HOMMAGE - Son buste en bronze trône désormais à Ghazir
Ernest Renan, un visionnaire amoureux de l’Orient
le 22 août 2007 à 00h00
C’est en présence de nombreuses personnalités françaises et libanaises que le buste en bronze, signé Bassam Kyrillos, de l’éminent écrivain, philosophe et archéologue Esrnest Renan a pris sa place, samedi, dans le village de Ghazir où il a séjourné en 1861.
En effet, on notait la présence du maire de Tréguier (ville natale de Renan), M. Patrick Toularastel, de son assistant Philippe Chatelain, des représentants de l’Association des amis de Renan, de Mme Charlotte Klinowski, représentant l’ambassadeur de France M. Bernard Émié. Étaient également présents : M. Ibrahim Haddad, président de la municipalité de Ghazir, accompagné des membres du conseil municipal ; des personnalités politiques libanaises, des hommes de lettres ainsi qu’une foule nombreuse de la localité et d’ailleurs venue honorer ce grand homme.
C’est Charbel Matta, professeur à l’Université de Bordeaux, qui a présenté la manifestation et les intervenants qui ont évoqué la vie et l’œuvre de Renan.
Charlotte Klinowski a insisté sur les relations franco-libanaises qui s’affirment de jour en jour sur plus d’un plan, évoquant le soutien français aux projets culturels libanais, concluant par cette question posée par Renan lui-même : « Qu’est-ce qu’une nation ? »
La réponse devait être donnée par le président de l’Association des amis de Renan : « Il s’agit de la volonté de vivre ensemble », toujours d’après Renan…
Sur le thème « Réhabiliter le souvenir de Renan dans la mémoire de Ghazir », Me Hyam Mallat devait d’abord s’adresser « au président de la municipalité de Ghazir et au maire de Tréguier pour leur belle initiative d’unir leurs efforts pour honorer la mémoire d’Ernest Renan dans cette belle localité de Ghazir. Ils sont en effet tous deux dépositaires d’un patrimoine culturel et humain dont peuvent doublement s’honorer le Liban et la France tant il est vrai aussi que ce patrimoine forgé entre nos deux pays depuis tant de siècles est redevable à des hommes comme Renan et bien d’autres ». Avant de développer son sujet dont nous reproduisons un bon résumé.
« Au cours du dernier quart du XXe siècle et de cette première décennie du XXIe siècle, le Liban a attiré l’attention du monde par des guerres qu’un peuple, innocent des malheurs des uns et coupable de ses propres bontés, a supportées, pour le compte des autres, sur son propre territoire. Il n’en demeure pas moins que ce pays – qui recoupe la majeure partie de l’antique Phénicie — a connu, au cours des siècles, une existence chargée d’histoire dont témoignent largement les multiples vestiges imposants et révélateurs sur son sol. Ce Liban, porte de l’Orient, a commencé à attirer les écrivains français dès le XVIIe siècle, mais jusqu’au XIXe siècle, les ouvrages publiés avec Lamartine, Flaubert, Nerval… qui font connaître, au grand public, le Liban et ses problèmes, ses sites et leur histoire, sont surtout d’ordre littéraire. La connaissance scientifique du Liban archéologique et historique restait à faire. Et ce fut à Ernest Renan qu’incomba la première mission scientifique sur le sol de la Méditerranée orientale, inaugurant ainsi dans l’école archéologique française un immense cycle de travail qui s’est poursuivi au cours de la fin du XIXe siècle avec De Vogüé, Waddington et Rey et, depuis 1920, par les publications et les fouilles de l’Institut français d’archéologie et de la Direction générale libanaise des antiquités depuis 1933. Dans cette vaste entreprise de recherches et de réflexions, l’œuvre d’Ernest Renan publiée dès 1864 sous le titre Mission de Phénicie constitue un monument considérable et un témoignage éminent pour des raisons relevant tant de la personnalité de l’auteur dans la France du XIXe siècle que de l’immense travail archéologique, architectural et culturel mené principalement sur le territoire de l’antique Phénicie… Ce que je voudrais dire ici plus particulièrement et rapidement, c’est qu’au-delà du travail archéologique et scientifique, l’intérêt même de cette mission de Renan réside dans la réflexion même de l’écrivain sur l’Orient, ses modèles culturels et ses comportements. Sans vouloir analyser l’ensemble de l’œuvre de Renan, on ne peut que constater l’influence de la phase libanaise sur sa vie scientifique et intellectuelle. Sur le plan personnel, il est certain que cette année passée par Renan dans le Liban de 1860 et à Ghazir en particulier a constitué pour lui une expérience humaine et scientifique de premier plan. La découverte du monde oriental lui a permis de visualiser le cadre physique et les sites que Jésus a parcourus et le lieu d’expansion du christianisme. Les Origines du christianisme — outre la Vie de Jésus qu’il écrivit à Ghazir – a été marqué par sa connaissance précise de ces lieux dont la vision, en l’état où ils étaient encore au temps du Christ, a fait de nombre de pages de l’œuvre ultérieure des témoignages vivants et réalistes du christianisme des premiers temps. L’esprit de Renan a été profondément remué par la foi et la poésie des hauts lieux du christianisme. En somme, n’était-ce la Mission de Phénicie, il y aurait lieu de s’interroger sur bien des pages de l’œuvre ultérieure de Renan, d’autant plus que cette œuvre représente, d’une part, la quintessence de sa formation scientifique théorique et, d’autre part, le point de départ de ses œuvres de grande maturité. Et c’est pourquoi il est bien agréable de voir réhabiliter ce soir le souvenir de Renan dans la mémoire de Ghazir…»
Le génie d'un petit peuple
Lui-même archéologue, le Dr Hareth Boustany devait commencer son intervention par cette réflexion de Rudyard Kipling : « L’Orient est l’Orient et l’Occident est l’Occident, et ils ne se rencontreront jamais », avant de poursuivre son analyse dont nous reproduisons ci-dessous de larges extraits.
« Si Kipling a voulu dire que ces deux régions se distinguent chacune par ses goûts, ses origines et ses conceptions sociales de la vie, il a eu raison. En effet, elles ont hérité des différences idéologiques et traditionnelles remontant dans le temps jusqu’à l’aube de l’histoire ; par conséquent, elles n’auront jamais les mêmes critères pour porter les mêmes jugements sur les êtres et les choses. Mais l’Orient et l’Occident se sont souvent rencontrés sur les champs de bataille tout d’abord, puis autour des tables de négociations. Ces rencontres ont débouché sur des prémisses de dialogue qui ont évolué en Occident pour donner ce grand mouvement humaniste que l’on appelle l’orientalisme. Cet orientalisme n’a cessé depuis de prendre de l’ampleur et de se développer. Malheureusement pour l’Orient, ce mouvement est resté à sens unique. La curiosité positive de l’Occident en ce qui concerne les cultures orientales n’a pas été payée de retour. La connaissance de l’autre était restée sans écho. J’en veux pour preuve la sémantique que les peuples de ces deux régions ont donnée au terme géographique qui les distingue… En ce dix-neuvième siècle donc, toute l’Europe et le Nouveau Monde n’ont d’yeux que pour les civilisations orientales. Les fouilles archéologiques et les recherches historiques vont bon train à tel point que certains savants commencent à se poser des questions dans des ouvrages de haute tenue scientifique. À qui donner la primauté, à L’Orient ou à Rome ? (Orient oder Rome ?) ou encore La lumière vient de l’Orient (Ex Oriente lux), à savoir que toutes les civilisations sont tributaires de cet Orient convulsif. C’est dans ce climat scientifiquement tumultueux qu’Ernest Renan va entamer sa mission en Phénicie. Il faut dire que le commanditaire de cette mission, Napoléon III en l’occurrence, avait des choses à faire pardonner à la France quant à sa politique de ces vingt dernières années à l’égard du Liban. Dès son élection en 1848, il avait envoyé un émissaire à Béchir II, exilé en Turquie, lui proposant de le ramener au Liban et en s’excusant implicitement de la politique lâche et timorée de Louis-Philippe et de Guizot qui a valu au Liban 20 ans de misères, de destructions et de massacres. L’émir Béchir, allant sur ses 80 ans, déclina l’offre. Les massacres de 1860 allaient fournir à l’empereur l’occasion de se racheter politiquement et culturellement. Ernest Renan, qui s’était spécialisé dans les langues et les peuples sémitiques, était l’homme de la situation. Lui qui était dans la lignée des libres penseurs du Siècle des Lumières s’était beaucoup intéressé aux Phéniciens. Déjà Voltaire et Diderot dans l’Encyclopédie avaient parlé en termes dithyrambiques du génie de ce petit peuple qui avait inventé l’alphabet et conquis le monde pacifiquement. Diderot avait poussé le souci du respect de l’histoire et l’exigence de la vérité jusqu’à reconnaître à Pythagore le théoricien de la notation musicale, entre autres œuvres de génie, sa filiation sidonienne. Favorablement influencé par ces grands maîtres, Renan n’hésita pas à accepter cette mission qui, croyait-il, était de nature à le réconcilier avec les Sémites qu’il n’appréciait que modérément. Il arriva donc au Liban sur un navire de guerre, le Colbert, à la fin de l’année 1860. Il se mit tout de suite à l’ouvrage. Ce qui l’intéressait le plus naturellement c’étaient les sites de Tyr, de Sidon, d’Arwad et surtout de Byblos. Ces villes étaient les plus citées dans les Textes anciens. C’étaient les métropoles qui avaient d’une façon ou d’une autre infléchi le cours de l’histoire de l’humanité. Tyr, la bâtisseuse d’empire, Sidon, pépinière de savants et de philosophes, Byblos, mère de l’architecture, de l’alphabet et du monothéisme, et Arwad, l’île qui inventa les maisons à plusieurs étages. Renan n’a-t-il pas dit des sources d’Afqa, haut lieu du culte d’Adon,“ c’est le plus beau site du monde”. Pour l’aider dans ses recherches, Renan trouva sur place Alphonse Durighello, agent consulaire français à Sidon, et un médecin, Joseph Charles Gaillardot, qui avait servi en Égypte sous Mehemet Ali et avait accompagné Ibrahim Pacha au Liban. Il y resta après la débandade de 1840 et s’adonna à ses deux passions : l’archéologie et la botanique. Renan, ne pouvant être partout à la fois, confia la supervision des chantiers de fouilles aux deux hommes et parcourut le Liban de la côte à la montagne à la recherche de vestiges. Les mauvaises langues disent à “caractère indo-européen ”. Ces travaux préliminaires mis en route, il s’installa à Ghazir où il s’attaqua à deux de ses plus grandes œuvres : Mission de Phénicie et la Vie de Jésus. Mission de Phénicie devint le livre incontournable pour étudier les cultures du Proche-Orient. On y remarque tout de suite que Renan avait beaucoup d’admiration et de respect pour le peuple phénicien. Mais, malheureusement, l’approfondissement de ses études phéniciennes ne le réconcilie pas avec les autres Sémites. Sa vaste connaissance de ces peuples lui donna une vision prémonitoire de l’avenir de la région du Proche-Orient tout entière et du Liban en particulier. »
Et Boustany de lire deux phrases tirées de deux textes illustrant ainsi ses propos.
C’est en présence de nombreuses personnalités françaises et libanaises que le buste en bronze, signé Bassam Kyrillos, de l’éminent écrivain, philosophe et archéologue Esrnest Renan a pris sa place, samedi, dans le village de Ghazir où il a séjourné en 1861.
En effet, on notait la présence du maire de Tréguier (ville natale de Renan), M. Patrick Toularastel, de son assistant...
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