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Actualités - OPINION

Le révélateur de Nahr el-Bared : le combat contre la maladie Carlos HAGE CHAHINE

Il est de plus en plus clair que la bataille que mène l’opposition contestataire contre le pouvoir en place va bien au-delà d’une simple correction du partage du pouvoir. Un mal sournois ronge le Liban et la sémiologie que nous en avions proposée, voici quelques mois, dans les colonnes de ce journal se vérifie et se précise tous les jours : le Liban un et divers, démocratique et indépendant est en butte aux attaques d’un chiisme révolutionnaire déterminé à étendre sa domination, et appuyé par des forces d’appoint réunies par leurs communs desseins séditieux. Jamais cependant la maladie ne s’était manifestée avec autant de clarté que depuis les combats de Nahr el-Bared. L’épreuve de force qui y est engagée a agi comme un révélateur sur la vitalité du Liban : une lutte féroce est engagée par le noyau demeuré sain pour essayer de gagner du terrain sur la partie malade. Le mal libanais La bataille de Nahr el-Bared n’a pas provoqué, loin s’en faut, le sursaut national que l’on était en droit d’attendre après une telle éruption. Il ne faut pas se leurrer, les protestations de soutien à l’armée, que l’on a entendues dans la bouche de l’opposition, d’abord du bout des lèvres, puis un peu plus franchement à mesure que l’armée tenait bon et se montrait intraitable, sont trop assorties de conditions et de réserves pour exprimer un tel sursaut. En apportant en rangs séparés son soutien à l’armée, l’opposition hétéroclite ne s’est pas montrée crédible. Elle croyait pouvoir s’acheter une bonne conscience par la ferveur de son soutien. La question n’était pas en l’occurrence de savoir si les Libanais étaient capables de reconnaissance envers l’armée ou si, au contraire, ils étaient des citoyens dénaturés. Mais de savoir – cette crise devait le révéler – s’il existe ou non une communauté nationale libanaise. Les Libanais forment-ils une grande famille ou une « dissociété » ? Car il ne s’agissait pas pour eux de défendre leur armée contre l’ennemi, mais de défendre le Liban contre l’ennemi à l’aide, et par l’union sacrée autour de cette armée, seule détentrice légitime de la force et symbole de l’union. Et c’est cela l’occasion manquée. Faut-il que la « dissociété » libanaise – seul le mal divise – soit à ce point malade pour que ses membres ne se soient pas dressés comme un seul homme derrière l’armée dans le combat héroïque qu’elle mène à Nahr el-Bared où, assurément, le destin de la patrie est en jeu ? Je m’explique. L’être de l’homme est « d’être avec ». Nous percevons, quoique confusément, que l’essence de l’homme est un tissu de relations à tous les niveaux, aussi bien physiologique qu’affectif, social ou spirituel. L’art de guérir n’est-il pas celui de renouer des rapports organiques altérés ou brisés ? Mais il y a une hiérarchie des plans, observe Marcel De Corte dans Une ontologie de la médecine, où se manifestent ces rapports ontologiques qui sont eux-mêmes en relation. C’est une loi universelle, écrit-il, qu’ « ils y entrent en deux sens différents. Un lien qui se rompt à un degré inférieur tend à se rétablir au degré supérieur par simple transposition logique qui laisse subsister sa cassure, ou sous l’influence irradiante du lien qui le surplombe et l’anime. Ainsi une société qui se dissout, telle la nôtre, se recompose au niveau de l’idéologie ou de ce qu’on pourrait appeler le plan du “plan”. Ainsi le mariage traditionnel en voie de disparition se transpose-t-il à l’étage des théories sur le compagnonnage, le mariage à l’essai, l’union libre, etc. À l’inverse, la force qui émane d’un lien supérieur peut renouer un lien subordonné distendu : un mariage discordant placé dans une atmosphère religieuse, une fraternité qui s’affaisse et que relève une menace contre la patrie… Tout se passe comme si l’incarnation d’un rapport supérieur suscitait un renouvellement des relations satellites déréglées ». Et le philosophe catholique belge ajoute que « l’influence exercée par les saints, les génies, les héros, sur la réfection des liens subalternes, ne peut être en aucun cas sous-estimée ». Dans quel sens entrent les relations distendues entre Libanais avec le plan supérieur ? Dans le sens qui laisse perdurer la cassure ? ou dans celui du renouement et de la réfection des liens subalternes déréglés, face à la menace contre la patrie et sous l’influence exercée par les héros de l’armée ? Le combat contre la maladie Au niveau de l’armée. En dépit des conditions démoralisantes qui ont entouré sa difficile carrière depuis une trentaine d’années, d’abord en concurrence avec des milices surarmées, puis à l’ombre d’une armée de tutelle omniprésente et d’une « Résistance » auréolée de la gloire de la « libération », l’armée libanaise affiche aujourd’hui dans la guerre de Nahr el-Bared une santé insolente. Nous relèverons à ce propos trois signes qui ne trompent pas : l’affirmation de son indépendance, la légitimité (ou licéité) de la guerre contre l’ennemi tant au plan du but qu’à celui des moyens, autrement dit, la conduite des hostilités. 1. L’indépendance. L’ironie du sort a voulu que l’armée libanaise, récemment reconstituée après 17 ans de guerre civile dont elle s’est profondément ressentie, livre son premier combat contre les propres créatures de ce tuteur zélé qui, pendant 15 ans, a veillé à la remodeler à sa propre image. Après le gouvernement de la seconde indépendance, voici que nous est née l’armée de la seconde indépendance. 2. Une guerre légitime. De saint Augustin à Vatican II, les penseurs chrétiens ont cherché à définir les conditions requises de la guerre juste. Saint Thomas d’Aquin en énonçait trois : a) la guerre doit être déclarée par un État souverain qualifié, ce qui exclurait en l’occurrence les guerres menées par des groupes de conspirateurs clandestins ; b) la cause doit être juste ; à en croire l’amiral français Paul Auphan, qui en parlait à la fois en historien et en militaire qui a pratiqué la guerre comme métier, cette condition est toutefois très difficile à apprécier. Tous les belligérants, observe-t-il, sont convaincus de la justesse de leur cause. Ce qui nous amène au troisième critère posé par saint Thomas et qui correspond à notre point. 3. La justesse des moyens ou, selon l’expression du théologien, la nécessité d’avoir une intention droite. « En effet, dit saint Thomas, même si l’autorité de celui qui déclare la guerre est légitime et sa cause juste, il arrive néanmoins que la guerre soit rendue illicite par le fait d’une intention mauvaise. Saint Augustin écrit en effet : “Le désir de nuire, la cruauté dans la vengeance, la violence et l’inflexibilité de l’esprit, la sauvagerie dans le combat, la passion de dominer et autres choses semblables, voilà ce qui dans les guerres est jugé coupable par le droit” ». (Somme théologique, Paris, Éditions du Cerf, 1999, T.3, p. 279 ss.). À notre époque spécialement caractérisée par la mutation de la guerre et la prédominance de la guerre subversive, il est déjà rare de respecter fût-ce une condition sur trois. Eu égard au soutien unanime qu’elle a reçu tant sur le plan interne que sur le plan international jusque dans les rangs palestiniens, et les sacrifices immenses qu’elle a consentis pour respecter la « moralité » de la guerre (proportionnalité des moyens, discrimination entre combattants et civils…), l’armée libanaise a eu le mérite d’honorer les trois conditions à la fois, et su montrer qu’elle sait faire la guerre sans blesser les valeurs de civilisation. Au niveau du gouvernement. Les points marqués ces derniers mois par le pouvoir en place contre l’opposition contestataire ne sont pas à proprement parler ceux d’une composante libanaise contre une autre, mais du Liban de toujours, un et divers, réadapté aux circonstances d’aujourd’hui, contre la ligue des forces de sédition. Il a tenu bon face à cette Résistance qui, après avoir forcé l’admiration du monde arabe et du monde tout court, par ses succès militaires de l’été dernier, n’a pas fini d’ébranler l’État d’Israël sur ses fondations ; il a conduit avec succès Paris 3 ; démasqué les auteurs de l’attentat de Aïn Alaq ; obtenu l’adoption par le Conseil de sécurité de la résolution 1757 portant création du tribunal à caractère international, bravant les mises en garde répétées de l’opposition contre les risques de guerre civile encourus en cas de recours au chapitre 7 de la Charte des Nations unies ; last but not least, il a pris la décision historique d’éradiquer Fateh el-Islam. Néanmoins, alarmée par un rapport des forces qui lui est largement défavorable, la majorité tente par tous les moyens de préserver la paix civile jusqu’à s’abriter, pour répudier tout sentiment de triomphalisme, derrière le principe de « ni vainqueur ni vaincu », en réalité dévoyé de sa fonction première de garde-fou contre l’hégémonie d’une communauté. En face, le Hezbollah, englué dans un sit-in qui a fait long feu et qu’il ne peut lever sans perdre la face, demeure sonné par une série de revers au goût amer, lui qui, hier encore, triomphait de l’invincible Tsahal et qui, par un mystérieux mimétisme, avait fini par s’identifier à l’ennemi jusque dans son ton « dominateur et sûr de lui ». C’est dans la légitimité et la résistance de ce gouvernement qui est celui « de la seconde indépendance », et de qui elle reçoit ses ordres, qu’il faut chercher l’explication de la sublimation de l’armée libanaise à Nahr el-Bared. Une légitimité que ce gouvernement, universellement reconnu, tient d’abord de sa fidélité à l’âme et à la Constitution non écrite du Liban, sans laquelle la Constitution écrite ne serait qu’une écorce sans sève. *** Dans le concert de témoignages d’attachement et de fidélité au Liban, le combat de l’armée aura pour mérite certain de séparer les vrais des faux, le bon grain de l’ivraie. La question déterminante demeurera de savoir  lequel des deux l’emportera : sera-ce l’armée qui imprimera sa santé au corps libanais malade, ou bien la maladie du Liban qui finira par emporter son armée ? Carlos HAGE CHAHINE Juriste Article paru le Mardi 3 Juillet 2007
Il est de plus en plus clair que la bataille que mène l’opposition contestataire contre le pouvoir en place va bien au-delà d’une simple correction du partage du pouvoir. Un mal sournois ronge le Liban et la sémiologie que nous en avions proposée, voici quelques mois, dans les colonnes de ce journal se vérifie et se précise tous les jours : le Liban un et divers, démocratique et...