L’enjeu et l’approche de l’échéance présidentielle soulèvent, au sein de la frange chrétienne et plus précisément maronite, une rivalité à deux faces. Qui, du reste, se confondent dans certains cas. À savoir, d’un côté la compétition entre les multiples candidats, potentiels ou déclarés. Et de l’autre côté, le challenge entre pôles de premier rang au sujet du leadership chrétien.
C’est ainsi que l’on voit s’affronter deux volontés majeures. D’une part Samir Geagea, au sein du camp du 14 Mars. Et en face, classé dans l’opposition bien qu’il s’en défende, le général Michel Aoun. Chacun d’eux tente d’avoir un mot décisif à dire dans le choix du prochain président. La différence étant que l’un ne s’aligne pas sur les rangs des partants, tandis que l’autre souhaite ouvertement gagner lui-même la course.
Chacun soutient, en termes choisis, qu’il a la rue chrétienne largement pour lui. En fait, si l’on se réfère au test de la partielle du Metn, elle est assez paritairement partagée. Ce qui d’ailleurs est à l’avantage des loyalistes. Puisque jusqu’à cette épreuve, le CPL prétendait contrôler non moins des 70 % de l’électorat chrétien.
Appelant les protagonistes à faire montre de réalisme, à comprendre que les forces s’équilibrent et se neutralisent, nombre de modérés leur conseillent vivement de s’entendre plutôt que de continuer à s’affronter, en assurant de la sorte la présidentielle, et la présidence, que, naturellement, tout maronite tient à cœur. Le message se généralise d’ailleurs à toutes les fractions locales, invitées à accorder leurs violons autour d’un président de consensus.
Là où cela grince un peu, c’est quand ces modérés défendent le principe d’une participation de tous au choix de l’élu virtuel. Ils soutiennent qu’il est inadmissible, dans un pays fusionnel par vocation, qu’une communauté s’arroge le privilège de désigner seule le président censé la représenter au pouvoir. Or cette logique, que l’on souhaite donc appliquer pour l’élection d’un président de la République maronite, est battue en brèche par le double exemple chiite et sunnite. On sait en effet que les premiers ont pu désigner Berry et les deuxièmes Siniora sans demander l’avis de personne.
S’il est vrai que le système s’apparente à un confédéralisme larvé, il faut, pour en sortir, appliquer à tous une même règle de concertation impérative. Ou alors promouvoir, comme certains tentent de le faire, l’idée de blocs, de regroupements à caractère national plutôt que communautaire. Incluant, comme jadis le Bloc national et le Destour, des pôles de toutes confessions comme de toutes régions.
Mais on est loin, très loin, d’un tel idéal civique ou démocratique. Avec les emprises monopolistiques que l’on sait, ces pulsions unificatrices ne sont qu’une vue de l’esprit, un pieux souhait sans plus.
Il n’empêche qu’en soi l’escalade sur fond de défi intracommunautaire n’est certainement pas une bonne chose. Et les modérés en question, qu’ils soient loyalistes ou opposants, n’ont sans doute pas tort de critiquer les rencontres tensiomètres antagonistes de Meerab et de Rabieh. Ils notent qu’il serait préférable d’instaurer un débat national, et non pas en vase clos. Car la présidence concerne tous les Libanais dont le chef de l’État, pour maronite qu’il soit, doit symboliser l’unité.
Plusieurs lièvres à la fois
Sur le plan concret et tactique, certains des pôles rassemblés à Meerab tentent de mettre en lice plusieurs candidats aux fins d’engager une négociation sur la sélection définitive à divers niveaux : avec les parties étrangères influentes comme avec le camp local d’en face. Ils estiment que nul n’a le droit d’opposer son veto à une candidature quelconque. Pour ces cadres, la bonne façon de procéder serait que la majorité prépare une liste de candidats plausibles, que l’opposition fasse de même et qu’ensuite elles fassent ensemble le tri. Pour parvenir à un nom d’entente. Ou encore à une poignée de noms parmi lesquels la Chambre choisirait l’élu.
Mais, on le sait, l’opposition radicale pratique encore une fois l’abstinence. Tout comme pour ses amendements au statut du tribunal, qu’elle n’a jamais voulu révéler, elle se refuse à dire officiellement quel est son candidat. Ou sa liste de candidats, ou encore les noms qu’elle admettrait comme pouvant constituer un compromis valable. Ni le Hezbollah ni Amal ne déclarent qu’ils font campagne pour Aoun. Le 8 Mars s’obstine à exiger, avant d’ouvrir la bouche sur la présidentielle, la mise en place d’un cabinet dit d’union, avec tiers de blocage à son propre profit.
Il est vrai qu’adoptant une position plus souple, le président Berry et d’autres acceptent qu’on planche sur la présidentielle. Mais en insistant, eux aussi, pour qu’il y ait au moins simultanéité avec le traitement de la question ministérielle. Et sans dire comment ils voient en pratique une telle concomitance.
Il reste que l’attentisme opposant n’est pas vraiment déraisonnable. Dans ce sens qu’en réalité la présidentielle libanaise reste largement conditionnée par des développements régionaux et internationaux qui ne se sont pas encore décantés. En d’autres termes, il faudra surtout voir ce que le régime syrien et Washington vont faire par rapport au volet libanais. Ensemble, comme en 1988, ou l’un contre l’autre.
On peut également estimer que l’évolution du dossier du nucléaire iranien, ainsi que le dialogue irano-américain sur l’Irak, peuvent avoir d’importantes répercussions sur la présidentielle libanaise. Notamment du côté de la position du Hezbollah. Dont certains cadres avouent ainsi en privé qu’ils attendent que quelque chose se produise, ou se clarifie, vers le milieu du mois prochain. Il semble que, dans le même ordre d’idées, le président Berry ait décidé de geler pour le moment l’initiative dont il a parlé. Tout en continuant à la préparer par de discrets contacts tant avec les médiateurs étrangers qu’avec diverses parties locales.
L’option généralement envisagée étant un président de consensus largement admis par les communautés musulmanes. Un président dont le profil communautaire serait donc estompé, mais répondant aux critères qu’établit Bkerké, que Berry doit visiter au retour du patriarche de son voyage à Rome.
Philippe ABI-AKL
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