– L’article 34 C (Constitution) édicte que « la Chambre ne peut valablement se constituer que par la présence de la majorité des membres la composant légalement ». Donc, pour tenir séance, il suffit que la moitié des députés soit...
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ANALYSE La précarité constitutionnelle, source notable de la crise politique ambiante Jean ISSA
Par ISSA Jean, le 22 juin 2007 à 00h00
Ce qui va de soi va mieux en le disant. Pour tout manuel d’emploi, une claire précision technique reste le seul gage d’efficacité. Principe élémentaire, évidemment valable pour ce vade-mecum qu’est une Constitution. Or la nôtre, on ne le déplorera jamais assez, regorge de failles et d’imprévoyances qui suscitent de graves malentendus. Des à-peu-près qui restent source, à bien y regarder, de toutes nos crises. On peut ainsi relever deux thèmes de conflit découlant du dilettantisme qui caractérise la Loi fondamentale issue de Taëf : le quorum et la participation au pouvoir.
– L’article 34 C (Constitution) édicte que « la Chambre ne peut valablement se constituer que par la présence de la majorité des membres la composant légalement ». Donc, pour tenir séance, il suffit que la moitié des députés soit présente. C’est l’unique disposition traitant directement du quorum.
Et c’est là que le bât blesse. Car il y a séance et séance. Quand l’Assemblée doit se réunir en collège électoral, pour élire son propre président ou le chef de l’État, elle n’est autorisée à rien faire d’autre. Ni légiférer, ni débattre, ni réclamer des comptes au gouvernement ou à un ministre. En d’autres termes, elle sort de sa triple tâche ordinaire de législateur, de scrutateur et de censeur. Elle n’est que votante.
Il va de soi, dans l’esprit des lois comme de la République, que cette mission capitale, le Parlement est absolument tenu de l’assumer. C’est ce que martèle sans cesse, entre autres, le patriarche Sfeir. Et c’est là que cela aurait été mieux en le disant. Car, incroyable mais vrai, la Constitution libanaise ne fixe aucune règle obligeant les députés sinon à voter (l’abstention est évidemment un droit incontournable), du moins à assurer par leur présence la tenue du scrutin.
Pire encore : l’élection du chef de l’État ne fait même pas l’objet d’un article spécifique de la Constitution. Elle s’inscrit en effet, comme un simple prolongement de l’article (le 49 C) réservé à la définition de la fonction présidentielle.
Le passage consacré au vote se contente d’indiquer que « le président de la République est élu au scrutin secret des deux tiers des membres composant la Chambre ». Là aussi, il va de soi que cela implique un quorum des deux tiers. Mais, là aussi, cela aurait été bien mieux en le disant. Car dans la phrase, et la phase, suivante, on apprend qu’après « le premier tour du scrutin, la majorité absolue (la moitié plus un) suffit ». Donc le quorum des deux tiers n’est prévu qu’au départ, pas à l’arrivée. Bien que dans l’esprit (et pourquoi pas dans la lettre ?) du législateur, et comme le relève également Mgr Sfeir, il soit de loin préférable qu’un président soit élu, pour son prestige et sa représentativité, à un fort taux de suffrages.
En tout cas, l’imprécision du texte constitutionnel signifie qu’en finassant, on peut techniquement contourner le quorum des deux tiers. Comment ? En se rabattant sur l’article 34 C, on dirait que la Chambre est normalement constituée du fait de la seule présence de la moitié de ses membres. Puis l’on procéderait, pour la forme, à un premier tour qui ne donnerait évidemment rien, puisque les deux tiers ne seraient pas présents. Et ensuite, l’on élirait le président en famille…
Avec l’explosion que cela provoquerait. On voit par là combien l’amateurisme constitutionnel est dangereux.
Coexistence et démocratie
Tout en étant tout à fait compréhensible et pardonnable, la deuxième imprévoyance ici citée du législateur est bien plus lourde de sens et de conséquences.
Il s’agit du fameux alinéa J du prologue de la Constitution qui décrète que « tout pouvoir qui viole le pacte de coexistence devient illégitime ». Par raccourci, cette petite phrase définit à elle seule un régime politique global obligatoirement participatif.
Il en découle un premier postulat : la mise sur la touche du concept ordinaire de démocratie. C’est-à-dire de la loi du nombre, remplacée par la loi du consensus. Une approche inattaquable dans un pays-mosaïque composé, finalement, de minorités. Même Mohammad Mehdi Chamseddine avait fini par en convenir. Et même le Hezbollah y souscrit, du moins pour le moment.
Mais est-ce à dire que l’impératif de la participation implique, ipso facto, que la logique de la balance, des équilibres, ne puisse pas être respectée au Liban ? Autre façon de tourner la question : est-il constitutionnellement interdit qu’il y ait un pouvoir majoritaire et une opposition minoritaire en vis-à-vis, bien séparés, avec alternance éventuelle ? Faut-il vraiment, et obligatoirement, que tout le monde soit en même temps aux commandes ? Trop de têtes ne tuent-elles pas la décision, et l’État ?
Bien sûr que si. L’intention du législateur était en réalité, en évoquant le tabou premier de la coexistence, de stimuler le melting-pot, le brassage national. Dans la perspective, ou la rétrospective, d’un bipartisme larvé de fond, comme du temps du Destour et du Bloc national.
Cette aspiration, le législateur a eu tort de ne pas prendre la peine de la mettre noir sur blanc. Mais pourquoi cette négligence ? Parce qu’il n’avait malheureusement pas prévu qu’un jour une même communauté, entendre en l’occurrence la chiite, verrait toute sa représentation monopolisée par une seule et même direction, réduite au tandem jumeau Amal-Hezbollah. Encore une fois, répétons-le, pour les députés libanais réunis à Taëf, il pouvait, il devait y avoir, des leaderships maronites, sunnites, druzes, chiites, orthodoxes, catholiques, répartis assez harmonieusement entre deux ou trois grands blocs de stature, et de nature, nationale. Ce n’est plus le cas, ce n’est plus possible. Et c’est pourquoi l’alinéa J est désormais générateur d’effroyables complications théoriques aussi bien que pratiques.
On dira : mais le camp du 14 Mars et le camp du 8 Mars ne représentent-ils pas le bipolarisme requis ? Pas vraiment, pas du tout même. Non seulement à cause des nettes disparités dans leur composition communautaire respective, mais aussi, et surtout, parce qu’au sein de l’opposition, il n’est pas sûr que les vues à long terme du Hezbollah et du CPL, par exemple, soient identiques. Et que leur alliance soit d’un ordre stratégique plutôt que tactique. Notamment par rapport à ce qui est de ce que l’on appelle la lutte des axes extérieurs. Une équivoque locale que la grande question finale met en relief : est-ce que les deux et doux voisins du Liban vont enfin le laisser tranquille ?
Ce qui va de soi va mieux en le disant. Pour tout manuel d’emploi, une claire précision technique reste le seul gage d’efficacité. Principe élémentaire, évidemment valable pour ce vade-mecum qu’est une Constitution. Or la nôtre, on ne le déplorera jamais assez, regorge de failles et d’imprévoyances qui suscitent de graves malentendus. Des à-peu-près qui restent source, à bien y regarder, de toutes nos crises. On peut ainsi relever deux thèmes de conflit découlant du dilettantisme qui caractérise la Loi fondamentale issue de Taëf : le quorum et la participation au pouvoir.
– L’article 34 C (Constitution) édicte que « la Chambre ne peut valablement se constituer que par la présence de la majorité des membres la composant légalement ». Donc, pour tenir séance, il suffit que la moitié des députés soit...
– L’article 34 C (Constitution) édicte que « la Chambre ne peut valablement se constituer que par la présence de la majorité des membres la composant légalement ». Donc, pour tenir séance, il suffit que la moitié des députés soit...