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Actualités - OPINION

Le Liban et la réémergence d’un monde multipolaire Fady NOUN

Du discours de l’opposition a soudain surgi le terme « partition ». On accuse la majorité de faire en sorte que l’opposition n’aurait d’autre choix que de désobéir aux pouvoirs publics. Et dans ce Liban où l’on parle de partition, on intimide, en paroles et en actes, et on assassine les députés, les diplomates et les journalistes… Comment expliquer tout ça ? L’émergence d’un nouveau monde multipolaire, où, du Venezuela de Chavez à l’Iran d’Ahmadinejad, la lutte anti-impérialiste se réveille, offre à l’observateur une grille de lecture possible de la tourmente qui ballote et menace le Liban. Ce monde multipolaire émergent chercherait naturellement à remplacer le monde bipolaire qui s’est effondré à la fin des années 80 avec la disparition de l’URSS et le règne sans partage de l’hégémonie américaine, jusqu’à la date symbolique du 11 septembre 2001. Sous l’effet du monde bipolaire apparu au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, il y eut deux Allemagnes, deux Vietnams, deux Corées. Cet « ancien monde » a disparu aujourd’hui et l’unification de deux de ces pays est désormais accomplie, en attendant que mute le fossile nord-coréen. Paradoxalement, alors même que ce mouvement d’unification se poursuit, un nouveau clivage mondial induit désormais la partition de nouveaux pays : la Palestine, le Liban peut-être, peut-être encore l’Irak, l’Afghanistan. Même pris dans une aussi puissante tourmente, un aussi petit pays que le Liban est-il susceptible de partition ? On pourrait en douter. Mais la puissante Syrie qui l’entoure pourrait être tentée de reconnaître un contre-pouvoir qui émergerait de l’épreuve de force actuelle. Un contre-pouvoir qui s’imposerait même, peut-être, par des combats fratricides ici et là, là où les contours géographiques des deux pouvoirs rivaux seraient trop vagues. C’est en tout cas un scénario catastrophe qu’on pourrait envisager et qu’envisagent certainement ceux qui parlent de deux gouvernements et de deux présidents. Et tout cas, il existe déjà un embryon d’État dans l’État, le Hezbollah. Ce parti prône un projet de société différent du Liban pluraliste que nous connaissons, développe ses capacités armées, ses moyens de communication, son infrastructure administrative ; cet énorme effort d’organisation est financé par un État, sinon deux ; sa ligne politique relève d’une stratégie qui dépasse le Liban et dans laquelle le Liban est plus une arène qu’une patrie définitive. Il ne faut pas être injuste avec le Hezbollah, mais il ne faut pas en être dupe non plus. L’autorité politico-religieuse suprême à laquelle est sujet le parti et son chef, le wali el-faqih, n’a apparemment toujours pas renoncé à défaire les États-Unis au Liban, à faire de notre pays un champ pour son combat. De son côté, le régime syrien n’a probablement pas renoncé à mettre le Liban à feu et à sang, faute de pouvoir l’asservir, histoire de prouver au monde que cet État n’est pas viable, sans un tuteur à la hauteur qui en ferait une de ses provinces pacifiées. À cette exception près que pour le prouver, on ne se prive pas, quand il le faut, d’inventer les preuves. C’est tantôt l’ennemi israélien, tantôt l’épouvantail intégriste, tantôt l’ogre saoudien. Et le général Michel Aoun se prête à cette entreprise au lieu d’aider une communauté chiite arraisonnée à se retrouver et à retrouver sa patrie. Face à cette nouvelle polarisation à ces puissants axes, à ces engrenages fatidiques qui risquent de nous broyer, comme ils l’ont fait sous d’autres cieux avec des pays bien plus puissants, que doit-on faire ? Que peut-on faire ? Dans son combat, le Liban doit garder les yeux fixés sur deux choses et une troisième : sa démocratie, aussi pauvre qu’elle soit, son pluralisme, aussi anarchique qu’il puisse être. Là où est le pluralisme, là est le Liban. La troisième étant la Providence. Ce sont là des points de repère indispensables pour naviguer dans cet océan agité qu’est le Moyen-Orient. Certes, le Liban doit chercher à préserver sa neutralité dans la guerre des axes, à maintenir une espèce de « non-alignement » salutaire. Mais il ne doit le faire ni au prix de sa démocratie ni à celui de son pluralisme, c’est-à-dire de sa liberté et de son âme. La France et les États-Unis pourraient être gagnés par le découragement. Ils doivent plutôt contribuer à la bataille de l’indépendance en encourageant l’émergence de courants modérés, unificateurs, dans toutes les communautés, en se gardant d’aiguiser les conflits, là où c’est inutile. Dans le discours interne, il manque le volet positif. Il faut l’inventer. Comme Boutros Harb hier, comme Nassib Lahoud quelques jours auparavant, il faut parler de l’après-présidentielle, d’un gouvernement d’union nationale, d’une loi électorale, d’un Conseil constitutionnel. Il faut agir comme si, en face, il y avait une volonté sincère de règlement, il faut imaginer un règlement qui soit autre chose que la victoire d’un camp sur l’autre. Face au modèle syro-iranien, face au tribalisme et à la sujétion à la Syrie dont certains maronites font preuve, il faut bâtir un Liban cohérent – pas seulement un supermarché des loisirs – où les fondateurs de la République libanaise se reconnaîtraient, un Liban dont seraient fiers nos ancêtres et nos enfants.
Du discours de l’opposition a soudain surgi le terme « partition ». On accuse la majorité de faire en sorte que l’opposition n’aurait d’autre choix que de désobéir aux pouvoirs publics. Et dans ce Liban où l’on parle de partition, on intimide, en paroles et en actes, et on assassine les députés, les diplomates et les journalistes… Comment expliquer tout ça ?
L’émergence...