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Actualités - OPINION

L’ÉDITORIAL de Issa GORAIEB À l’écoute des martyrs

En principe, le propos était de saluer la mémoire de l’imam Moussa Sadr, fondateur du mouvement Amal, disparu sans laisser de traces avec ses deux compagnons en 1978 alors qu’il visitait le plus officiellement du monde la Jamahiriya libyenne. Mais c’est avec les vivants, et pour eux, que la terre continue imperturbablement de tourner. Dès lors, le meeting monstre d’hier à Baalbeck aura surtout été pour l’héritier, Nabih Berry, l’occasion de frapper un grand coup en déployant, le geste large et le verbe haut, un art consommé du décorum. Le grand coup, c’est cette concession à tiroirs offerte à la majorité parlementaire : l’opposition renoncera à son exigence d’un gouvernement d’union préalablement à l’élection d’un président de la République, à condition toutefois que la majorité se soumette à la règle du quorum des deux tiers requis pour ce scrutin. Une fois ce point acquis, le président de l’Assemblée entamera aussitôt avec toutes les parties une concertation devant aboutir à un vaste accord sur la personne du futur chef de l’État. L’offre est digne d’intérêt certes, encore qu’elle revient, pour l’opposition, à renoncer généreusement à un objectif sur lequel, en réalité, elle s’est cassé les dents : ni les démissions, en effet, ni les pressions et menaces, pas plus que l’interminable sit-in fantôme dans le centre-ville de la capitale n’ont pu forcer au départ le gouvernement Siniora. Mais surtout, et soit dit sans ironie excessive, c’est une concession à tiroirs qu’on a là, et il est bien connu que les tiroirs peuvent renfermer parfois de mauvaises surprises. Car en somme, et une fois réglés les préliminaires, il va s’agir d’esquisser le portrait-robot du président de tous, cette perle rare qui rassurerait un peu tout le monde et n’inquiéterait personne. Souverainiste et pro-occidental aux deux tiers, et bien disposé à l’égard de la Syrie pour le tiers restant ? Fifty-fifty plutôt ? On voit d’ici le genre d’impasse où l’on se serait enfermé si les palabres n’aboutissaient pas avant l’échéance constitutionnelle, si les Libanais restaient profondément divisés sur les questions fondamentales, si le fatidique quorum (paré, désormais, d’une unanimité nationale introuvable par ailleurs) restait impossible. En dépit des classiques protestations d’attachement à la justice qui font, elles aussi, une rare unanimité, il est indéniable que la question du tribunal international, en raison de ses incidences syriennes, figure au centre des discordes libanaises. Évoquant le souvenir de Moussa Sadr dont la disparition fut un des premiers cas de conspirations étrangères visant des personnalités libanaises, le président Berry, et c’est à son honneur, n’a pas oublié pour autant les autres et illustres martyrs fauchés ces deux dernières années. Il est grand temps cependant que l’on honore le sacrifice de ces martyrs autrement que par le devoir du souvenir. Durant la semaine écoulée, et alors même que les préparatifs du meeting de Baalbeck allaient bon train, deux courageuses voix chiites se sont élevées pour déplorer ces rassemblements annuels folkloriquement dédiés moins à la mémoire des morts qu’à la gloire des vivants. Pourquoi ne pas saisir avec la même énergie, avec le même luxe de moyens, la Cour internationale de La Haye d’une affaire aussi éminemment internationale que celle de l’imam ? ont demandé ainsi le fils du chef religieux historique Mohammad Mehdi Chamseddine et le mufti de Tyr. Cette double interpellation en appelle irrésistiblement une autre. Pour la honte des peuples de cette région, plus d’un État arabe s’est notoirement distingué dans la pratique des liquidations physiques et autres actions criminelles ou terroristes. Mais pour d’aucuns, tous ces États qui sentent le soufre ne sont visiblement pas à mettre dans le même sac. Pour ceux-là, il y a d’un côté les assassins-assassins, et de l’autre, des amis parfaitement fréquentables, de précieux alliés injustement accusés, scandaleusement harcelés par une haineuse coalition impérialiste. On a beau dire, c’est bien avec la cristallisation du projet de tribunal international pour le Liban qu’a éclaté la crise actuelle, et c’est sur ce même fond de tribunal qu’elle menace de se prolonger. La justice ne saurait être fractionnée, clamait hier le président Berry. Voilà bien pourquoi les engagements et intérêts politiques ne devraient pas entraver plus longtemps cette priorité absolue, cette véritable police d’assurance-vie pour tous les acteurs libanais qu’est la quête universelle de vérité. Voilà ce que feraient observer, s’il leur était donné de le faire, ceux qui ne sont plus là. Issa GORAIEB
En principe, le propos était de saluer la mémoire de l’imam Moussa Sadr, fondateur du mouvement Amal, disparu sans laisser de traces avec ses deux compagnons en 1978 alors qu’il visitait le plus officiellement du monde la Jamahiriya libyenne. Mais c’est avec les vivants, et pour eux, que la terre continue imperturbablement de tourner. Dès lors, le meeting monstre d’hier à Baalbeck aura surtout été pour l’héritier, Nabih Berry, l’occasion de frapper un grand coup en déployant, le geste large et le verbe haut, un art consommé du décorum.

Le grand coup, c’est cette concession à tiroirs offerte à la majorité parlementaire : l’opposition renoncera à son exigence d’un gouvernement d’union préalablement à l’élection d’un président de la République, à condition toutefois que la majorité se soumette...