Rechercher
Rechercher

Actualités

SOCIÉTÉ - Seules cinq grandes usines locales se conforment aux standards d’hygiène et de sécurité alimentaire Fromages et produits laitiers : les dangers d’une fabrication encore artisanale et archaïque Anne-Marie EL-HAGE

Une importante partie des fromages et des produits laitiers localement fabriqués et vendus sur le marché libanais ne répond pas aux normes minimales d’hygiène, de salubrité et de sécurité alimentaires. Nombreux sont les produits qui montrent, à l’issue d’analyses bactériologiques, des traces plus ou moins importantes de salmonelle, de listéria, de staphylocoques et de coliformes (excréments humains), pouvant se répercuter plus ou moins sévèrement sur la santé des consommateurs. Cette constatation est grave. Mais aussi grave est la situation sur le terrain. Car la production des fromages et des produits laitiers est généralement assurée par des entreprises familiales de petite ou de moyenne taille qui utilisent des procédés aussi artisanaux que traditionnels, souvent même archaïques. Ces entreprises n’effectuent qu’un minimum d’investissements, ne se soumettent à aucun contrôle et ne cherchent donc pas à améliorer leurs méthodes de production. L’ignorance, l’absence de techniques scientifiques et le manque d’expertise règnent sur la profession, alors qu’à peine quelques grandes usines travaillent dans le respect des standards de qualité. Quant aux autorités, elles brillent par leur absence, la production libanaise ne répondant à aucune réglementation. Point de surveillance donc, ni de contrôle. Comme toujours, le consommateur libanais continue de faire les frais de ce laxisme, malgré une prise de conscience officielle de ce problème endémique. Le doyen de la faculté des sciences de l’Université Saint-Joseph, Toufic Rizk, se basant sur des études et des analyses effectuées au Centre d’analyse et de recherche rattaché à la faculté des sciences de l’USJ, lève le voile sur les procédés de fabrication des fromages dans une cinquantaine de lieux de production du pays. Halloum, akkaoui, tchèque, majdouli, double crème, shalal, labné, laban et laitages… Ces aliments qui figurent au menu quotidien des Libanais renferment de nombreuses bactéries. Des bactéries qui constituent l’un des principaux paramètres de contamination et peuvent être l’une des causes principales des empoisonnements et infections intestinales en tout genre, accompagnés de diarrhées, de vomissements et de fièvre, qui touchent régulièrement les Libanais et surtout les touristes. Et pour cause, explique le professeur Toufic Rizk : « L’ensemble de la chaîne de fabrication des fromages ou des laitages, encore trop artisanale et traditionnelle, voire archaïque, est entachée d’irrégularités et ne répond pas aux standards de sécurité et de salubrité. » À commencer par l’eau, qui n’est jamais contrôlée, la même eau servant à la fabrication des produits et au nettoyage des locaux et des équipements. Suite à des analyses effectuées, cette eau s’avère d’ailleurs non potable et sale, « l’eau des puits artésiens se trouvant régulièrement infiltrée par les eaux d’égouts ». De plus, elle est généralement « filtrée de manière non adéquate ou alors contaminée par des tuyauteries rouillées », rongées par le vert-de-gris. Un manque d’hygiène flagrant Même le matériel servant au contact des aliments est souvent inadéquat, inapproprié ou rouillé lui aussi, permettant la prolifération des bactéries. « Il n’est pas rare de voir, en guise de mélangeurs, des battes de bois de provenance douteuse, un procédé formellement interdit dans la production alimentaire », tient à souligner Toufic Rizk, précisant que le bois est source de contamination et facilite donc la prolifération des microbes. Il arrive également que de vieux chiffons servent de raccords en cas de joints défectueux et soient mis en contact avec les produits laitiers. Quant aux locaux servant d’usines, ils sont pour la plupart non conformes aux normes, caractérisés par une mauvaise distribution des équipements et l’absence de séparation nette entre les différentes activités. Ils sont aussi mal équipés, mal éclairés, non stériles, rongés par l’humidité et parfois même insalubres. « Nombre de locaux sont aménagés au rez-de-chaussée de maisons familiales, dans un environnement situé à proximité d’élevages de poulets, principaux transmetteurs pathogènes du type salmonelle », précise le Pr Rizk. Souvent, la pièce de travail est mal ou pas isolée des autres parties de l’entreprise, notamment des toilettes, des aires de repas des ouvriers. D’autres locaux, installés dans des hangars, ou dans des pièces aux portes béantes, aux fenêtres cassées, présentent un accès facile aux rongeurs, aux cafards et aux moustiques. Alors que « certaines entreprises ont carrément pignon sur rue, pratiquant le mélange des fromages en plein air, à proximité des pots d’échappement des voitures et des camions poubelles », constate-t-il. Que dire surtout de la main-d’œuvre qui travaille dans l’ignorance des règles essentielles d’hygiène ? Les exemples sont nombreux et tout aussi révoltants, du fait du manque de respect par les ouvriers des règles les plus simples de l’hygiène alimentaire. Une grande majorité omet de se laver les mains après avoir utilisé les toilettes. Certains d’entre eux ont été observés alors qu’ils trempaient leurs bras poilus dans les mélanges, sans protection, sans gants. D’autres, pensant observer les règles d’hygiène, réutilisaient les mêmes gants à plusieurs reprises, après les avoir enlevés lors de leurs pauses. D’autres encore ont été vus alors qu’ils travaillaient leur mélange dans la rue, à la porte de leur centre de production. Il est d’ailleurs important de savoir, observe le doyen, que « plus de la moitié des ouvriers employés par ces fabricants n’ont aucune formation universitaire, et que plus de 5 % des entreprises ont la totalité de leur personnel carrément analphabète, alors que le personnel technique qualifié brille par son absence ». Transport, stockage et conditionnement De plus, au sein de ces centres de production, aucun règlement n’est jamais affiché visant à rappeler aux ouvriers les règles d’hygiène à respecter, ni même la moindre information concernant les moyens d’éviter la contamination et la transmission des bactéries. Le Pr Rizk précise, à ce propos, que « la mauvaise hygiène est la cause principale de la contamination des produits laitiers et des fromages par les pathogènes cités ». Il tient aussi à souligner que « ce type de bactéries peut être éliminé par simple nettoyage et par traitement convenable par la température ». Malheureusement, « l’ignorance des pratiques de manufacture et des mesures d’hygiène est généralisée dans l’ensemble de ces entreprises », constate-t-il. Quant au transport des marchandises d’une étape à l’autre de la chaîne de fabrication, il est souvent effectué par des véhicules inappropriés, notamment de vieilles camionnettes ou des vans dépourvus de système de réfrigération. D’autant que certaines usines ou centres de fabrication répartissent leurs activités sur plusieurs locaux disséminés dans une ou plusieurs régions. Plus grave encore, remarque le Dr Rizk, est que « ce transport s’effectue souvent en pleine chaleur, alors que la croissance des bactéries atteint son apogée en été, lorsque la température avoisine les 37 degrés ». Le doyen Toufic Rizk ne manque pas d’évoquer aussi les failles au niveau du stockage des produits, de l’emballage qui n’est pas conforme aux exigences techniques, sans parler du design. Il montre également du doigt les dangers de l’importation illégale, de Syrie notamment, de produits servant à la fabrication des laitages et des produits laitiers. « Il n’existe aucun contrôle sur la qualité de la marchandise, ni même sur la propreté de ces produits », note-t-il à ce propos. Réglementer la profession Le doyen ne se veut pas alarmiste. Mais la généralisation de ces méthodes de fabrication des fromages et des produits laitiers ne peut que se répercuter sur la sécurité et sur la protection du consommateur. Le problème est que cette production est assurée par une multitude de petits et moyens fabricants dont le chiffre s’élève à 428 environ, 200 entreprises étant de très petite taille. Mais parmi cette multitude d’entreprises, seules 8 usines sont considérées comme importantes et sont enregistrées au Syndicat des industriels alimentaires libanais (SLFI). Quant à celles qui sont dotées d’un laboratoire et qui respectent les normes d’hygiène, elles ne dépassent pas le chiffre de 5. « D’ailleurs, tient-il à préciser, seulement trois usines travaillent dans le respect du GMP (Bonnes pratiques de fabrication). Ces usines sont même impressionnantes dans leur souci de perfection. » La solution ? « Elle réside dans les mains de l’État qui doit urgemment réglementer la profession en mettant en place la Loi de salubrité et de sécurité alimentaire (Lebanese food safety law) », lance le doyen. Un système de contrôle et d’inspection serait ensuite mis en place au niveau de l’ensemble de la chaîne de production, depuis le contrôle vétérinaire jusqu’au produit fini, auquel s’associeraient les différents ministères concernés. Mais ces mesures doivent nécessairement être accompagnées d’une sensibilisation de l’ensemble des membres de la profession. « Car il est indispensable que la profession évolue dans son ensemble », insiste le Pr Rizk, préconisant à cet effet « que tous les fabricants suivent des formations continues sur l’hygiène et sur les procédés de fabrication ». Il s’agirait d’un travail à long terme, dont l’objectif serait basé sur « la protection du consommateur », précise Toufic Rizk. Solution utopique, espoirs vains ou réalité qui verra peut-être le jour, dans l’espoir que le Liban adhérera bientôt à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ? Mais entre-temps, et alors que les fromages et produits laitiers libanais n’ont toujours pas accès aux marchés étrangers, combien de consommateurs seront-ils encore touchés avant que les choses bougent vraiment ?
Une importante partie des fromages et des produits laitiers localement fabriqués et vendus sur le marché libanais ne répond pas aux normes minimales d’hygiène, de salubrité et de sécurité alimentaires. Nombreux sont les produits qui montrent, à l’issue d’analyses bactériologiques, des traces plus ou moins importantes de salmonelle, de listéria, de staphylocoques et de coliformes (excréments humains), pouvant se répercuter plus ou moins sévèrement sur la santé des consommateurs. Cette constatation est grave. Mais aussi grave est la situation sur le terrain. Car la production des fromages et des produits laitiers est généralement assurée par des entreprises familiales de petite ou de moyenne taille qui utilisent des procédés aussi artisanaux que traditionnels, souvent même archaïques. Ces entreprises...