Samir Geagea est catégorique. La « ligne rouge », c’est le vide constitutionnel. Pas question de laisser l’opposition torpiller la présidentielle et opérer un coup d’État. Ainsi, s’il n’y a plus d’autre option que l’élection à la majorité simple pour éviter le vide, le 14 Mars ira dans cette direction. Cependant, à L’Orient-Le Jour, le président du comité exécutif...
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Interview - « La seule ligne rouge est le vide constitutionnel », affirme le chef des Forces libanaises Samir Geagea : Il faut garder les chances d’un compromis avec l’opposition ouvertes jusqu’à la dernière minute
Par HAJJI GEORGIOU Michel, le 29 août 2007 à 00h00
Samir Geagea est catégorique. La « ligne rouge », c’est le vide constitutionnel. Pas question de laisser l’opposition torpiller la présidentielle et opérer un coup d’État. Ainsi, s’il n’y a plus d’autre option que l’élection à la majorité simple pour éviter le vide, le 14 Mars ira dans cette direction. Cependant, à L’Orient-Le Jour, le président du comité exécutif des Forces libanaises fait preuve d’ouverture, tout en restant ferme sur les positions de principe. Il réaffirme ainsi sa politique de la main tendue à l’opposition, au 8 Mars dans sa globalité, avec qui il souhaite épuiser tous les recours pour parvenir à un consensus, quitte à organiser l’élection présidentielle à la dernière minute, mais aussi au général Michel Aoun, qu’il appelle encore une fois à s’entendre avec les parties chrétiennes du 14 Mars sur un candidat commun « qui pourrait satisfaire tout le monde ».
D’emblée, sur la controverse au sujet du quorum, Samir Geagea affirme : « Nous n’avons pas décidé avec légèreté, comme cela, que le quorum était la majorité simple. De tout temps, l’ensemble des députés participaient à l’élection présidentielle. Il n’y a jamais eu de conflit à ce sujet, sauf quand les Syriens ont occupé le pays, parce qu’ils tentaient d’organiser des élections taillées à leur mesure. Sur le principe, il n’y a donc jamais eu de controverse sur cette question. Mais lorsqu’on se rend compte qu’il y a des tentatives palpables de torpiller la présidentielle à n’importe quel prix, et que la question du quorum sert de prétexte à cela, à ce moment-là, nous sommes obligés de dire que nous ne permettrons à personne de torpiller la présidentielle et que nous organiserons l’élection légalement. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour que non seulement les deux tiers, mais tous les députés, participent à la séance. Mais si certains, pour des raisons personnelles ou stratégiques, veulent saboter la séance, nous ne nous résignerons pas à leurs pressions exercées par le biais du quorum, d’autant que le texte de la Constitution ne prévoit pas explicitement un quorum de deux tiers. »
Le chef des FL se lève ensuite pour se procurer un exemplaire de la Constitution, auquel il se réfère abondamment. Selon lui, le constituant a explicitement spécifié les cas dans lesquels il voulait un quorum. Ainsi, l’article 34 se contente de stipuler que « la Chambre ne peut valablement se constituer que par la présence de la majorité des membres qui la composent légalement », tandis que l’article 79 stipule clairement que « la Chambre des députés, saisie d’un projet de loi constitutionnelle, ne peut valablement délibérer et voter que lorsque la majorité des deux tiers des membres qui la composent légalement se trouve réunie ». En revanche, l’article 49 stipule simplement que « le président de la République est élu au scrutin secret à la majorité des deux tiers des suffrages par la Chambre des députés. Après le premier tour de scrutin, la majorité absolue suffit ». « Il n’est donc pas question de quorum des deux tiers ici pour que la séance puisse tenir », précise M. Geagea.
« C’est vrai qu’il existe un usage autour du quorum des deux tiers. Mieux encore. Si, sur le plan politique, tous les députés ne sont pas présents, la séance reste chétive. Mais nous ne sommes pas devant le choix suivant : une séance en fonction du quorum des deux tiers ou de la majorité simple. Le choix qui pourrait s’offrir est soit d’élire un président à la majorité simple, soit ne pas élire du tout un président. Dans un tel cas de figure, nous choisirons d’élire un chef de l’État, même si c’est à la majorité simple. Le vide constitutionnel n’est pas permis », souligne-t-il.
Inverser le processus
du 14 Mars
Selon Samir Geagea, contrairement aux propositions énoncées par l’opposition, « le partenariat et le cabinet d’union nationale ne sont pas l’objectif recherché en réalité par le 8 Mars ». « Certains ont en tête de torpiller la présidentielle et c’est pour cela qu’ils font ce genre de propositions. Si un tel cabinet est formé, un cabinet au sein duquel ils auront nécessairement le tiers de blocage, ils torpilleront la présidentielle, et toutes les prérogatives de l’Exécutif seront concentrées au sein de ce gouvernement. Ils pourront aussitôt paralyser n’importe quelle décision de l’État. Pire encore, ils pourront démissionner à n’importe quel moment et nous nous orienterons alors vers le vide total et ce serait l’effondrement total », indique-t-il. Et de souligner qu’entre un transfert des prérogatives au Conseil des ministres et un président élu légalement, le 14 Mars est nettement en faveur de la deuxième option.
« Pourquoi, dans ses discours, le député Mohammad Raad suppose-t-il qu’on ne pourra pas élire un président ? En fait, c’est le scénario qu’ils préparent. Il y a une tentative d’inverser le processus événementiel en cours au Liban depuis mars 2005. Comment ? En sabotant toutes les institutions constitutionnelles. Ce qui leur permettait jusqu’à présent de freiner le phénomène du 14 Mars, c’était l’existence d’un président qui leur était favorable et qui possédait un rôle de blocage. Mais avec l’élection présidentielle, ils ne pourront plus le faire. C’est pourquoi ils vont essayer de bloquer par tous les moyens la présidentielle pour tenter d’inverser le cours des choses », note-t-il. Et M. Geagea de relever dans ce cadre que les derniers événements ont prouvé qu’il n’est pas vrai, comme le prétendent certains, que le président de la République a un simple rôle de figurant à l’ombre de Taëf.
Des actes de violence
en préparation
À ceux qui l’accusent d’œuvrer lui-même, avec Walid Joumblatt, en faveur d’un coup d’État, le chef des FL répond : « Nous appelons à l’élection dans les délais, en présence de tous les députés si cela est possible, et, sinon, en évitant à tout prix le vide constitutionnel, mais toujours d’une manière légale et constitutionnelle. Est-ce cela le coup d’État ? C’est la position du patriarche maronite. Celui qui appelle à un coup d’État, c’est celui qui œuvre d’ores et déjà pour torpiller la présidentielle. »
« Certains ne se contentent pas uniquement des tentatives politiques de sabotage. Certains commencent à s’armer et à préparer des actes de violence pour que, s’ils n’arrivent pas par les moyens politiques à torpiller la présidentielle, ils descendent dans la rue en force, comme ils l’ont fait le 23 janvier dernier. Qui serait, à ce moment-là, en train d’œuvrer en faveur d’un coup d’État ? » s’interroge-t-il. « Évidemment, il n’est pas question d’arriver au chaos. S’ils essayent d’empêcher la présidentielle, nous élirons un président et il n’y a pas lieu que cela mène à des incidents. L’État est là, l’armée et les forces de l’ordre assument leurs responsabilités. Durant toute cette période, le gouvernement et l’armée ont prouvé qu’ils feraient face à toute tentative de déstabilisation. Il y a un seul scénario où le pays pourrait connaître des affrontements, c’est si l’armée et les FSI ne remplissent pas leur devoir », souligne-t-il.
« Par ailleurs, nous allons essayer jusqu’au dernier moment d’œuvrer pour l’élection d’un président de consensus, mais c’est notre droit de dire que ce président de consensus ne doit pas être à l’image des présidents que nous avons eus durant les quinze dernières années. Nous voulons un président consensuel qui soit en bons termes avec toutes les parties et qui ait une certaine vision politique. Un président consensuel ne saurait être un technocrate. Le poste du président est politique par excellence : il faut donc un homme politique par excellence. On ne songerait jamais à un technocrate pour la présidence de la Chambre, par exemple ! »
Pour un accord avec Aoun
sur la présidence
« Le président Berry est-il consensuel ou pas ? Nous voulons un président de la République aussi consensuel que lui. Berry a été choisi au terme d’un verrouillage de sa communauté, puis accepté par les autres parties. Depuis deux mois, j’appelle publiquement et en privé, à travers des amis communs, le général Aoun à faire la même chose, poursuit Samir Geagea. Je l’appelle à une rencontre pour s’entendre sur un président qui puisse nous satisfaire à tous, d’abord en tant que chrétiens. Mais nous n’avons toujours pas eu de réponse. Pour le général Aoun, c’est lui à la présidence ou personne, parce qu’en dehors de lui, pense-t-il, personne ne pourra rien faire. Cette logique est fausse et inacceptable. Il y a beaucoup de personnes compétentes, et la personne qui pourra être efficace sera celle sur laquelle nous nous entendrons. Toute personne qui ne bénéficie pas de notre soutien ne pourra, en revanche, rien faire », ajoute-t-il.
Et de poursuivre : « S’il voulait être consensuel, comme il prétend l’être, le général Aoun aurait pu se positionner au centre, sans braquer contre lui autant de parties, surtout sur le plan chrétien. Il n’aurait pas dû adopter une politique et une stratégie qui vont à l’encontre de celles des autres chrétiens et des options historiques chrétiennes. Il aurait dû, dès le début, se mettre dans la peau d’un candidat consensuel, sans entrer dans des relations conflictuelles avec les uns et les autres. Si nous nous entendons entre nous sur un candidat, aucun de nos partenaires au plan national ne pourra nous dire non. »
Et le leader des FL de relever, par ailleurs, qu’à sa connaissance, « aucun des candidats du 14 Mars n’est prêt à faire de compromis sur quoi que ce soit ». « Tout candidat du 14 Mars qui ferait un compromis ne serait plus un candidat du 14 Mars, ajoute Samir Geagea. Il est certain que le 14 Mars s’entendra sur un seul candidat, d’ici à un mois, un mois et demi. Le mécanisme a clairement été développé lors des assises de Meerab. »
Maintenir toutes les chances
d’aboutir à une solution
Samir Geagea appelle l’opposition à faire montre d’une volonté réelle de dialogue : « Le 14 Mars est prêt. Mais nous ne percevons pas cette volonté de l’autre côté, jusqu’à présent. Il y a un candidat qui considère qu’il est le seul acceptable et qu’il ne discutera de rien d’autre. Et le Hezbollah et ses alliés n’acceptent qu’un candidat à l’image d’Émile Lahoud, ce qui est inacceptable pour nous, c’est-à-dire un candidat qui ménage leur stratégie, leur idéologie, et qui puisse couvrir une opération similaire à la guerre de juillet. Or ils ne peuvent pas nous imposer leurs vues, dès le départ. Il y a un processus de négociations qui doit suivre son cours. Nous n’avons aucune condition préalable à un retour au dialogue avec le 8 Mars. C’est là l’entrée en matière pour l’élection d’un président. Et, soyons clairs, l’option de l’élection à la majorité simple est le dernier recours pour éviter le vide. Nous maintiendrons toutes les chances de parvenir à une entente avec l’opposition jusqu’à la dernière minute. Si l’opposition ne se présente pas le 25 septembre à la séance, nous patienterons, nous attendrons qu’ils viennent et nous n’utiliserons pas notre droit constitutionnel d’organiser l’élection. Personnellement, je suis de cet avis. Nous ne devons pas fermer la porte à une solution, théoriquement. Il faut continuer à essayer. Les possibilités d’accord ne sont pas très grandes, mais il faut essayer. La seule ligne rouge, c’est le vide constitutionnel .»
« Je ne suis pas candidat »
C’est non sans ironie que, las de le répéter encore et toujours, le chef des FL affirme qu’il n’est pas candidat à l’élection présidentielle. « Je tiens à rassurer ceux qui sont inquiets, pour la millième fois, je ne suis pas candidat à la présidence », dit-il.
« Avant de retourner au sein du 14 Mars, Aoun doit retourner au CPL »
Selon Samir Geagea, il est possible d’aboutir à un projet d’entente avec le Hezbollah. « Mais cela doit prendre le temps qu’il faut. L’histoire doit prendre le temps de s’accomplir », dit-il.
Il pense toutefois que « le 8 Mars est un assemblage de partis fondés sur des contradictions », alors que « le 14 Mars possède une vision, est uni autour de la souveraineté et de l’idée de l’État ». « L’on se retrouve spontanément autour de constantes au sein du 14 Mars. Quelles sont les constantes du 8 Mars, qui a prouvé à plusieurs reprises que chaque partie avait des positions différentes ? Le rejet de l’État ? La haine ? Tout cela est négatif, non constructif. Ils n’iront nulle part. Ce qui est uni par le négatif finit par du négatif. Le 8 Mars est un projet qui est antipolitique, contrairement au 14 Mars », dit-il.
« Avec le CPL aussi, il y a des possibilités. Mais nous disposons de moins de temps avec lui pour parvenir à une formule d’entente qu’avec le Hezbollah. Le temps presse », poursuit M. Geagea.
Partage-t-il le point de vue de Walid Joumblatt, selon qui le général Aoun doit déchirer le document d’entente avec le Hezbollah pour pouvoir réintégrer les rangs du 14 Mars ? « Avant d’appeler le général Aoun à regagner les rangs du 14 Mars, je l’appelle à retourner au Courant patriotique libre », souligne Samir Geagea.
Qu’en est-il enfin de ces accusations lancées par le général Aoun selon lesquelles Walid Joumblatt et lui œuvrent pour la partition du pays ? « Le général plaisantait à mon avis. Il ne faut pas toujours le prendre au sérieux. Il sait très bien quel est notre projet, depuis deux ans. D’ailleurs, cela est visible. Notre projet est celui de l’État et du monopole de la violence légitime, pour en finir avec l’ère des milices. Nous œuvrons pour cela, plus que lui. Je pense qu’il n’est pas sérieux. Ce qui est sympathique, c’est qu’il affirme d’habitude que les chrétiens sont marginalisés et qu’ils sont menés par les sunnites, et voilà que maintenant, ce sont les chrétiens qui entraînent les sunnites vers la partition. Dans ce cas, le général devrait être rasséréné, content. Dans cette logique, les chrétiens ne sont plus marginalisés, ils sont devenus des meneurs... »
Michel HAJJI GEORGIOU
Samir Geagea est catégorique. La « ligne rouge », c’est le vide constitutionnel. Pas question de laisser l’opposition torpiller la présidentielle et opérer un coup d’État. Ainsi, s’il n’y a plus d’autre option que l’élection à la majorité simple pour éviter le vide, le 14 Mars ira dans cette direction. Cependant, à L’Orient-Le Jour, le président du comité exécutif...
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