ENTRETIEN - L’évêque éparchial des maronites du Canada insiste sur l’urgence du dialogue
Mgr Joseph Khoury : « Au Liban, le problème de base réside dans le manque de confiance »
« Une fois au pouvoir, il faut gouverner au nom de la nation, et non de la confession », souligne le prélat
Montréal, de Amal Khoury
Il n’a jamais été facile de parler de religion. C’est un domaine à risque. Délicat également de parler d’identités. Amin Maalouf les a qualifiées de meurtrières. Mgr Joseph Khoury a parlé de l’une et de l’autre, vu son expérience d’évêque de la diaspora sur les continents européen et américain. D’abord visiteur apostolique pour les maronites d’Europe puis évêque éparchial des maronites du Canada, titulaire de la chaire d’enseignement de philosophie islamique à Rome puis professeur de droit canon au Canada, il propose une solution simple qui pourrait paraître simpliste : le dialogue. Il y a ceux qui ont tourné la page définitivement et que la nostalgie dérange. Il y a ceux qui, lorsqu’ils doivent composer avec des réalités différentes, trouvent que le compromis est compromission, le dialogue faiblesse, que seul prévaudra le langage de la force. Il y a ceux qui, comme Mgr Khoury, trouvent l’accent juste ou du moins essaient une solidarité sans repliement, une ouverture sans reniement. Entretien à bâtons rompus avec un pèlerin de la paix et de l’entente.
Q – Vous êtes actuellement évêque éparchial des maronites du Canada, appellation réservée aux diocèses de l’Église orientale dans des pays où la tradition de l’Église latine est prédominante. Auparavant, vous étiez visiteur apostolique des maronites en Europe. Pourquoi cette dissociation ?
R – « L’Église catholique est une et universelle. Il n’est pas question de s’en dissocier, de vivre en tant que libanais ou en tant que chrétien oriental d’Orient dans une sorte de ghetto moral ou de fait. Reste à savoir ce qui, en 2007, définit un Libanais, ou un Français, ou disons un européen. Qu’es-ce qu’un chrétien de nos jours ? Il ne faut pas vouloir se fondre à tout prix en négligeant de voir ce qu’un héritage particulier peut et doit offrir à la collectivité nouvelle. Tout en demeurant soi-même, il conviendrait de tisser un métissage nouveau dans la vieille trame offerte. Une identité bien vécue et bien comprise constitue un enrichissement ».
Q – Elle ne serait pas nécessairement meurtrière ?
R – « L’identité relève de l’essence de la personne. Mal vécue, sujette à des tiraillements, elle risque de le devenir. »
Q- Les conflits qui font rage actuellement au Proche-Orient ont marginalisé les chrétiens vivant dans cette partie du globe. Que représente l’islam pour vous en tant que représentant d’une communauté orientale chrétienne ?
R – « Une autre tradition spirituelle. Il est évident que le contexte politique ambiant n’a rien de rassurant pour les chrétiens. Je ne pense pas toutefois qu’il y ait une volonté politique claire de les évincer. Les Églises d’Orient en harmonie avec leurs traditions séculaires exhortent toujours à vivre ensemble et à être ensemble si “ l’on veut être ”. Vivre à côté ne suffira plus. Il faut se sentir concerné par l’autre. Il faut se rassurer mutuellement. L’intégrisme est aux aguets, prêt à faire main basse sur la vérité. »
Q - Comment faire pour contrer l’exode des chrétiens du Liban, et plus particulièrement des jeunes ?
R – « Les rassurer. Le Libanais a toujours été un grand voyageur, un migrant. La guerre de 1975 a précipité la cadence, l’instabilité politique actuelle l’a propulsée à des niveaux insoupçonnés. Y a-t-il moyen de renverser la vapeur et de rassurer ?
En m’accueillant en juin dernier après la clôture du Synode des évêques qui se tenait à Rome, le Souverain Pontife, dans un intérêt manifeste au drame libanais, m’a demandé ce qui à mon avis pouvait être fait pour aider le Liban .
À mon avis, il est impératif, en priorité, à très court terme, de freiner le pourrissement de la situation. Le désespoir guette et mine la résistance. Par la suite, à plus longue échéance, pratiquer une politique d’immersion tous azimuts de toutes les autorités morales de la région, y compris les nonces apostoliques, en vue de la solution du problème libanais. L’Église catholique de son côté, de par la mission universelle investie en elle par Notre Seigneur Jésus-Christ, devrait étendre son réseau social et éducatif pour inclure tous les Libanais. La formation du clergé ne devrait plus se cantonner aux seuls domaines théologique et spirituel, mais introduire la notion de service de tout le peuple. Raisonner dorénavant en nation et non en confession, je ne le répéterai jamais assez. Pour retenir les jeunes au pays, l’Église doit faire preuve d’esprit entreprise en investissant dans des projets nouveaux de nature à les garder sur place. Et pour apaiser suspicions et suppositions, quoi de mieux que de dialoguer ? »
Q- Au Québec, vous êtes considéré comme une référence en matière de dialogue islamo-chrétien. Comment faire pour le réussir ?
R- « Je ne suis ni une référence ni un oracle. Je n’ai pas de recette miracle, mais la conviction intime, confortée par l’expérience et le contact avec les autres, que la méfiance est source de malentendus. Au Liban, le problème de base réside dans le manque de confiance, les uns pensent sécurité, les autres pensent hégémonie. Plutôt que d’avoir en tête des arrière-pensées, il vaut mieux se parler et clarifier la situation. L’ignorance est un fléau, elle conduit à la violence qui, à son tour, n’amènera que destruction. Certains épisodes de l’histoire de l’humanité en sont un triste témoignage. Œil pour œil, dent pour dent, à ce train, nous finirons tous aveugles. Autant dialoguer pour éviter la cécité. Le dialogue est réalisation, il éclaire, il n’aveugle pas. »
Q – Seriez-vous prêt à un Liban non confessionnnel ?
R – « Le pacte national a consacré la volonté de vivre ensemble, exprimée par les communautés en présence. Jusqu’à présent, la confession a constitué une exigence pour occuper certains postes. Utilisée d’abord comme plate-forme, la confession doit par la suite céder la priorité aux intérêts de la collectivité. Une fois au pouvoir, il faut diriger au nom de la nation et non pas de la confession.
Les nations ont après tout le sort qu’elles se font. Il faut changer de mentalité, passer de l’appartenance confessionnelle à l’appartenance nationale, constituer une société de “méritocrates”. La nation reste à reconstruire, une nation véritable où serait inculqué l’amour du pays, de chaque pouce du territoire, où serait édifié un lien de confiance entre ses diverses composantes. À partir du moment où la confiance règne, qu’aucune suspicion ne règne sur le patriotisme de l’un ou de l’autre, le pays serait spontanément confié à celui qui serait le plus apte à gouverner. »
Q - Comment dépeignez-vous la présence maronite au Canada ?
R – « Un essaimage répondant à des besoins spécifiques suivant la période où il avait lieu. Toutefois, le Libanais n’est pas un nomade dans la société d’accueil. Il n’est pas non plus un déraciné. Il s’adapte mais n’oublie pas. Nous avons là un phénomène obligatoire de double allégeance. Certains ont quitté et souhaiteraient revenir. C’est leur droit, le droit au retour est inaliénable. La patrie a l’obligation de les accueillir. »
Q - Quelles sont les difficultés auxquelles l’Église de la diaspora fait face ?
R - « Au Canada, il y a d’abord l’obstacle de la langue. Les jeunes parlent peu ou prou l’arabe. Le meilleur moyen de communication reste bien entendu la famille ainsi que le lieu de rassemblement. La très belle cathédrale Saint-Maron a créé un lieu de culte et de culture qui faisait défaut auparavant.
L’Église du Canada a besoin de forces nouvelles, car “la moisson est grande et il y a peu de moissonneurs”. On a besoin de prêtres instruits, connaissant les langues pratiquées dans le pays d’accueil et les conditions de vie qui y prévalent. Je souhaiterai que les recommandations du synode patriarcal de 2006 traçant un plan de renouveau dans tous les domaines soient appliquées et que les ressources financières soient acheminées lorsqu’il le faut vers les pays où le besoin se fait sentir, d’autant plus que le nombre de maronites à l’extérieur du Liban est supérieur à ceux qui sont restés. Combien y en a-t-il exactement ? Jusqu’à présent, on n’a pas de recensement fiable. C’est une préoccupation, un manque qu’il faut pallier. »
Q - Tout pays a besoin de sacré. Nous n’en avons pas. Nous avons besoin d’une icône. En quoi consiste une icône? Qui en aurait l’étoffe ?
R – « L’homme recherche continuellement son épanouissement. Les religions appellent à une réalisation complète et harmonieuse de l’individu. De nos jours, les idoles sont nombreuses, faciles à trouver et à adorer. Curieusement, dans une société de consommation à outrance, le renoncement à cette frénésie est admiré. Croyez-moi, ce ne sont pas les frasques d’une starlette qui forcent le respect ou l’admiration, mais la générosité d’humanistes capables de se défaire de leur fortune personnelle pour le bien-être d’un continent. Le monde a besoin de gestes concrets qui forcent l’admiration, encore plus de Mère Teresa, d’Abbé Pierre, de Gandhi. Le Liban a besoin d’hommes et de femmes icônes qui justifieraient la phrase de Pierre sur le mont Tabor : “Rabbi, il est bon que nous y soyons. Dressons ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, une pour Elie.” Le Liban devrait être ce pays tridimensionnel avec la compétence, le mérite et l’honneur comme assises, un pays où il ferait bon vivre. Ne trouvez-vous pas ?»
« Une fois au pouvoir, il faut gouverner au nom de la nation, et non de la confession », souligne le prélat
Montréal, de Amal Khoury
Il n’a jamais été facile de parler de religion. C’est un domaine à risque. Délicat également de parler d’identités. Amin Maalouf les a qualifiées de meurtrières. Mgr Joseph Khoury a parlé de l’une et de l’autre, vu son expérience...
Les plus commentés
Comment, en restant au Liban-Sud, Israël ferait le jeu du Hezbollah
Ministère des Finances : ce qu’en disent Taëf et la Constitution
Israël ne se retirera pas : que fera l'État libanais et, surtout, le Hezbollah ?