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Actualités - OPINION

L’article 49 de la Constitution et le gouvernorat de la Banque du Liban

L’échéance présidentielle est entrée dans une phase décisive, avec notamment le début des spéculations sur les critères et les conditions juridiques qui rendent les candidats éligibles à la présidence. Dans la foulée des événements, plusieurs théories voient le jour concernant les conditions permettant au gouverneur de la Banque du Liban d’accéder à la plus haute magistrature. À ce stade, hommes politiques, juristes, journalistes ainsi que l’opinion publique s’interrogent sur les conditions tant générales que spécifiques susceptibles d’amener le gouverneur de la Banque centrale à la tête de la présidence. La question principale qui se pose à cet égard est la suivante : les dispositions de l’article 49 de la Constitution libanaise relatives aux fonctionnaires de première catégorie dans l’Administration publique libanaise et à son équivalent s’appliquent-elles au gouverneur de la Banque du Liban? 1) L’article 49 dispose que « le président de la République est le chef de l’État et le symbole de l’unité de la patrie. Il veille au respect de la Constitution et à la sauvegarde de l’indépendance du Liban, de son unité et de l’intégrité de son territoire conformément aux dispositions de la Constitution. Il préside le Conseil supérieur de défense. Il est le commandant en chef des forces armées, lesquelles sont soumises à l’autorité du Conseil des ministres. Le président de la République est élu, au premier tour, au scrutin secret à la majorité des deux tiers des suffrages par la Chambre des députés. Aux tours de scrutin suivants, la majorité absolue suffit. La durée de la magistrature du président est de six ans. Il ne pourra être réélu qu’après un intervalle de six années. Nul n’est éligible à la présidence de la République s’il ne remplit les conditions requises pour être éligible à la Chambre des députés et qui ne font pas obstacle à la capacité d’être candidat. Les magistrats et les fonctionnaires de la première catégorie ou son équivalent dans tous les établissements et administrations publics, et toute autre personne morale de droit public ne peuvent être élus au cours de l’exercice de leurs fonctions, et durant les deux années qui suivent la date de leur démission et de la cessation effective de l’exercice de leurs fonctions ou de la date de leur mise à la retraite. » D’abord, pour déterminer le critère organique (institutionnel) d’application des dispositions dudit article, il convient de se demander si la Banque du Liban est considérée, au vu du droit public, comme « administration publique », « établissement public » ou encore comme une « personne morale de droit public ». En nous référant au code du crédit et de la monnaie paru par décret n° 13513 du 1/8/1963, nous constatons que l’article 13 dudit code confirme que la Banque du Liban est une « personne morale de droit public » jouissant d’une indépendance financière, à l’instar de toute personne morale de droit public en charge d’un service public, qu’il s’agisse de service public administratif ou de service public industriel et commercial. Par ailleurs, s’il est une particularité propre aux personnes morales de droit public, outre leur aptitude à gérer leurs affaires par elles-mêmes en toute autonomie, c’est bien l’existence d’un organisme de contrôle chargé surtout de veiller à l’application de la loi pour ce qui a trait aux activités de ces personnes. Ainsi, le code du crédit et de la monnaie susmentionné dispense la Banque du Liban des règles de l’Administration, et de l’exercice des activités et des contrôles, notamment en vertu des décrets-lois n° 114, 115, 117 et 118 du 12 juin 1959. Le décret n° 16400 du 22 mai 1964 a toutefois prévu un mécanisme de contrôle exercé par la Commission gouvernementale près la Banque centrale, lequel organisme s’inspire pour son mandat, en général, de l’activité des organismes de contrôle des établissements publics, avec des adaptations introduites à sa mission, par considération de la particularité de la Banque du Liban. Ainsi remarquons-nous que l’une des missions du commissaire consiste à « veiller à l’application de la loi, à superviser la comptabilité de la banque et à entreprendre les recherches nécessaires relatives au crédit et à la monnaie (art. 3). Il est également appelé à s’assurer en permanence que les réunions du conseil central (de la Banque du Liban) sont conformes à la loi (…) et que ledit conseil exerce toutes ses prérogatives et remplit toutes les obligations auxquelles il est tenu par la loi (art. 4) ». C’est pourquoi il convient de noter qu’en marge de l’indépendance reconnue à la Banque du Liban dans l’exercice des fonctions qui lui sont déléguées et tout en tenant compte de sa particularité, la banque ne peut être dispensée des principes généraux qui s’appliquent aux établissements publics et aux personnes morales de droit public en terme de contrôle. En effet, pour ce qui est du critère organique, nous pouvons confirmer que la Banque du Liban fait partie des institutions mentionnées à l’article 49. 2) Reste à se prononcer sur le second point relatif aux « fonctionnaires de première catégorie et à son équivalent » pour voir si le gouverneur de la Banque du Liban est soumis ou non à cette qualification. L’article 12 du décret-loi n° 112 du 12 juin 1959 définit les conditions de nomination à la première catégorie : ainsi, soit que « les postes vacants de première catégorie sont remplis par voie de sélection parmi les fonctionnaires des trois grades supérieurs de deuxième catégorie (…) », soit que « des personnes hors cadre sont nommées, à titre exceptionnel, en première catégorie, sur avis du Conseil de la fonction publique (…), cette démarche ne devant s’appliquer qu’au tiers des postes vacants de première catégorie ». Il est vrai que le mécanisme et les conditions de nomination du gouverneur de la Banque du Liban sont prévus dans le code du crédit et de la monnaie ; la référence aux dispositions du décret-loi n° 112 a pour seul but de rappeler que les fonctionnaires de première catégorie ne font pas forcément d’office, et avant leur nomination, partie du cadre de la fonction publique, mais qu’ils peuvent le devenir une fois nommés. Ainsi, la théorie qui suppose que les fonctionnaires de première catégorie font partie du cadre avant leur nomination est tout à fait erronée. Qu’en est-il donc de la nomination du gouverneur de la Banque du Liban aux termes des dispositions du code du crédit et de la monnaie? Selon l’article 18 du code susmentionné, « le gouverneur est nommé pour un mandat de six ans par décret pris en Conseil des ministres sur proposition du ministre des Finances ». Le code ne prévoit cependant pas de mécanismes administratifs relatifs à l’évaluation de la performance des fonctionnaires et aux prérogatives de l’Inspection centrale concernant le contrôle de performance du gouverneur et des vice-gouverneurs. Comme nous l’avons déjà signalé, le code du crédit et de la monnaie a dispensé la Banque du Liban des règles de l’Administration, et de l’exercice des activités et des contrôles « traditionnels ». Cependant, cette exception aux règles générales de l’administration publique, en raison de la particularité de la Banque du Liban, ne change en rien l’appartenance de cette institution au « droit public » (cf. art. 13 du code susmentionné) et ne permet pas non plus d’en arriver à la conclusion que le gouvernorat de la Banque du Liban (le gouverneur et les vice-gouverneurs) n’est pas soumis aux dispositions de l’article 49 de la Constitution. En effet, l’article 49 fait mention des « fonctionnaires de première catégorie » d’une part et de « son équivalent » d’autre part. D’où la nécessité d’examiner dans le fond ce que pourrait être « l’équivalent » de la fonction de première catégorie ou plutôt de voir si le statut de gouverneur de la Banque du Liban est une fonction qui peut être assimilée ou non à celle de l’agent public. A- Pour en revenir au mécanisme de nomination, il convient de constater que la nomination du gouverneur de la Banque du Liban et celle des fonctionnaires de première catégorie sont régies par les mêmes procédures en ce qui concerne l’autorité compétente de nomination, en l’occurrence le Conseil des ministres, à une différence près : le gouverneur est nommé sur proposition du ministre des Finances et non pas sur avis du Conseil de la fonction publique (comme c’est le cas pour les personnes hors cadre). Or, le point culminant à retenir à ce stade est qu’il s’agit de la même autorité qui nomme le haut fonctionnaire et l’agent occupant une fonction assimilée. Le trait commun dans la nomination des deux est le caractère « public » de l’institution et du service qu’ils exercent, d’une part, et « la participation directe de l’agent à l’exécution de ce même service », d’autre part. Il est possible de consulter à ce propos les arrêts suivants du Conseil d’État français: CE 20 mars 1959, Lauthier CE 5 avril 1991, École sup. de commerce d’Amiens. Partant de ce critère, M. René Chapus en arrive à la conclusion suivante : « L’attribution de la qualité d’agent public est alors d’autant plus largement assurée qu’il importe peu que les personnels contractuels aient été engagés verbalement (arrêts Acquaviva de 1965, Delle Brenot de 1971, Mme Dubois de 1994), de façon temporaire (arrêts Sageaud de 1981 et Girard de 1988), à titre “précaire et essentiellement révocable” (arrêts synd. gén. des médecins du travail de 1964 et Girard de 1988). Il était de même indifférent qu’ils soient rémunérés à la vacation (arrêts Delle Santelli de 1959) ou que le contrat se réfère au code du travail (arrêt Huyghes 1972) ou reprenne, ou déclare applicables, les dispositions d’une convention collective (arrêts Mme Fouilleul de 1982, Marsceaux de 1989, Kermann de 1991). » Or, étant donné que les tâches à assumer par la Banque du Liban ont un caractère public par excellence et relèvent d’un service public régalien, le responsable direct de la prestation de ce service se doit de participer directement à l’exécution de ces tâches principales et, partant de ces considérations, il est perçu comme un agent public équivalent au fonctionnaire de première catégorie. B- Par ailleurs, il convient de noter que la « nature » du travail du responsable au sein d’un établissement de personne morale de droit public – même s’il s’agit d’un service public à caractère industriel et commercial – constitue un critère matériel permettant de déterminer si sa fonction est assimilable à celle d’un agent public ou à celle d’un agent de droit privé. En France, le Conseil d’État a considéré que la personne travaillant dans le secteur public est qualifiée d’agent public lorsqu’elle exerce des fonctions de direction à la tête du service dans lequel elle travaille. Cf. : CE 25 janvier 1952, Boglione et autres. Avant de nous approfondir dans l’explication de l’évolution de la jurisprudence française à ce sujet, il convient de noter que nous avons jugé bon de recourir à la jurisprudence relative au service public à caractères industriel et commercial parce que nous avons considéré que les privilèges, salaire, indemnités et immunité attribués au gouverneur de la Banque du Liban ressemblent davantage à ceux accordés aux hauts responsables de ce genre de service qu’à ceux du service public à caractère administratif. Quant à l’évolution en question, force est de remarquer que le Conseil d’État français a élargi en 1957 le cadre des « fonctionnaires du secteur public » en considérant que « l’agent public est celui qui est chargé de la direction de l’ensemble des services de l’établissement » (CE 8 mars 1957, Jalenques de Labeau). En 1967, la jurisprudence française a estimé qu’ « est seul un agent public le directeur de l’ensemble du service » (CE 15 décembre 1967, Level). Par la suite, dans les années 90, la juridiction administrative française a décidé de se baser sur le critère du plus haut emploi de la direction pour définir l’agent public (CE 29 janvier 1992, Mme Bayle). À la lumière de ce qui précède, nous pouvons déduire que le principal critère pour qualifier un agent donné d’agent public – assimilable donc au fonctionnaire – ou d’agent de droit privé est la « nature » de son activité au sein de l’établissement, surtout s’il occupe le plus haut emploi à la tête de l’établissement. Ainsi, selon René Chapus, « Une formule énonçant à la manière de l’arrêt Boglione que les agents des services publics industriels et commerciaux sont dans une situation de droit privé, à l’exception de ceux qui “à la tête” de l’établissement exercent des fonctions de direction ou d’administration, serait mieux adaptée à la réalité des entreprises publiques et à la préoccupation d’intérêt général dont procède la détermination des agents placés dans une situation de droit public. » Aussi, à la question principale de savoir si le gouvernorat de la Banque du Liban est régi par les dispositions de l’article 49 de la Constitution, il nous semble indispensable de considérer que les fonctions assignées au titulaire de ce poste visent à servir l’intérêt général et le bien public, étant donné que le gouverneur participe – de manière directe – à l’exécution dudit service à travers le poste – ou encore la fonction – le (la) plus élevé(e) dans l’établissement en question, où il tient les commandes et, de ce fait, il est considéré davantage concerné par l’intérêt général dudit établissement que le reste des employés. Partant, nous considérons que les dispositions de l’article 49 s’appliquent de droit au gouverneur de la Banque du Liban. L’article 49, avant son amendement par la loi constitutionnelle du 21/9/1990, stipule: « Le président de la République est élu, au premier tour, au scrutin secret à la majorité des deux tiers des suffrages par la Chambre des députés. Aux tours de scrutin suivants, la majorité absolue suffit. La durée de la magistrature du président est de six ans. Il ne pourra être réélu qu’après un intervalle de six années. Nul n’est éligible à la présidence de la République s’il ne remplit les conditions requises pour être éligible à la Chambre des députés et qui ne font pas obstacle à la capacité d’être candidat. ». Il n’y a donc plus lieu à la confusion dorénavant, puisque le président défunt Élias Sarkis a été élu conformément au texte de l’article 49 avant la révision constitutionnelle en 1990 et l’introduction du paragraphe n° 3. P. Fady FADEL Docteur en droit public
L’échéance présidentielle est entrée dans une phase décisive, avec notamment le début des spéculations sur les critères et les conditions juridiques qui rendent les candidats éligibles à la présidence.
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