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Actualités - OPINION

Commentaire Les œillères de l’histoire

Par Dominique Moisi* Une vision faussée du présent est la pire des manières de se préparer aux défis de l’avenir. Décrire la lutte contre le terrorisme international comme « la Quatrième Guerre mondiale », comme le fait l’éminent néo-conservateur américain Norman Podhoretz dans son nouveau livre, est une totale aberration. Tout d’abord, où et quand la Troisième Guerre mondiale a-t-elle eu lieu ? La guerre froide, justement parce qu’elle n’a jamais été « chaude », n’a jamais été semblable à la première ou à la seconde. Naturellement, la référence à la « guerre mondiale » a peut-être pour but de créer une logique de « eux » contre « nous », mais cela ne correspond pas à la nature du défi que représente l’islam radical, étant donnés la complexité et les nombreuses divisions qui existent à l’intérieur du monde musulman. En fait, militariser notre façon de penser nous rend incapables de trouver les bonnes réponses, qui doivent être orientées tant vers la politique que vers la sécurité. Comme toujours, les mots ont leur importance, car ils peuvent facilement se transformer en armes qui rebondissent sur ceux qui les utilisent à mauvais escient. De fausses analogies ont déjà mené l’Amérique au désastre en Irak, qui n’a rien en commun avec l’Allemagne ou le Japon d’après la Seconde Guerre mondiale – parallèle utilisé par certains membres de l’Administration Bush pour avancer que la démocratie pouvait germer dans d’anciennes dictatures grâce à une occupation étrangère. Certes, la menace terroriste est réelle, et elle perdure, comme l’atteste le complot terroriste récemment déjoué en Allemagne. Ce complot, qui impliquait un jeune Allemand converti à l’islam, a montré une fois de plus que les terroristes peuvent nous menacer à la fois de l’intérieur et de l’extérieur. Les instincts nihilistes et destructeurs que des idéologies extrêmes des années 1970 ont inspirés à certains jeunes Allemands de la génération Baader/Meinhof, peuvent, semble-t-il, donner à leurs yeux un aspect « romancé » à el-Qaëda. Nous devons évidemment nous protéger le plus sérieusement et rigoureusement possible de la menace que représente le terrorisme au cas où, par exemple, des extrémistes acquerraient des armes nucléaires ou biologiques. Il est essentiel de mettre l’accent sur les renseignements, la diplomatie, les forces de sécurité, et il faut apprendre aux gens à vivre à l’ombre d’une menace invisible. Une certaine « israélisation » de notre quotidien est malheureusement devenue inévitable. Mais cela ne signifie pas que nous devions devenir complètement obsédés par le terrorisme, et qu’il nous en coûte de perdre de vue des défis historiques plus vastes. L’assassinat de l’héritier de l’Empire austro-hongrois à Sarajevo en juillet 1914 n’a pas été la cause de la Première Guerre mondiale, mais son prétexte. Le vrai contexte de l’époque n’était pas celui d’un « complot anarchique » visant à déstabiliser les empires, mais la montée de nationalismes exacerbés, associés à l’instinct suicidaire d’un ordre décadent et au mécanisme fatal de la logique des « alliances secrètes ». Le contexte de l’époque était le suivant : avec la révolution des transports et le déploiement d’armées massives, la guerre ne pouvait plus être envisagée comme la continuité de la politique par d’autres moyens. L’industrialisation de la guerre l’a rendue obsolète en termes rationnels. Moins que la défaite de l’Allemagne, de l’Autriche et de l’Empire ottoman, la Première Guerre mondiale a incarné le suicide de l’Europe. Le contexte d’aujourd’hui est le déplacement possible du leadership mondial de l’Occident à l’Asie. La réaction paranoïaque des néo-conservateurs américains devant la menace terroriste ne peut qu’accélérer ce processus, voire le rendre inévitable, en mettant en péril nos valeurs démocratiques, et par conséquent en affaiblissant la « puissance douce » des États-Unis, tout en alimentant la cause terroriste. Le terrorisme est le produit d’une fusion, à l’intérieur de l’islam, d’extrémisme religieux, d’un nationalisme contrarié et de ce que Dostoïevski appelait le nihilisme. Notre défi consiste à comprendre les causes profondes de ces forces et à faire des distinctions entre elles. En d’autres termes, nous devons affronter le défi de la complexité, et il faut nous assurer qu’une petite minorité ne sera pas rejointe par des forces plus grandes. Une plus grande stabilité au Moyen-Orient, qui implique un règlement du conflit israélo-palestinien, ainsi qu’une plus grande intégration des musulmans dans nos sociétés, basée sur la justice sociale et un message humaniste plus fort, sont les éléments-clés d’une stratégie occidentale cohésive. Si nous perdons cela de vue dans notre lutte contre le terrorisme et ses causes, nous serons incapables d’affronter avec succès le défi à long terme que représente le bloc constitué par l’Inde et la Chine. (*) Dominique Moisi, fondateur et conseiller de l’IFRI (Institut français des relations internationales), enseigne aujourd’hui au collège européen de Natolin, à Varsovie. © Project Syndicate, 2007. Traduit de l’anglais par Bérengère Viennot.
Par Dominique Moisi*

Une vision faussée du présent est la pire des manières de se préparer aux défis de l’avenir. Décrire la lutte contre le terrorisme international comme « la Quatrième Guerre mondiale », comme le fait l’éminent néo-conservateur américain Norman Podhoretz dans son nouveau livre, est une totale aberration.
Tout d’abord, où et quand la Troisième Guerre...