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Le procès du seul officier américain poursuivi s’ouvre aujourd’hui À Abou Ghraib, les mauvais traitements étaient « codifiés », estime une experte

Le procès du colonel Steven Jordan, le seul officier américain poursuivi après le scandale des sévices infligés à des prisonniers à la prison d’Abou Ghraib en Irak, doit s’ouvrir aujourd’hui devant une cour martiale à Fort Meade (Maryland, Est). Plus de trois ans après la publication des photos montrant des prisonniers irakiens humiliés par leurs gardiens américains, seulement une poignée de soldats ont été jugés (et condamnés à des peines allant de quelques heures de travaux d’intérêt général à 10 ans de prison), et aucun des hauts responsables civils et militaires de la défense n’a été poursuivi. Mais parmi les gradés de haut rang, seule la commandante des prisons américaines en Irak à l’époque, l’ex-général Janis Karpinski, a été sanctionnée par une rétrogradation, sans passer devant la justice militaire. Retournée à la vie civile, elle a expliqué dans un livre paru fin 2005 que les sévices « étaient le résultat d’ordres contradictoires et de règles confuses venant des commandants militaires en Irak jusqu’au sommet du pouvoir civil à Washington ». Selon les différents rapports d’enquête de l’armée sur le scandale, le colonel Jordan, 51 ans, a participé à cette confusion. Officiellement responsable du centre des interrogatoires, il s’est consacré uniquement à l’amélioration des conditions de vie des soldats affectés à la prison. Cet officier de réserve spécialisé dans l’analyse du renseignement, et non dans sa collecte, n’a pas cherché à superviser les interrogatoires, livrant à eux-mêmes des soldats en sous-effectifs, mal formés, et soumis à une forte pression de la hiérarchie pour obtenir des résultats. Devant la justice militaire, il est accusé d’avoir, au cours d’une nuit, forcé des prisonniers à se dénuder et de les avoir menacés avec des chiens d’attaque, un incident qui n’a pas été photographié, et d’avoir ensuite menti aux enquêteurs en affirmant qu’il n’avait pas été témoin de sévices ni vu de prisonniers nus. Certains abus ont toutefois été photographiés. Les clichés qui ont été publiés, sur lesquels on voit, entre autres, des détenus nus, empilés sur le carrelage de la prison devant des gardiennes américaines, ont définitivement coupé l’élan de sympathie internationale envers les États-Unis suscité par les attentats du 11-Septembre. Le ministre de la Défense d’alors, le controversé Donald Rumsfeld, a assuré avoir présenté sa démission à deux reprises au plus fort du scandale, tout en maintenant que les sévices n’étaient le fait que de « quelques pommes pourries » au sein d’une armée de centaines de milliers de soldats. Toutefois, selon Tara McKelvey*, chercheuse à l’Université de New York interrogée par l’AFP, les excès d’Abou Ghraib étaient « codifiés », et non pas le fait de quelques soldats mal encadrés. D’où la nécessité, pour elle, de voir les conseillers juridiques du gouvernement Bush répondre de leurs actes. Q : Qui est responsable de ce qui s’est passé à Abou Ghraib ? « C’est la question à un million de dollars. Les gens accusent (le président George W.) Bush, ils accusent (le vice-président Dick) Cheney, ils accusent (l’ancien ministre de la Défense Donald) Rumsfeld. S’il y a quelqu’un qui a quelque chose à se reprocher, je pencherais pour John Yoo (un ancien conseiller juridique du ministère de la Justice). Il a reconnu être l’un des auteurs du document d’août 2002 qui a redéfini la torture et autorisé toutes sortes de techniques d’interrogatoire abusives. Les gens disent souvent qu’il y a eu de la torture et des excès dans toutes les guerres. C’est vrai, mais la différence c’est qu’aujourd’hui ces choses sont codifiées. » Q : Que peut-on attendre du procès du colonel Steven Jordan ? « Des réponses sur ce qui s’est passé à Abou Ghraib. Ces procès devant des cours martiales ont été très utiles parce qu’ils ont permis aux gens de poser des questions. C’est l’une des rares occasions où cela se passe au grand jour. Le colonel Jordan n’est pas poursuivi pour les faits qui ont été photographiés, mais il peut donner un aperçu de ce qui se passait là-bas. C’est vrai que l’on peut dire que le scandale existe parce qu’il y a eu des photos, mais ce que vous avez vu sur les photos ne représente qu’une fraction de ce qui s’est passé. Et certainement pas le pire. » Q : Le scandale ne représente-t-il alors que la partie émergée de l’iceberg ? « Je ne doute pas une seconde que les exactions étaient bien plus répandues que ce que l’armée a reconnu à l’époque où les photos sont apparues. En décembre 2003, il y avait environ 12 000 prisonniers en Irak, sans compter les milliers de détenus qui n’ont pas été enregistrés parce qu’ils sont restés moins de 15 jours dans des prisons provisoires. Un poste de police à Samarra, un gymnase scolaire ou un préfabriqué près de l’aéroport de Bagdad... Certains des pires sévices ont eu lieu dans ces prisons provisoires. Aujourd’hui, les sondages montrent qu’un nombre important de soldats disent que la torture est justifiée dans certains cas et qu’ils ne dénonceront pas les éventuels excès. Et je pense que la triste réalité est que ces excès continuent mais que la différence entre maintenant et avril-mai 2004, c’est que les gens ne prennent pas de photos. » *Tara McKelvey est l’auteur de “Monstering”, au cœur de la politique américaine d’interrogatoires secrets et de torture dans la guerre contre le terrorisme, sorti en juin aux États-Unis.
Le procès du colonel Steven Jordan, le seul officier américain poursuivi après le scandale des sévices infligés à des prisonniers à la prison d’Abou Ghraib en Irak, doit s’ouvrir aujourd’hui devant une cour martiale à Fort Meade (Maryland, Est). Plus de trois ans après la publication des photos montrant des prisonniers irakiens humiliés par leurs gardiens américains, seulement...