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Actualités - OPINION

PERSPECTIVE Le leader face à la mission du journaliste Michel TOUMA

Les Services spéciaux français – ce qui allait devenir plus tard la DGSE – étaient dirigés durant les années 70 par une personnalité d’une envergure et d’une stature peu communes : Alexandre de Marenches. Il raconte dans ses Mémoires que lorsque le président Georges Pompidou le nomma directeur général des Services spéciaux, en 1970, l’une des premières consignes qu’il s’est entendu dire de la part du chef de l’État était que les bonnes nouvelles ne l’intéressaient pas outre mesure et qu’il appréciait surtout les mauvaises. Et Alexandre de Marenches de souligner que l’une des choses qu’il avait apprises dans la vie était la différence entre un homme d’État et un homme politique : seul l’homme d’État sait encaisser les mauvaises nouvelles (et a fortiori les critiques) alors que l’homme politique les craint du fait qu’il est avant tout un marchand de bonnes nouvelles. De Marenches relevait aussi dans ce cadre que « la plus grande difficulté du directeur général c’est qu’il ne doit jamais chercher à plaire ». Ces propos d’Alexandre de Marenches sur ce que devrait être la nature des rapports entre un dirigeant politique et un haut responsable en charge d’un organisme étatique peuvent aussi être applicables, en extrapolant quelque peu, aux relations qui devraient exister entre un journaliste et les hommes politiques. Lorsqu’un journaliste se complaît à vouloir, uniquement, plaire aux leaders en place, quel qu’ils soient, c’est qu’il s’est départi de sa mission. Et inversement, lorsqu’un haut responsable attend du journaliste qu’il écrive seulement ce qui est susceptible de lui plaire, c’est qu’il commence à menacer dangereusement les fondements du système démocratique. L’une des missions et l’une des principales qualités requises d’un journaliste c’est d’avoir un esprit critique, de dénoncer ce qu’il perçoit comme des égarements, des dérapages. Cela devrait s’appliquer d’ailleurs à tout citoyen soucieux de la chose publique. Car se cantonner à faire preuve de suivisme aveugle, sans aucun esprit critique, à l’égard d’un parti, d’un leader ou d’un responsable, quels qu’ils soient, reviendrait à glisser sur la pente raide de l’autocratie et de la pensée unique fascisante. Dans le cas particulier du Liban, rares sont les ténors de la vie politique qui semblent avoir saisi la dimension véritable de la mission d’un journaliste et assimilé l’importance, et la nécessité, de l’esprit critique. Ainsi, à titre d’exemple, depuis plusieurs semaines, le chef du CPL ne rate aucune occasion de s’attaquer aux journalistes et aux médias qui ne partagent pas aveuglément ses vues. Il a même été jusqu’à dénoncer ce qu’il a qualifié de « pression intellectuelle » à laquelle il dit être soumis de la part des « médias dirigés qui sèment le trouble dans les esprits ». Le chef du CPL affirme également que « les médias sont devenus un outil d’agression et de guerre contre le public et sa conscience ». Il s’est toutefois abstenu de préciser s’il incluait aussi dans ce jugement les médias relevant de son principal allié, le Hezbollah… Ce dérapage de la part du chef du CPL est d’autant plus surprenant que le jour même de son retour d’exil, le 7 mai 2005, il avait déclaré haut et fort, en substance, à l’adresse de la foule enthousiaste venue l’accueillir à la place des Martyrs : « Si un jour vous estimez que je suis dans l’erreur et que mon comportement contredit mes principes, vous devez venir me le dire. » Mais il y a loin de la coupe aux lèvres… Il est malheureux en effet de constater qu’en dépit de la grave crise nationale et existentielle qui secoue le pays, le chef du CPL et certains députés de son bloc parlementaire ne paraissent supporter aucune critique. Et pourtant, les causes d’une critique (constructive et de bonne foi) sont loin d’être négligeables tant au niveau des alliances, que de la ligne de conduite, des options ou du discours du CPL ces derniers mois. La mission d’un journaliste est précisément d’assurer cette fonction démocratique de reddition de comptes, d’assumer le rôle d’observation, de « contrôle » de la vie publique en vue de défendre certaines valeurs, certains idéaux. Sa mission est de dénoncer toute atteinte aux pratiques démocratiques et, surtout, tout comportement politique qui constituerait une déviation par rapport à des valeurs et des idéaux dépassant le cadre politicien. Faire obstruction à une telle mission reviendrait à mettre en danger les fondements mêmes d’un système, des traditions et des pratiques qui sont la raison d’être du Liban. Lorsqu’un responsable politique n’apprécie pas les « mauvaises nouvelles » ou les critiques, lorsqu’il n’est pas en mesure d’assimiler qu’un journaliste n’a pas pour mission de « chercher à plaire », pour reprendre les termes d’Alexandre de Marenches, il se porte inévitablement préjudice à lui-même, à plus ou moins moyen terme. Car débarrassé ainsi de cette fonction vitale de reddition de comptes, il ne tardera pas à se laisser piéger, tôt ou tard, par la tentation de la dérive autocratique.
Les Services spéciaux français – ce qui allait devenir plus tard la DGSE – étaient dirigés durant les années 70 par une personnalité d’une envergure et d’une stature peu communes : Alexandre de Marenches. Il raconte dans ses Mémoires que lorsque le président Georges Pompidou le nomma directeur général des Services spéciaux, en 1970, l’une des premières consignes qu’il...