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Actualités - OPINION

L’utilisation des procédures exceptionnelles par le Conseil des ministres II - L’indispensable dialogue pour un consensus Francis KARAM

Deuxièmement : en convoquant aux élections partielles, acte de l’Exécutif qui entre normalement dans le cadre des décrets ordinaires, le Conseil des ministres a élargi le champ de sa compétence (voir L’Orient-Le Jour du jeudi 26 juillet 2007). Les décrets ordinaires n’exigent ni une décision du Conseil des ministres ni la consultation du Conseil d’État et, par conséquent, ne sont pas soumis à l’article 56 de la Constitution, vu qu’ils entrent dans le cadre ordinaire et journalier du travail du ministre concerné, et cela en application de l’article 66 de la Constitution qui stipule : « Les ministres (…) assurent chacun en ce qui le concerne l’application des lois et règlements, sont responsables de diriger les institutions de l’État, et il leur est confié l’application des règlements et des lois, chacun dans les questions de sa compétence et qui relèvent de son autorité. » La convocation des électeurs à un scrutin partiel entre dans la catégorie des décrets ordinaires, et cela depuis que la Constitution libanaise existe, avant et après Taëf. Le décret n° 15 996 du 23 décembre 2005 qui a convoqué les électeurs de Beyrouth pour pourvoir au siège laissé vacant par le décès tragique du député Gebran Tuéni est l’illustration la plus récente d’une procédure qui n’a cessé d’être suivie tout au long de l’application de la Constitution libanaise. Le décret cité du 23 décembre 2005 portait la signature du ministre actuel de l’Intérieur, M. Hassan Sabeh, ainsi que celle du chef du gouvernement, M. Siniora, et le contreseing du président de la République, M. Lahoud, et cela en vertu de l’article 54 de la Constitution qui stipule que « les actes du président de la République doivent être contresignés par le président du Conseil, le ministre ou les ministres intéressés… ». Cet article 54 de la Constitution détermine à juste titre le droit du président de la République à participer activement à l’action du pouvoir exécutif par le biais de sa signature sur tous les décrets. Ne pas lui reconnaître ce rôle ou le lui retirer, ou même le restreindre ou le lui conditionner nécessiterait une modification de la Constitution. Toute procédure différente de celle suivie en la matière entache le décret contesté d’un vice à la base, avec toutes les conséquences légales qui pourraient en découler, notamment le recours pour excès de pouvoir. D’après les dispositions constitutionnelles et coutumières du régime politique libanais, le président de la République, ainsi d’ailleurs que le président du Conseil des ministres ont le droit d’accepter ou de refuser la signature des décrets ordinaires, dont le décret de convocation aux élections partielles. Au cas de refus d’approuver ou de promulguer le décret ordinaire, celui-ci ne pourra pas être exécuté, étant entendu que le Conseil des ministres ne peut prendre la place du président de la République ou du Premier ministre récalcitrant. Le pouvoir du président de la République ou du chef du gouvernement d’accepter ou de refuser l’agrément relève de leur droit discrétionnaire de refuser ce qu’ils considèrent comme étant hors du cadre de la Constitution, ou en violation de celle-ci ou des lois, ou même heurtant leur conscience. Ainsi, le Premier ministre M. Sélim Hoss avait refusé il y a cinq ans de signer le décret d’exécution d’un condamné à mort pour des raisons de conscience, arrêtant du même coup l’exécution de la condamnation. Le recours du ministre de l’Intérieur au Conseil des ministres pour statuer sur la question de la convocation des électeurs aux élections partielles de Beyrouth et du Metn, et l’adoption par le Conseil des ministres du décret n° 493 du 2/7/2007 convoquant les électeurs à ces élections constituent certainement un changement dans l’application du système politique libanais, car la nouvelle procédure suivie tend à créer un précédent qui pourrait se transformer en une coutume constitutionnelle. En fait, ce qui a changé en suivant cette procédure, c’est qu’elle étend les pouvoirs du Conseil des ministres, délimités actuellement selon Taëf par l’article 65 de la Constitution, et restreint en contrepartie les pouvoirs du président de la République. Or, l’extension des pouvoirs du Conseil des ministres au détriment des pouvoirs du président de la République ne peut s’effectuer que par une modification de la Constitution et non point par une démarche procédurale initiée par le Conseil des ministres. D’un point de vue constitutionnel, il est évident qu’il existe un devoir de procéder aux élections, l’article 41 de la Constitution stipulant clairement que « en cas de vacance d’un siège à la Chambre, il sera pourvu à la vacance dans un délai de deux mois ». Mais accomplir un devoir en violant d’autres droits ne constitue pas la solution à la crise politique dans laquelle se débat le Liban. Pour sa part, le Conseil d’État a déclaré, dans un premier verdict, son incompétence sur le recours en invalidation du décret de convocation précité, considérant celui-ci comme un acte de gouvernement. En ce faisant, le Conseil d’État a adopté une position d’extrême prudence. La notion des actes de gouvernement en droit administratif reste le domaine idéal derrière lequel le Conseil d’État peut se retrancher pour ne pas s’immiscer dans la politique. Cependant, si, judiciairement, la question du décret n’a pas été tranchée, il n’en demeure pas moins que le problème reste foncièrement constitutionnel. Et dans ce domaine, il est nécessaire, pour la perfection de tout acte juridique, de respecter la procédure établie, l’innovation en la matière n’étant pas admise. En droit constitutionnel, le revirement de jurisprudence n’existe pas comme en droit privé ; l’interprétation de la Constitution se fait à la lumière des textes fondamentaux, des principes généraux, des précédents et de la coutume constitutionnelle ; il en résulte que créer un précédent dans un régime politique constitue en soi une modification de la Constitution. Par ailleurs, affirmer que le président de la République est obligé de signer le décret de convocation des électeurs en application de l’article 41 sous peine d’être accusé d’avoir violé la Constitution serait ouvrir une polémique inutile, tout comme accuser le Conseil des ministres d’avoir violé la même Constitution parce qu’il a promulgué le décret des élections partielles en vertu de l’article 56 de la Constitution. Les deux affirmations sont des hypothèses stériles. Par contre, ce qu’il faut souligner, c’est que l’exercice du pouvoir par des procédures exceptionnelles serait inapte à résoudre les problèmes politiques actuels du Liban. Troisièmement : les circonstances exceptionnelles. Considérant que les gouvernants sont arrivés à un point de rupture politique, alors que l’instabilité sécuritaire sévit dans le pays à l’état endémique depuis plus de trente ans, il serait intéressant de recourir de nouveau à la notion des circonstances exceptionnelles, lesquelles justifient de surseoir aux élections partielles des députés ainsi qu’aux décrets du Conseil des ministres les moins urgents pris en vertu de l’article 56, et de plancher plutôt sur l’élection présidentielle plus proche de nous. Le Liban a connu des circonstances exceptionnelles tout au long de la guerre civile de 1975-1990. Durant cette période, aucune élection partielle n’a été organisée malgré les nombreux décès parmi les députés. Seuls furent alors comptabilisés, pour le quorum, les députés vivants. Ce décompte fut d’ailleurs institutionnalisé en vertu de la loi n°11 du 8/8/1990. Cette formule demeure, à l’évidence, valable. Il est grand temps que les parties entament le dialogue, toutes affaires cessantes, pour s’accorder sur le nouveau président de la République et sur le nouveau gouvernement, qui ne peuvent être que consensuels en l’état actuel des choses. Le déblocage institutionnel ne peut plus provenir que d’un compromis politique entre la majorité et l’opposition, compromis portant sur la composition du nouveau ministère, sur le nom du nouveau chef de l’État et sur leur programme de travail ; étant entendu que le compromis ne peut plus se concevoir que dans un seul et même panier. Il est impensable en termes de régime parlementaire de considérer le président de la République en dehors du cadre de l’équipe qui exerce le pouvoir. Ce qui intéresse les Libanais, c’est l’avènement d’une équipe – président de la République et gouvernement – qui soit dotée d’un programme économique et social solide, clair et transparent, dont le principal objectif serait de sortir le Liban de l’ornière. Francis KARAM Docteur en droit public Article paru le Vendredi 27 Juillet 2007
Deuxièmement : en convoquant aux élections partielles, acte de l’Exécutif qui entre normalement dans le cadre des décrets ordinaires, le Conseil des ministres a élargi le champ de sa compétence (voir L’Orient-Le Jour du jeudi 26 juillet 2007).
Les décrets ordinaires n’exigent ni une décision du Conseil des ministres ni la consultation du Conseil d’État et, par conséquent, ne sont pas soumis à l’article 56 de la Constitution, vu qu’ils entrent dans le cadre ordinaire et journalier du travail du ministre concerné, et cela en application de l’article 66 de la Constitution qui stipule : « Les ministres (…) assurent chacun en ce qui le concerne l’application des lois et règlements, sont responsables de diriger les institutions de l’État, et il leur est confié l’application des règlements et des...