Actualités - OPINION
LE POINT Aujourd’hui, comme hier Christian MERVILLE
Par MERVILLE Christian, le 17 avril 2007 à 00h00
La Turquie n’est pas l’Amérique latine des années cinquante pas plus que ses hauts gradés ne ressemblent aux généraux Tapioca et Alcazar chers à Hergé. C’est dire si les propos d’un ancien chef d’état-major, aujourd’hui à la retraite, tenus devant un journaliste du Hurriyet ont pris l’allure d’une sévère, et fort directe, mise en garde à l’establishment politique. En clair, Dogan Gures dit ceci : la laïcité est en danger et la situation rappelle la période précédant la date du 28 février 1997 – comprendre lorsque les militaires ont dû se résoudre à bouter hors des allées du pouvoir le flamboyant Necmettin Erbagan, accusé d’afficher trop ouvertement un islamisme de mauvais aloi. Fermez le ban ! Et afin que nul ne se méprenne sur la détermination de certains à faire respecter l’héritage de Mustafa Kemal, près de 500 000 personnes ont défilé samedi dans les rues d’Ankara.
Objet de l’inquiétude des uns, du courroux des autres, ce Recep Tayyip Erdogan, qui cache bien mal son intention de se présenter à la magistrature suprême mais qui, très probablement, fera durer le suspense jusqu’au dernier jour du délai prévu pour le dépôt des candidatures, soit jeudi 25 avril à minuit. S’il est élu – et une éventuelle défaite relève du domaine de l’improbable car le Parti de la justice et du développement (AKP) auquel il appartient dispose, avec 354 députés sur un total de 550, d’une large majorité à l’Assemblée – l’intéressé verra la formation qu’il dirige contrôler la présidence ainsi que l’Exécutif et le Législatif. Si la Constitution de 1982 exige une majorité des deux tiers au premier tour, soit 367 voix, elle ne prévoit qu’une majorité simple aux tours suivants. Il sera facile dès lors de faire adopter des modifications en vue d’instaurer un régime islamique, même si, pour l’heure, le principal concerné affiche des options démocratiques plutôt louables après avoir été un farouche opposant à la séparation entre religion et État. Des juristes arguent toutefois qu’ainsi posé, le problème est faussé au départ. L’article 2 du texte fondateur, font-ils valoir, dispose que « la Turquie est un État de droit démocratique, laïc et social » ; donc, jugent-ils un peu trop légèrement peut-être, ses inspirateurs n’ont pas voulu d’une nette séparation entre le temporel et le spirituel, mais d’une sorte de rapport de forces favorable au premier.
L’opinion publique n’a que faire d’une telle (fausse) assurance. Il est vrai que les états de service du chef du gouvernement ne plaident guère en sa faveur. En 1999, il avait purgé une peine de quatre mois de prison pour avoir lu un poème islamique lors d’un meeting de masse ; son épouse Emine porte le foulard et lui-même est coutumier de propos à l’emporte-pièce dont la presse se délecte. Petit florilège de ces pensées et maximes : « Hitler aussi était laïc », « La démocratie est un instrument, pas un but », « Ces gens (les membres de l’équipe ministérielle alors en place) ont hâte de nous voir devenir membre de l’Union européenne alors que celle-ci n’est nullement pressé de donner son accord. Notre parti ne veut pas adhérer à un regroupement dont le nom véritable est Union des États catholiques chrétiens. » On comprend dès lors le peu d’empressement de certains à le voir accéder à la tête du pays et des pays européens à l’admettre dans un cercle qui ne cesse de s’élargir (de la Communauté des Six, on est passé depuis quelques mois à celle des Vingt-Sept). Mais l’Amérique est là, qui tient à porter sur les fonts baptismaux du Vieux Continent son protégé d’hier devenu son allié malgré lui – et presque malgré elle.
Les choix d’Atatürk à partir de 1924 lui avaient été dictés par son souci d’éviter à sa nation la colonisation imposée aux États de la région. Ainsi furent abolis le califat et la monarchie, adoptés l’alphabet latin, le calendrier grégorien et le costume occidental, enfin émancipées les femmes. Depuis, à chaque tentative, même timide, de s’éloigner de ce dogme a répondu une intervention tantôt discrète et tantôt ferme de l’armée, sous la forme de putschs ou de démissions imposées. Rien n’interdit de penser qu’il en sera ainsi, demain encore. Et plus que jamais, cette fois, serait-on tenté de dire, tant la situation régionale paraît explosive avec la montée du rigorisme religieux, l’omniprésence du terrorisme, la percée iranienne, le désastre irakien accompagné d’une chute de l’influence US et de l’absence de toute superpuissance de substitut, le blocage palestino-israélien…
La solution à tous ces maux viendrait-elle du déploiement de quelques milliers de soldats turcs entre Kirkouk et Hama ? Un journaliste de RFI, Chris Kutschera, rappelle que cette proposition, quand le Moyen-Orient bouillonnait, on la doit au général Feyzi Menguc, chef d’état-major, qui l’avait faite à son homologue US Maxwell Taylor, lequel l’avait rejetée. C’était en juillet 1958. Autre camp, vraiment ?...
La Turquie n’est pas l’Amérique latine des années cinquante pas plus que ses hauts gradés ne ressemblent aux généraux Tapioca et Alcazar chers à Hergé. C’est dire si les propos d’un ancien chef d’état-major, aujourd’hui à la retraite, tenus devant un journaliste du Hurriyet ont pris l’allure d’une sévère, et fort directe, mise en garde à l’establishment politique. En clair, Dogan Gures dit ceci : la laïcité est en danger et la situation rappelle la période précédant la date du 28 février 1997 – comprendre lorsque les militaires ont dû se résoudre à bouter hors des allées du pouvoir le flamboyant Necmettin Erbagan, accusé d’afficher trop ouvertement un islamisme de mauvais aloi. Fermez le ban ! Et afin que nul ne se méprenne sur la détermination de certains à faire respecter l’héritage...