Ad augusta per angusta. Dans la version rose du Larousse : à des résultats grandioses par des voies étroites. Mais autrement traduit : la grandeur par la bassesse. D’un Louis XI, par exemple. Ce roi retors qui fit la France. Ou, si l’on préfère, la beauté du diable.
Du Prince de Machiavel. Modèle encore plus fameux du cynisme politique. Indispensable, il faut le souligner tout de suite, sinon pour faire carrière, du moins pour servir efficacement l’intérêt, capital, de son pays.
Et qui dit intérêt, dit intérêts. Donc affaires. Affaires tout court autant qu’affaires publiques, res publica. Pour les unes, la corruption seule est incontournable. Pour les autres, il faut aussi de l’intégrité.
Avant de sursauter, voyons d’abord ensemble dans le dico les sens multiples que prennent ces deux vocables :
La corruption, c’est en premier lieu la décomposition du corps, de la matière. C’est ensuite la dissolution, la perversion des mœurs. C’est enfin le recours à des moyens condamnables, illicites, pour faire agir quelqu’un contre son devoir, contre sa conscience. Partant, c’est également le fait de se laisser corrompre, activement ou passivement.
– L’intégrité signifie d’abord un tout qualitatif, l’intégralité représentant pour sa part un tout quantitatif. Elle est ensuite synonyme de vertu, de pureté. Et par extension d’honnêteté. Donc, par rallonge supplémentaire, de sincérité. Car on notera qu’en français comme en anglais, honnêtement et honestly équivalent à franchement.
Pourquoi ce rappel lexique ? Parce qu’en politique, mais encore plus dans le domaine économique et financier, le packaging, l’emballage sémantique, joue un rôle primordial. Au service d’une hypocrisie de routine, sans laquelle toute opération ou presque ne serait plus que scandale dénonçable. Et les affaires prendraient alors le sens de casseroles judiciaires que leur donnent les journalistes d’investigation.
C’est en effet un constat élémentaire, universel autant que millénaire : la morale, religieuse ou laïque, n’a pratiquement rien à voir avec la course à la richesse, à la prospérité ou même à la simple subsistance, au pain quotidien.
Pots-de-vin
Peut-on pour autant, comme Erasme le fit en 1511 pour la folie, faire l’éloge de la corruption ? Pas vraiment. Comme instrument de travail, si l’on nous passe l’expression, elle a autant ses avantages que ses risques. Des effets économiques qui peuvent être positifs. Comme c’est le cas pour des puissances déterminées, exportatrices entre autres d’armements et de commissions léonines, entendre d’achat de décideurs. Ou des effets carrément dévastateurs, comme on le voit dans certains pays du continent noir. Alors ?
Alors, comme pour les drogues médicamenteuses, tout est dans le dosage. Le manque total peut être aussi néfaste que l’overdose. Prenons le bakchich : oui, prenons-le, car les 5 000 LL glissées dans le tiroir d’un petit fonctionnaire accélèrent le mouvement ordinaire, à la double satisfaction de l’usager et de l’employé. Qu’il serait exagéré d’appeler corrupteur et pourri. Par contre, imaginons une grosse adjudication avec pourcentage à la clé. Le mieux offrant, pour avancer un faible tarif, va presque sûrement saloper l’ouvrage. Pour ne pas aller loin, et comment aller loin sur ces chaussées-là, citons ces belles routes de chez nous qu’après la première pluie il faut réasphalter. Et nous ne parlons pas des centaines de millions, voire des milliards de dollars, qui ont pu s’évaporer, notamment sous la tutelle syrienne, sans que l’on sache comment et sans que le pays n’en profite, ne serait-ce qu’un petit peu. Tout chauffeur de taxi vétéran vous racontera que dans les années cinquante, ceux qui se sucraient avaient au moins la décence de faire travailler les gens, et leur argent, au Liban. Sans le planquer ailleurs dans les paradis fiscaux. Le renvoi d’ascenseur avait encore un certain sens social. Tout comme la ploutocratie de l’époque.
On notera entre parenthèses que certaines nations, focalisées sur les affaires, sont relativement peu politisées, peu fanatisées, peu sujettes à des conflits internes.
La micro et la macro-analyse parviennent donc à la même double conclusion. Primo, la corruption, bien que nécessaire à toute saine économie, et à plus forte raison à tout redressement économique, a besoin d’être contrôlée, canalisée en fonction d’un intérêt autant public que privé.
Deuxio, et pour la redresser, il faut à la fois une bonne politique et une bonne administration, efficace, diligente. Ce qui implique de l’intégrité au niveau des professionnels, des cadres responsables, décideurs, de l’une ou l’autre branche. Une nuance importante qu’il convient de souligner, surtout en ce qui concerne la politique : l’intégrité ne signifie pas tellement la probité que le sens national. Et, ou, la bonne foi.
Pour conclure, répétons que le mieux, c’est-à-dire un monde tout propre, est l’ennemi du bien. Sinon du Bien.
Jean ISSA
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