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Actualités - OPINION

Engagement - Commentaire sur l’expansion du ras-le-bol Oui à la non-violence, non à l’indifférence Jean ISSA

«Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! Aux puissants de ce monde, ne servez plus de chair à canon ! Faites partout la grève, pour empêcher la guerre ! » Pour cet appel aux damnés de la terre, Jean Jaurés, figure marquante du socialisme, pacifiste à tout crin, a été assassiné le 31 juillet 1914. Et le 3 août, l’Allemagne déclarait la guerre à la France comme à la Serbie, l’Angleterre entrant dans la danse infernale le lendemain même. Le sait-on ? L’assassin du leader de la gauche française, un illuminé dénommé Raoul Villain (cela ne s’invente pas), devait être acquitté. Pour « service rendu à la patrie » (!), selon le verdict. C’est qu’en temps de guerre, militaire ou autre, quand un pays, une nation jouent leur sort, peut-être leur survie, un objecteur de conscience est automatiquement assimilé à un traître, ou presque. Donc sa liquidation physique peut être assimilée à un acte de justice défensive. Un point de vue indéfendable, certes, mais compréhensible en regard de la mentalité naturellement agressive qui marque, dans la société comme au niveau de l’individu, les périodes d’hostilité. Ici et maintenant, bien que les accusations de traîtrise ne manquent pas, l’on n’en est heureusement pas à s’entretuer. Le spectre de la guerre civile semble s’éloigner. Mais la guerre d’usure (32 ans que cela dure !) affecte beaucoup le moral des Libanais. Peut-être pas les stratèges du 8 ou du 14 Mars, mais ce qu’on appelle le marais, ou la marée humaine. Soit, sans doute, un tiers du pays, proportion qui ne cesse de s’accroître, à entendre et recueillir les récriminations des gens qui, tout en ayant leurs opinions propres, du reste contrastées, ne se rangent, ne s’engagent plutôt, ni à gauche ni à droite. Comme persiflait, face à un macho, le grand comique italien Toto, « Masculino, sono Io, ma non fanatico. » Cette frange s’autoproclame volontiers « majorité silencieuse », alors qu’en réalité, elle n’est ni l’une ni l’autre, car elle se manifeste haut et fort, mais à petites masses, à travers notamment les actions bruyantes, tapageuses, tape-à-l’œil, menées par les pacifistes. Qui récupèrent ainsi le ras-le-bol général. Et mettent en toute bonne foi, faut-il croire, ceux qui le ressentent dans leur tort. Sur le plan du vrai sens national. C’est qu’il ne faut pas mélanger les torchons et les serviettes, ne pas altérer la non-violence, le pacifisme authentique, par des appels à la neutralité. Amalgame que l’on peut reprocher, à entendre leurs slogans (« ni-ni, ni pour ni contre ») à nos activistes du cru. L’apôtre le plus célèbre, le plus productif aussi, du mouvement, Gandhi, père de l’Inde indépendante, était évidemment loin d’être neutre. La chaîne Est-il vraiment besoin de le souligner ? Le destin, l’histoire nous infligent parfois (et au Liban, nous sommes servis plus souvent qu’à notre tour) des phases où l’identité d’existence ne tient plus seulement à la personne, mais aussi, à un degré qui est fonction de la gravité de l’heure, à un ensemble, à une collectivité à laquelle on appartient. Un cercle qui peut se trouver forcé de batailler sinon pour vaincre, sinon pour survivre, du moins pour ne pas être écrasé, marginalisé, opprimé, privé de ses droits, de ses libertés, de ses biens, de ses espérances. Sous tutelle syrienne, par exemple. Cette orientation de lutte légitime, de justesse de la voie adoptée, se trouve en réalité partagée par tous ceux qui se rallient sincèrement à l’un ou l’autre camp en présence sur la scène locale. Cependant, l’erreur et la vérité ne peuvent pas cohabiter. Il est donc illusoire de croire dans la devise ni vainqueur ni vaincu. Moralement, mais encore plus pour le bien du pays tout entier, il faut que gagnent ceux qui n’arborent que le seul étendard du Cèdre. On peut observer que, dans la défense des principes nationaux, la non-violence (pas la neutralité) signifie en fait qu’on prend parti. Pour un Liban État de droit. Pour la souveraineté de la loi. Qui, justement, réserve aux seules forces régulières ce que l’on qualifie de « droit de violence. » Autrement dit, qui leur permet à elles seules d’être armées. En interdisant au Hezbollah ou aux Palestiniens de garder leur arsenal, en rappel de la plus essentielle des clauses de Taëf, le désarmement des milices, libanaises ou non. De même, la Constitution, loi fondamentale, implique qu’aucun Libanais ne doit dépendre politiquement de la Syrie. Cela au nom de l’indépendance nationale, qu’elle consacre et sacralise. Le respect de la loi induit que la décision de guerre ou de paix revient aux seules institutions officielles, Conseil des ministres et Chambre des députés. Et l’on peut également égrener, rapidement, quelques violations flagrantes du code, dans son esprit ou dans sa lettre : la prorogation, la squatterisation du centre-ville par les tentes ; les routes coupées ; les pneus brûlés ; les grèves émaillées de violences et de snipings criminels ; la sourde complicité, par silence, par aveuglement ou par alliance, avec les commanditaires des assassinats et des attentats aux bombes… On notera, en soulignant que tout se tient, que le ras-le-bol n’affecte apparemment pas les masses, fanatisées ou terrorisées, des prosyriens. Si elles l’éprouvent, elles ne se risquent pas à l’exprimer. Le sentiment d’exacerbation ne touche vraiment à fond, sans nuances ni atténuation, que les indifférents égoïstes. Ces tièdes que le Seigneur vomit. À un degré qui est moindre, il faut le relever, l’impression que trop c’est trop, que l’on étouffe, étreint un paquet compact, grossissant, de bons, braves, sincères et authentiques Libanais. Qui, dans leur accablement, ne réalisent pas que tout défaitisme, tout désengagement à l’égard du Liban en lutte, livre à la Syrie adverse les verges pour le fouetter derechef. En fournissant aux attaquants, aux affidés de Damas, déjà seuls armés, l’arme fatale de la faiblesse d’un assiégé battu d’avance. Psychologiquement. Bref, il est des moments de la vie où l’on n’a pas le choix : il faut choisir !
«Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! Aux puissants de ce monde, ne servez plus de chair à canon ! Faites partout la grève, pour empêcher la guerre ! »
Pour cet appel aux damnés de la terre, Jean Jaurés, figure marquante du socialisme, pacifiste à tout crin, a été assassiné le 31 juillet 1914. Et le 3 août, l’Allemagne déclarait la guerre à la France comme à la Serbie, l’Angleterre entrant dans la danse infernale le lendemain même. Le sait-on ? L’assassin du leader de la gauche française, un illuminé dénommé Raoul Villain (cela ne s’invente pas), devait être acquitté. Pour « service rendu à la patrie » (!), selon le verdict.
C’est qu’en temps de guerre, militaire ou autre, quand un pays, une nation jouent leur sort, peut-être leur survie, un objecteur de conscience est automatiquement...