1991. Le risque systémique – un choc financier provoquant une contagion économique majeure – devait être réduit par la titrisation. La mondialisation financière a fait en sorte que les banques n’intègrent plus les prêts et les créances hypothécaires à leur comptabilité mais qu’elles les cèdent sous forme de paquets de titres adossés à des actifs à des investisseurs des marchés de capitaux mondiaux, propageant d’autant le risque. Que s’est-il passé ? Le problème n’est pas seulement celui des crédits hypothécaires à risque, les fameux « subprime ». Des méthodes de prêt risquées – sans acompte, sans vérification des revenus et des avoirs des emprunteurs, des prêts in fine, un amortissement négatif, des taux incitatifs – ont été pratiquées dans plus de 50 pour cent de tous les prêts hypothécaires aux États-Unis entre 2005 et 2007. Parce que la titrisation signifiait que les banques n’assuraient plus le risque ni ne touchaient de commissions pour les transactions, elles ne se sont plus préoccupées de la qualité des emprunts. En effet, tout un cortège d’intermédiaires peut aujourd’hui percevoir des commissions sans pour autant assumer le risque du crédit. En conséquence, les courtiers en crédits hypothécaires optimisent leurs revenus en multipliant le volume des prêts, tout comme les banques qui transforment ces emprunts en titres adossés à des créances hypothécaires. Les banques d’investissement empochent à leur tour une commission en reconditionnant ces titres en tranches d’obligations de dette garantie, ou en anglais « collaterized debt obligations » (CDO), voire parfois en CDO de CDO. De plus, les conflits d’intérêts entre agences de notation du risque ne sont pas à négliger, étant donné qu’elles perçoivent elles aussi une commission de la part des acteurs de ces instruments financiers. Les organismes de régulation n’ont rien fait, puisque la philosophie de réglementation américaine est celle du fondamentalisme du libre-échange. Enfin, les investisseurs en possession de titres adossés à des créances hypothécaires ou de CDO étaient cupides et tout prêts à croire les notations erronées. Non pas qu’ils aient vraiment eu le choix, tant il est difficile de coter ces instruments complexes, particuliers et illiquides. Les mêmes méthodes de prêt risquées ont été la norme sur le marché du rachat d’entreprise à crédit, où des sociétés de financement par capitaux propres ont repris les entreprises publiques en finançant les opérations par des coefficients d’endettement élevés ; sur les marchés interbancaires où les banques financent les sociétés de financement par capitaux propres ; et sur le marché monétaire des billets de trésorerie, où les banques utilisent des postes hors bilan pour emprunter à très court terme. Il n’est donc pas du tout surprenant que lorsque la bulle immobilière a éclaté, ces marchés se soient aussi gelés. Parce que l’ampleur des pertes est inconnue – les seules pertes du marché « subprime » sont estimées à entre 50 milliards et 200 milliards de dollars selon la baisse des biens immobiliers, une autre inconnue – et que personne ne sait qui détient quoi, la méfiance mutuelle a provoqué un sévère resserrement des liquidités. Mais là aussi, la contraction du crédit n’était pas le seul problème. La question de la solvabilité se posait aussi. En effet, aux États-Unis aujourd’hui, des centaines de milliers, deux millions peut-être, de foyers sont insolvables et ne rembourseront pas leurs hypothèques. Près de soixante sociétés de crédits hypothécaires à risque ont également fait banqueroute. De nombreuses entreprises du secteur de la construction flirtent elles aussi avec la banqueroute, ainsi que des fonds spéculatifs et d’autres institutions fortement endettées. Il faut même s’attendre à une progression des défaillances de paiement des entreprises américaines, en raison d’un accroissement très net des écarts entre obligations. Un allégement de la politique monétaire pourrait réinjecter des liquidités, mais il ne permettra pas de résoudre la crise de la solvabilité, pour deux raisons : 1. L’incertitude généralisée à propos de l’ampleur des pertes, qui dépendra en partie de la dévaluation des biens immobiliers – de 10, 20 pour cent ? Il est par ailleurs difficile d’évaluer les pertes liées à des instruments financiers illiquides (qui n’ont pas de prix de marché). 2. À cause de la titrisation, des sociétés de financement par capitaux propres, des fonds spéculatifs et des marchés hors cotes, les marchés financiers sont devenus moins transparents. Cette opacité signifie que personne ne sait qui détient quoi, entraînant cette fois une crise de confiance. Lors de l’ajustement du risque en septembre, les investisseurs ont paniqué et provoqué une contraction des liquidités et du crédit. Que faire ? Il paraît difficile d’inverser la tendance à la libéralisation des marchés financiers, mais leurs effets secondaires négatifs – dont le risque systémique plus élevé – requièrent une série de réformes. Premièrement, davantage d’informations et de transparence sur les actifs complexes et leurs détenteurs sont nécessaires. Deuxièmement, les instruments financiers complexes doivent être échangés en Bourse et non sur les marchés hors cotes. Ils doivent par ailleurs être standardisés de manière à donner naissance à des marchés secondaires des actifs pour ces instruments. Troisièmement, une meilleure surveillance et réglementation du système financier mondial est indispensable, y compris une réglementation des institutions opaques ou fortement endettées comme les fonds spéculatifs et même les fonds souverains. Quatrièmement, le rôle des agences de notation doit être repensé, avec davantage de réglementation et de compétition entre elles. Enfin, le risque de liquidité doit être correctement évalué par des modèles de gestion du risque et tant les banques que les autres institutions financières doivent mieux évaluer et gérer ce risque. La plupart des crises financières sont déclenchées par un asynchronisme des échéances. Ces questions fondamentales doivent être inscrites à l’ordre du jour des ministres des Finances du G7 pour prévenir une sérieuse réaction contre la mondialisation du système financier et pour minimiser le risque de graves conséquences économiques générées par la tourmente actuelle. *Nouriel Roubini est président de RGEMonitor.com, un service d’informations économiques en ligne, et professeur d’économie à la Stern School of Business de l’université de New York. ©Project Syndicate.
La récente tourmente sur les marchés financiers mondiaux – et la crise de liquidité et le resserrement du crédit consécutifs – soulève deux questions : comment les défaillances d’emprunts hypothécaires à risques dans les États américains de Californie, du Nevada, d’Arizona et de Floride ont-elles entraîné une crise mondiale ? Et pour quelle raison le risque systémique...